Depuis l’autre côté de mon bureau,
J’écoute un homme se plaindre de celui qu’il considère comme son bourreau.
Une fois par semaine,
Jusqu’à moi sa carcasse il traine.
Pour déblatérer pendant une heure entière,
Sa mésaventure dans ce cimetière.
J’en ai marre de l’entendre radoter cette histoire,
Il n’a qu’à le dénoncer cet odieux connard.

Mais mon avis importe peu,
Me déposer son fardeau, voilà bien tout ce qu’il veut.
À l’image de tous ceux,
Qui dans la salle d’attente font la queue.

Je l’escorte jusqu’à la porte.
Je le congédie proprement et tombe sur le prochain patient.

- « Révérend ?»

Le col blanc ne ment pas.
Un homme de Foi,
Venu me voir moi ?

Je l’invite à entrer.
Tandis que dans mon dos se referme la porte, je lui indique quelques assises à emprunter.

- « Je vous en prie. »

Chaise ou canapé,
Je lui laisse le choix de s’installer.
Rien que ça,
Me permettra d’en apprendre déjà.
À mon tour je prends place, tandis que mon esprit se prélasse.
J’ai trop peu souvent l’occasion,
De rencontrer un homme de telle profession.

- « Comment vous sentez-vous ? »

À vous rendre ainsi parmi les fous,
Sans ramasser leurs confessions, bien malgré votre vocation.

Sur son front apparaissent les premières gouttes de sueur,
Tandis que dans son regard, je décèle une non point désagréable lueur.

Un flot de paroles se déverse de consort,
Comme le soulagement d’un navire que la tempête a recraché dans un port.
Je l’observe sans mot dire,
Me contenter d’absorber le confessionnal que j’en tire.

Alors saint clergé,
Qu’est-ce que ça fait de perdre pied ?

- « Est-il parmi nous ? Le démon sur lequel se portent vos soupçons. »

Me voilà intriguée.
Une divinité aurait-elle eu l’audace de se nicher,
Au cœur même d’une autre religion ?
Diantre, quelle sinistre excitation.

Bien sûr que j’aimerais lui parler.
Le regarder.
L’étudier.
Le toucher.

- « Non. »

Mais d’abord il me faut le secouer. Le narguer. L’énerver.
Je suis navrée de vous décevoir mon Père,
Vous avez probablement déjà deviné que je partage le même fardeau que nombre confrères.
La faute à Dame Arcadia dirons-nous,
Vile bouche des Enfers qui nous rameute telle une horde de loups.

- « Je me contenterai de vous. Pour l’instant tout du moins. »

Mes phalanges s’entrelacent de main en main.

- « Vous espérez mon aide pour le comprendre … ou pour l’exorciser. »

Qui sait …
C’est peut-être bien le pouvoir que j’ai.

Stupeur et indignation,
À travers son regard transpire un tel degré d’animation.
Il retombe néanmoins trop rapidement à mon goût,
De mon excès d’audace, en voilà le coût.

- « Dommage. »

Mot qui ne scie pourtant guère à l’adage.

- « Veuillez m’excuser. Mes mots ont dépassé ma pensée. »

Si tel avait été véritablement le cas, aurais-je seulement cafté ?

- « Consent-il à accéder à votre requête ? »

Un démon, n’est-il pas par définition plus proche de la bête ?
S’il accepte un quelconque compromis,
N’avez-vous donc aucune crainte qu’un jour il se contredit ?

- « Vous connaissez le Diable mieux que moi. »

Enfin, je CROIS.

Pourquoi dommage ?
Ne pas répondre me semble plus sage.
Si seulement il savait ce qui se tapit dans l’ombre …

- « Sans un minimum de confiance vous risquez de ne pas aller bien loin. »

Est-ce là que j’interviens ?

- « Ce manque est-il mutuel ? »

Question décidemment bien cruelle.
Votre Foi ne vous oblige-t-elle pas, en quelque sorte, à tendre la main ?
À prendre sur vous ce que cet autre retient ?
Êtes-vous vraiment deux ?
Ou plutôt un simulacre au ventre creux ?

- « Inutile de pardonner, je vais reformuler. »

Le Diable peut revêtir bien des ombrages.

