Le Lunchroom Tasty était un resto' à la réputation sans précédent. Ici, la clientèle en avait pour son argent ; il était tout bonnement impossible de finir son assiette. Les plats servis étaient à l'image du gérant des lieux ; débordants. Il fallait dire que les employés suivaient son credo à la lettre " mieux valait trop, que trop peu ".

Occasionnellement, lorsqu'il y avait des coups de bourre, le patron lui-même aidait au service. En nage, bousculant les individus attablés de ses bourrelets flasques, sans vraiment le faire exprès. Gy' en fit les frais, alors qu'il s’apprêtait à mordre dans un maxi burger. Le rondouillard lui asséna un énorme coup de cul involontaire et le djinn finit avec le pif planté dans la garniture de son sandwich. « J'te garantis que s'il n'y avait que des fions comme ça, à tes séances de yoga, tu m'verrais jamais. » Qu'il maugréa, tout en s'essuyant le tarin à l'aide d'une serviette en papier. Il resta un instant focalisé sur la vue du maxi fessier, avant de reprendre ; « Ouais, donc, j'te disais ; Le boule qui m'parle le plus, c'est celui d'Mike. Y'a pas à chipoter. » C'était cela, leur sujet de conversation préféré - les pétards des autres yoguistes.


Le génie n’était pas particulièrement passionné par cette activité. D’ailleurs, lorsqu’il s’y rendait, c’était surtout pour faire le con. Et accessoirement, pour faire plaisir à Sophia, sa pote. Secundo, il en profitait pour se rincer l’oeil à gogo - En mode voyeur, il se plaçait en fond de salle et matait à loisir les formes des autres. Véritable dépravé.


Après chaque session, il faisait un débriefing à Miss Blues. Lui dévoilait son ressenti et ses intérêts. « Il est bien rebondi comme il faut,  étout. Tout ferme… Tout musclé. C’te croupe putain...  ! J'lui mettrais bien une pétée, à lui en déboîter les hanches ! » Un client, à côté, lui lança un regard interloqué. « Par contre, l’derrière de la p'tite nouvelle… Y’a du boulot. » Pouffa t-il, agitant sa main en un geste de sidération. « T'sais à qui elle m’fait penser c'te nana ... ? A Rasputia dans Norbit. »

”Tu as du bacon semi-croustillant spécialité du chef juste un poil au dessus de ta narine gauche”, répliqua Sophia qui esquivait les allées et venues des clients et serveurs avec une dextérité visible. Comme un pilote de formule 1 qui se penche un coup à gauche, un coup à droite pour chopper les virages, mais avec classe et passion s'il vous plait. On pouvait avoir des gestes cons mais les effectuer avec plus de snobisme et de pseudo majesté que tous le clan Kardashia réuni, s'il vous plait.

La jeune femme acquiesça. Ah Mike, disons que si son nom était Brant, Sophia accepterait sans probleme d'être une fnêtre pour qu'il la défonce, va-t-on dire. Il y en avait des comme ça dans ses cours de temps en temps, de jeunes poulains fringants prêts à se muer en étalons dès qu'ils maîtrisaient plus de trois postures.
Et qu'ils arrêtaient de se plaindre que les yoga-pants leurs serraient un peu trop les parties et allaient les rendre stériles sur trois générations. Ah les mecs...
En attendant, et par miracle comme à chaque fois que Pancras et Sophia se retrouvaient en tête à tête, le monde n'avait pas encore explosé. Pas plus que la ville.
L'un comme l'autre, ils ne mâchaient pas leurs mots, raison pour laquelle Sophia appréciait la compagnie du Djinn qui se montrait bien incapable d'être choqué de ce que pouvait dire la jeune femme. Et inversement. Elle l'appréciait assez pour le laisser venir gratos au yoga à vrai dire, et les observations de Pancras sur les autres membres du cours pouvaient parfois servir à Sophia. Parce qu'il avait toujours le bon mot pour décrire le derche des gens et trouver la forme parfaite qui correspondait. De quoi faire gagner du temps à Sophia pour penser les exercices en conséquences selon les niveaux de compétence tout autant que de fessier.
Elle picora sa salade un instant (avec supplément frites et bacons. Et oeuf. En plus du poulet. Toujours manger les familles ensemble après tout), toujours sans s'offusquer.

”Justement la nouvelle, j'te parie que j'vais te la rendre on ne peut plus motocultable avec seulement quelques suivis d'exercices bien pensés. Si elle s'y tient. Elle a du potentiel, faut juste le libérer.”

Et bien avant qu'Erato, muse de l'érotisme, ne se construise un petit nid hyper cocooning et feng shui dans l'esprit de Sophia, la jeune femme ne s'était pas arrêtée au corps des gens. Elle même s'était assez retrouvée mise à l'écart pour ne pas ressembler à d'autres...  

