Désolé Kostia. C'était chouette mais c'est plus possible. Faut qu'on arrête là. Je suis sûr que tu trouveras quelqu'un de bien :)

La vie, c'était vraiment de la merde.

L'écran brillait encore, de sa nuance couleur néon aveuglant, affichant ce maudit message composées de lettres noires et agressives. Quelques secondes abasourdi, fixant de manière incrédule la sentence. Et, comme on s'y attendait, les premières larmes s'écrasèrent avec force sur le portable, rapidement suivies par d'autres, plus grosses, plus franches, plus humiliées. Enfin, la rage qui montait, comme elle se devait de le faire. Les doigts pianotèrent avec ferveur sur un tactile récalcitrant - c'était l’inconvénient des larmes sur la technologie - un monologue beaucoup trop long, beaucoup trop sentimental, beaucoup trop ponctué de vulgarités suivis de déclaration d'amour.

Et qui, au mieux, recevrait un simple ok comme réponse. Ou pas de réponses.

Rien qu'à y penser, Konstantin lança son téléphone à travers sa chambre. Les mecs, c'était tous les mêmes : des connards. Des bons à rien juste capable d'aimer la chaire, pour mieux abandonner le coeur à la première occasion. Peut-être qu'il devrait tout plaquer, devenir moine, devenir ermite, s'exiler en Patagonie pour élever des lamas au sommet d'une montagne loin de la civilisation. Souvenirs d'un autre qui se joua sur ses paupières, comme pour lui montrer qu'il n'était pas le seul à subir des... déboires amoureux ? Kostia retint une poussée de nausée. Pas maintenant. Pas... ce truc, là, maintenant. En plus, c'était carrément pas pareil.

Non, lui, au moins, il avait le coeur réellement brisé. Plus jamais il serait capable d'en aimer un autre.

Effondré visage contre sa couette, le jeune homme chouinait, déversant des torrents d'humidité sur un tissu qui n'avait rien demandé. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Il ne comprenait pas. Tout allait bien, pourtant. En plus, il était censé manger dans sa famille la semaine prochaine, enfin rencontrer les parents de son copain. Ex-copain. Adieu la possibilité de profiter de la piscine dans la demeure secondaire en Floride, en plus. Non, vraiment, sa vie était pourrie.

De plus, de l'autre côté de cette porte qui resterait éternellement close, il pouvait entendre Petrus piaffer. Il devait avoir ramener la sœur d'un pote ou il ne savait trop quoi - il avait arrêté de suivre il y avait quelques années. Comment pouvait-il s'esclaffer et roucouler de la sorte alors que son petit frère, à même pas 50 mètres, voyait ses rêves et son futur mariage voler en éclats ?

Il n'y avait qu'une seule personne pour le comprendre.

Motivé, il file directement, sans prendre la peine de récupérer son portable. Ça aurait pu être bien, de prévenir la personne qu'il comptait aller déranger. Mais ça, ça ne lui était pas venu à l'esprit : quand son monde s'arrêtait de tourner, ceux des autres aussi. « Je vais chez Sophia. » annonça-t-il aux pas de courses, sous les railleries impertinentes et salaces du frangin, qu'il n'entendit qu'à moitié.

Sur le chemin, Kostia pleura encore un peu. Beaucoup, se mouchant avec un bruit épouvantable. Les yeux embués, il retrouva sans difficultés le chemin tant de fois effectué. Il s'arrêta à l'épicerie du coin pour acheter une bouteille de tequila. Ce n'était pas forcément sa came mais il n'aimait pas débarquer les mains vides. Et deux pots de glace au chocolat, pour la mesure.

Enfin, la porte apparut devant ses yeux et, sans attendre, il la martela de ses petits poings, en hurlant. « Sophiiiiiaaaaa. Sophiiiiiaaaaaa. S'il te plaiiiiiiit. Ouvre-moiiiiii. » Sa voix, rauque d'avoir tant pleurer, lui semblait venir d'un autre. Rien que d'y penser, il avait à nouveau envie de pleurer. Il allait vraiment désinstaller Grinder en rentrant.

Ce long bruit de “smurfl” très élégant qui résonnait dans sa cage d'escalier ne pouvait indiquer qu'une chose : Kostia était là. Pas besoin que le jeune homme gravisse toutes les marches jusqu'à l'étage de son amie pour que celle-ci l'apprenne : les bruitages de tristesse du slave, les crises de reniflement qui avaient plus de nuances que celles d'un simple cocaïnomane, tout cela montrait à Sophia qui bientôt s'écroulerait de tout son corps et de toute son âme sur le canapé du salon.
Prenant en note une fois de plus l'isolation phonique de l'immeuble, la jeune femme enleva le verrou de la porte d'entrée.