- « Montrez-moi son visage. »

Il ne comprend pas vraiment,
Tous les tenants et aboutissants.
Il répond certes honnêtement,
Mais loin de là à l’exacte questionnement.

Cet autre ne tarde pas à se manifester,
Bien avide d’en profiter.
Il est étonnant de constater,
Comme il lui est aisé de se métamorphoser.
En règle générale,
Le transfert ne se fait pas pour autant sans mal.

- « Et vous donc ? »

Quelle éloquence quelconque.

- « À qui ais-je l’honneur ? »

Est-ce que vous entretenir avec un psy pourrait faire votre bonheur ?
Un obsédé pour s’infiltrer parmi le clergé.
Il pourrait relever là de l’ironie,
Ou simplement de l’épiphanie.

Un satyre?
Y’aurait-il quelque chose de pire,
Pour l’homme de Foi qui sommeille en toi ?

Malgré tout, je me dois d’applaudir l’originalité,
Et vous, avez-vous seulement souri en découvrant son identité ?
Quel squatteur,
Pour un prédicateur.

Tout autre psychiatre aurait pu envisager de le faire colloquer.
Est-ce dès lors une coïncidence que c’est sur moi qu’ils sont tombés ?

- « En manque de liberté … vraiment ? »

Je remarque un hôte, ma foi, fort conciliant.

- « Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? »

Car niveau restrictions, on en est bien loin là.

- « Si je vous touchais, est-ce qu’il m’en empêcherait ? »

- « Voilà pourtant votre première preuve de liberté. »

Il m’est autorisé de toucher,
Ce n’est pas un privilège dont toute récurrence peut se vanter.
Mais peut-être n’êtes-vous pas coutumier,
De cette forme d’affinité ?
Je ne cède pour autant pas à cette futile provocation.
Le bouc en vous devrait faire davantage attention.
Ne sent-il donc pas,
L’essence mortuaire qui coule en moi ?

- « En quoi l’homme vous effraie-t-il ? »

Un satyre en péril ?
Permettez-moi de sourire,
Car la plupart de mes patients préfèrent souffrir.

- « Et en quoi pourrait-il avoir peur de vous ? »

Un prêté pour un rendu, après tout.

Les réponses apportées,
M’évoquent plutôt un être torturé.
Ainsi des deux patients qui se présentent en ce jour à moi,
Celui en quête des réponses n’est pas celui que je crois.
Quelle bien étrange constatation.
Et quelle délicieuse confession.

- « Si c’est la peur qui vous a mené ici, pourquoi l’avoir choisi lui ? »

Vous espériez donc uniquement un corps pieux à profaner ?
Permettez-moi de douter,
Que c’est un facteur aussi puéril qui vous a guidé.

- « J’ai entendu ce qu’attendait l’homme, mais que désire la bête ? »

Les mots sont peut-être rudes, mais je tiens tête.
Ma réputation me précède.

Cet animal dénote en tout point de ce qu'en raconte la mythologie.
Quelle bien intéressante entrevue pour faire son apologie.
Je me tâte à le pousser plus loin dans ses retranchements,
Mais serait-ce seulement raisonnable dans l'enceinte de cet établissement ?

- « Et qu'attendez-vous de ma part ? »

Outre me planter votre dard.
Certes, il serait là faire preuve d'une certaine vulgarité,
Mais n'est-ce pas ce qui nous attire tous dans l'aboutissement de certains péchés ?
Parlons plutôt de sa vulgarisation.
En la matière, quelle serait votre position ?

- « À moins que mon choix ne vous revient pas de droit ? »

Intéressant comme il me retourne ma propre question,
Comme si de par sa plus simple évocation,
J’avais ébranlé certaines de ses plus profondes convictions.

La réponse mérite de se faire désirer,
Ainsi je préfère me reporter sur le sujet premier.
Vraiment, un baiser ?

- « De ma part ou de la sienne ? »

Ne serait-il pas cocasse qu’à cela ne tienne ?
Une rencontre entre le prêtre et son démon,
Une propagande versus son sermon.

- « Qu’est-ce que les lèvres d’une professionnelle pourraient bien vous apporter ? »

Le choix de mon phrasé
Est soigneusement soupesé,
Dans le but d’un peu le titiller.