”Son problème pour le moment c'est qu'elle sait pas comment bouger, du coup ça accentue sa silhouette un maximum. Sauf qu'elle est extrêmement souple quand on la guide bien dans les positions. Elle doit sûrement se voir de la manière la plus négative au monde, qu'elle ait pris l'initiative d'un cours comme ça, c'est un grand début. Par contre Jonas, je sais pas ce qu'il a mais ça va pas et il le porte sur ses mouvements bordel... ”
Et, dit avec toute la tragédie du monde dans le ton : "Il dilate pas du tout ses chakras."

Lorsque Sophia commença à défendre la cause perdue qu'était sa nouvelle recrue, Gy' lui décocha une oeillade sceptique, un sourcil relevé. Merde, elle était sérieuse là ?! « Wololo, t'as vraiment de l'espoir toi ! » Qu'il pouffa, sarcastique. « Nan parc'que vu l'lardon, elle sera p'tet motocultable, genre, en 2060 et encore, j'suis sympa quand j'dis ça hein. » Canaille se gaussait de sa propre vilenie. C'est qu'il pouvait être infecte quand il le voulait. Encore plus que les biatchs des campus qu’on trouvait dans les séries américaines. « Puis eh, même, admettons ; C'pas tes séances qui lui changeront sa goule et sa psycho'. C'est qu'elle était vraiment biesse, cette fille. Encore plus collée que Gy'. Un exploit, en somme. J'monterais jamais une gonzesse comme ça à jeun. Par contre avec trois grammes, ouais, là, c'est p'tet faisable. » Parce qu’avec trois grammes, il finissait dans le lit de n’importe qui. Jusqu’aux vieilles complètement défraîchies, aux seins flasques et fripés.  


Sans gêne, il piocha une poignée de frites dans l’assiette de sa voisine. Parce qu’elles étaient plus dorées que les siennes, plus alléchantes. En fourra dans son gosier. « Nan mais sinon, ouais, à propos d’Jonas… J’crois qu’il déprime l’pauvre. » Il croqua dans son burger, duquel oignons, steack et cornichons se firent la malle, pour atterrir sur la table. Il ramassa ses ingrédients qu’il fourra pêle-mêle entre les pains. « ‘Parait qu’sa meuf l’a largué, alors que lui, il était super accroché t’vois ! Eh ben t’sais quoi ? … La nana est à fond dans l’cresson maintenant, sans déconner. » L’index et le majeur gras en ciseau, voilà qu’il imagea un cunni’ en mode gros dégueulasse. Irrécupérable. « Mais sinon, t’as qu’à d’mander, j’m’en occupe quand tu veux, moi, d’ton gars… Un sourire vicelard éclaira sa trogne. J’te l’dilate en deux-deux, paf paf paf !» Il frappa son poing dans sa paume ouverte. « Après ça, ses 'chakras' s'ront en mode " open-space" ! » Et voilà qu’il laissa échapper un rire crasse, pas peu fier de sa connerie.

Spoiler:

”Je suis faite d'espoir, d'amour, d'eau fraiches et de poils vu que j'ai eu la flemme de m'épiler les jambes ce matin.” Et bénis soient les collants et jambières moumoutes fluo pour donner ses cours, n'est-ce pas?  '”Le problème c'est aussi surtout que tu l'intéresseras pas je pense.”

Et de fait, la nouvelle n'avait pas besoin de quelqu'un comme Pancras. Sophia avait été sincère dans ses déclarations précédentes, prête à croire en elle et la soutenir jusqu'au moment où cette fille n'aurait plus besoin d'un regard extérieur bienveillant pour avoir assez confiance envers le sien propre.
Il y avait une muse en Sophia, une muse croyant à l'érotisme plus qu'en l'amour ou alors en l'amour aussi peut-être un peu mais sans jamais assumer. Cette part de divin, Sophia ne savait la comprendre, la reconnaître ou l'apprivoiser. Pas encore, cela viendrait peut-être mais pas encore..

Elle écouta ce que le Djinn avait à dire sur Jonas, fronçant les sourcils. Est-ce que l'autre venait au cours pour renier avec une pseudo part féminine en lui afin de reconquérir une belle qui ne voulait pas l'être? Mystère.

”Ecoute, si il te plait comme mec, vas y.” Elle-même ne le trouvait pas à son goût, qui plus est l'orgueilleuse jeune femme refuserait de se taper un vulgaire élève.
Standing, porte-feuille et érotisme quoi, merde.  Et devant ses yeux, Pancras bouffait avec toute l'envergure d'un désastre. C'était bien, c'était sympa, c'était cool et Sophia névrosait moins de faire une tâche ou une miette comparé à son ami qui semblait jusqu'à déconstruire les atomes mêmes du burger.

”Hm, semaine prochaine je prévois un cours acrobatique, on verra si tu l'as épuisé assez pour qu'il pleure au bout de la troisième position. De Yoga hein, les vôtres, ça vous regarde... Mais du coup, t'es un bon dragueur? Tu veux bien m'apprendre?”

Certaines choses de la vie méritaient un maître à penser après tout.

”Et tu as un bon de cornichon derrière l'oreille droite, je crois...”

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