”C'est déjà ouvert, Ducon.” se contenta-t-elle de répondre lorsque Konstantin commença à appeler et pleurer et appeler et pleurer encore et encore.
Le souffle de ce garçon vraiment, une merveille ! Des talents cachés, le slave en possédait pas mal, c'était même lui qui avait appris à Sophia comment rouler les meilleures pelles au monde, dixit lui-même encore une fois. Ce genre de savoir, on était chanceux quand quelqu'un acceptait de le partager, putain...

”Cool, t'as pris une bouteille.” Et de la Tequila en plus, de quoi faire sourire la blonde avec presque un vrai rayon de soleil dans les lèvres et le coeur, poésie, alcool, tout ça tout ça. C'était beau quoi merde un ami dans le besoin mais qui vous apportait de quoi satisfaire votre besoin à vous en même temps. Lavoisier échange équivalent représente quoi bordel !
D'autorité, Sophia se saisit de la bouteille et l'ouvrit par des gestes presque un peu trop experts. ”C'est Jonas, c'est ça? hijo de puta, j'vais demander à Tia de lui envoyer le mauvais oeil tu vas voir. Il bandera mou sur sept générations ce connard.”

A supposer qu'avec un tel problème d'impuissance surnaturelle le Jonas en question puisse créer lesdites nouvelles générations, mais bon. Sophia et la logique...
Elle croyait en sa tante, elle croyait aux superstitions de sa tante qui pourtant n'étaient que cela : des superstitions.

”Vas y sors nous des verres... Bridget Jones 1 ou 2 alors? J'te préviens, Hugh Grant est pour moi, t'as promis.”

De son côté, Sophia se précipita jusqu'au congélateur pour en sortir les gros pots de glace qu'elle gardait toujours en stock en cas d'urgence. Sur la pointe des pieds, le meuble étant plus grand qu'elle et le rayon, bien haut, la jeune femme sortit ses trésors et alla se saisir des cuillères.

”C'est bon? Allez un shot chacun pour commencer et on trinque : Au prince charmant. Non non, bois, attends t'as mis de la morve dedans j'essuie...voilà c'est bon. Faut retrinquer du coup... Au prince charmant pour chacun de nous et cul sec ! “

L'alcool dévala dans sa gorge avec toute la force d'une rivière en feu. Aussitôt, la jeune fille secoua les épaules et les seins avec un ”Bordel” toujours aussi élégant. Bien, ils pouvaient maintenant commencer leur soirée improvisée...

La porte est déjà ouverte ! Gloire à Sat... Non, à Sophia, pardon. Gloire à Sophia, dans toute sa splendeur et sa grandeur ! Une porte qui s'ouvre et là, voilà, sa douce amie, auréolée par sa blondeur lumineuse. Vision de bonheur, il lui décroche un sourire plein d'espoir. Enfin ! Il ne mourrait pas seul avec ses 18 chats ! Non, il y a Sophia.

Elle l’accueille avec le sourire en plus. Vraiment un ange cette fille. Il avait toujours su qu'il avait fait le bon choix en lui parlant au lycée. Et pas seulement parce que c'était cool d'avoir une meilleur pote canon quand on était Kostia. Non non, parce qu'il avait bien senti que c'était une vraie, elle.

Pas comme Jonas dont le nom est prononcé à l'instant et lui arrache un nouveau sanglot. « Évidemment que c'est Jonas. Il... Ce connard... IL M'A LARGUE BORDEEEEEEL » Jeter comme une merde. Abandonner comme un vulgaire mouchoir usagé. Il pourrait continuer pendant des heures, à trouver des métaphores pour cet horrible événement de la vie tout en pleurant toutes les larmes de son corps.

Il a déjà dit à quel point il aime Sophia ? Quand elle lui parle des malédictions de Tia, les flots se tarissent et les pupilles humides se remplissent de constellations digne des plus belles photographies d'astronomie. Il lui saisirait bien les mains, à son ange gardien, lui promettant fidélité, alcool et entrées aux meilleurs endroits de la ville si elle était pas occupée à ouvrir cette foutue bouteille qui allait pas survivre à la soirée. Alors, elle a juste droit à ses grands yeux reconnaissants de cocker abattu.

