Jamais elle n'aurait dû se lever ce matin là. Quitter le confort et la chaleur de ses draps. Faire bouillir de l'eau sur un réchaud de fortune pour préparer sa tasse de café matinale. Répondre à ses messages tout en déchiquetant une tartine. Passer la porte d'entrée de cet immeuble pour partir travailler, tout en saluant les voisins de palier en leur souhaitant une bonne journée. Jamais. Elle aurait dû rester dans son lit, se porter malade. Penser à elle, pour une fois, et ne pas penser aux autres. Peut-être aurait-elle pu éviter tout ceci. Peut-être. L'oracle pouvait prédire bien des choses, mais son propre avenir restait semblable à un vaste océan de brume. Insaisissable. Nébuleux. C'est plongée dans cette innocence la plus totale, guidée par son rituel quotidien et ses obligations professionnelles, que la jeune femme quitta son logement pour rejoindre son bureau dans le quartier Ashmill, sans se douter un seul instant que sa journée serait entachée par la venue de perturbateurs.
Démarche légèrement chaloupée, regard de glace inconsciemment perdu dans le paysage urbain alors qu'elle traversait une ruelle commerçante, l'avocate gagnait du temps, sans s'en rendre compte, sur les événements à venir. La ville entière était secouée par les récents événements. Le Blackout. L'angoisse environnante prenait les habitants à la gorge, et la venue de renforts militaires n'arrangeait en rien l'ambiance générale. Pourtant, c'est avec une certaine décontraction qu'Alexandra se rendait sur son lieu de travail, parfaitement hermétique -pour une fois- au désordre général qui s'était emparé des rues. Aucun regard sur ces troupes policières qui apparaissaient au loin. Aucune attention sur les murmures qui s'étaient fait plus audibles, plus perceptibles. Rien. Comme si son propre instinct de survie s'était tue, pendant quelques minutes, caché prudemment sous cette peau de porcelaine battue par les bourrasques hivernales. A aucun moment la belle n'avait jeté ses iris claires sur ces silhouettes masculines, armées jusqu'aux dents. Alexandra s'était contentée de passer la porte de l'immeuble, gravissant une à une les marches pour se rendre au dernier étage.
Cours. Fuis. Loin. Le danger approche.
« Ah, y'a les flics dans la rue. » Le timbre sévère et menaçant de Rosa, la secrétaire afro-américaine, flotta dans l'air. Aucune réponse. L'attention de la blonde semblait désespérément accrochée à cette modeste feuille de papier. « Tu m'écoutes ? » Tonna-t-elle, comme un rappel à l'ordre maternant. « Mh mh. » Acquiesça-t-elle poliment en hochant de la tête, sans lever les yeux de sa lecture, le cul d'un crayon solidement retenu entre ses dents. Bien entendu qu'Alexandra ne l'écoutait pas. Cela faisait une bonne heure qu'elle n'avait pas quitté ce dossier papier des yeux. Depuis que l'électricité avant été coupée, les avocats de la ville avait été privé de leurs outils informatiques. Retour aux bonnes vieilles méthodes. Papier. Crayon. Huile de coude. « Ils arrivent ... » Marmonna-t-elle, plus pour elle que pour son employeuse car, visiblement, cette dernière ne l'écoutait pas. La présence voluptueuse de la secrétaire s'évapora brusquement, lorsque soudain. Toc. Toc. Toc. On tambourina à la porte d'entrée du cabinet d'avocat. Aucune réponse. Les épaules d'Alexandra ne tressaillirent même pas à l'écoute du bruit. Toc. Toc. Toc. Il fallut que la porte ne soit dégondée à coup de bélier, et qu'une véritable marée humaine ne s'infiltre dans son bureau pour que la jeune femme ne daigne lever ses perles azurées dans leur direction. « Bonjour. Je peux vous aider ? » Marmonna-t-elle prudemment, le crayon désormais extirpé de ses lèvres entrouvertes, visiblement perturbée par l'arrivée soudaine de ces policiers dans son bureau. « Vous cherchez quelqu'un en particulier ? Visiblement il n'est pas ici, car il n'y a que des honnêtes gens dans ce cabinet. » Certains policiers étaient déjà en train de fouiller maladroitement l'endroit, sous les regards effrayés des employés du bureau. S'il y avait bien quelque chose qu'Alexandra aurait dû prédire en se réveillant ce matin, c'était bien ça. Voyant que l'intervention commençait à mal tourner pour les locaux, la belle se releva de son fauteuil en cuir pour imposer sa frêle présence sur cet auditoire masculin. « Qui est le responsable ici ? Avez-vous un mandat qui vous autorise à venir dans ce cabinet ? »
Jamais elle n'aurait dû se lever ce matin là. Quitter le confort et la chaleur de ses draps. Faire bouillir de l'eau sur un réchaud de fortune pour préparer sa tasse de café matinale. Répondre à ses messages tout en déchiquetant une tartine. Passer la porte d'entrée de cet immeuble pour partir travailler, tout en saluant les voisins de palier en leur souhaitant une bonne journée. Jamais. Elle aurait dû rester dans son lit, se porter malade. Penser à elle, pour une fois, et ne pas penser aux autres. Peut-être aurait-elle pu éviter tout ceci. Peut-être. L'oracle pouvait prédire bien des choses, mais son propre avenir restait semblable à un vaste océan de brume. Insaisissable. Nébuleux. C'est plongée dans cette innocence la plus totale, guidée par son rituel quotidien et ses obligations professionnelles, que la jeune femme quitta son logement pour rejoindre son bureau dans le quartier Ashmill, sans se douter un seul instant que sa journée serait entachée par la venue de perturbateurs.