Commandement donné, commandement exécuté. Il se lève en vitesse, direction la cuisine, pour se saisir de verres. Bon, elle parlait sûrement de shooter mais il venait de se faire larguer, quand même. Alors, il attrape des verres normaux. Comme ça, au fur et à mesure de la montée de l'alcoolémie dans leurs sangs, les shots seront de plus en plus grands. « Mets le 1, on enchaînera avec le 2 après. » hurle-t-il - mec, c'est pas un appart de 300m² tu sais ? - depuis la cuisine.

Aucun commentaire sur Hugh Grant parce que merde, il a vraiment promis ça. Il s'en souvient vaguement, goût de brouillard alcoolisé de sa dernière rupture. Fin, c'était qui qui l'avait largué à l'époque ? Dmitri ? Vadim ? Alexander ? Gustave ? Pas moyen de se rappeler... Bordel, il lui reste qui dans Bridget Jones a maté sans honte du coup ?

Les pots de glace sont sortis. Le film est lancé. Les premiers shots sont servis. Cette fois, c'est de bonheur qu'il pleure. C'est ça la vie. Bon, c'est sur que c'est mieux quand c'est un mec qui vous attend, surtout nu dans votre pieu mais franchement, la vie avec sa meilleure pote, ça lui suffit. Il pleure dans le premier. Un peu moins dans le deuxième. Et trinque avec coeur.

Puis ça se jette dans le canapé et ça commence à bouffer la glace comme s'il y avait pas de lendemain. Au bout de cinq minutes de film, ça balance la question fatidique. « Sophia... Tu crois vraiment qu'on va trouver le prince charmant ? T'as des pistes toi ? »

Ca y est, après les larmes venait le Temps des Grandes Questions. Sophia renifla, la cuillère de glace dans la bouche. Le parfum menthe-chocolat accompagnait à la perfection son dédain...
Elle pensa aux hommes dans la rue, à ceux qui trouvaient toujours le moyen de lui foutre une main au cul ou de siffle en la voyant. En voyant d'autres femmes aussi. Connards.
Dans le film, Hugh Grant avait ce côté bad boy pas déplaisant, mais toujours gentleman, toujours british. Il y avait des british à Arcadia d'ailleurs? Genre des vrais, débarqués tout droit de là bas quoi...
Elle reposa la cuillère pour boire une gorgée d'alcool. Dieu merci, ce n'était pas du whisky coca, Kostia était capable de tuer quelqu'un avec un tel mélange, mais de la tequila. Pas de la mauvaise d'ailleurs, ça se savourait bien.
Ca se savourerait mieux sans cette putain de question ceci dit.

”Le prince charmant? Ouais il va venir pour toi, t'inquiète pas. “ Konstantin et ses yeux de biche, avec ses longs cils il faisait bien plus princesse que son ami après tout. Sophia, elle faisait quoi, elle? Dans le miroir, il n'y avait que le vide. Son reflet était ainsi, et la jeune femme ne comprenait pas ce qu'elle pouvait inspirer, ni pourquoi. Quant à la Muse en elle...les règles du jeu avaient tellement changé, de même que la place des femmes. Qu'était l'érotisme aujourd'hui? Sophia peinait à le comprendre.

”Moi je passe mon tour, j'mords trop fort.”

Elle ricana, ou du moins voulu faire croire qu'elle ricanait, s'amusait. Se moquait. La solitude était effrayante, Sophia la sentait dans chaque coin de son appartement. Elle comprenait Kostia, elle comprenait ses pleurs, son envie d'être aimé. Elle-même brûlait de ça, mais aimé par qui?

”J'attends pas le prince charmant, j'attends quelqu'un de prêt à tout pour moi, y compris des choses effrayantes. Non, surtout des choses effrayantes au fait... Au moins c'est cool, on chasse pas sur le même territoire.”

Cette fois-ci, ce fut un bâillement qu'elle étouffa. Un geste plus sincère que son rire précédent. L'hybris de la jeune femme profitait de sa torpeur pour se réveiller, le plus naturellement du monde Sophia enleva son pull, déboutonna son jean. Kostia ne réagirait pas, elle le savait. Il serait plutôt du genre à aider, en tout bien tout honneur vu que monsieur ne mangeait pas de ce pain là. C'était pas bien de toutes façons de juger le régime alimentaire des autres, alors...

”Tu m'aides avec le soutif?”

A moitié nue, il ne restait plus que cela à Sophia. Les jambes repliées sur le canapé, la jeune femme n'offrait pas pour autant son corps au regard. Elle était là, simplement, de la même manière qu'elle était nue, et rien d'autre.

”ton ex c'était pas un prince de toutes manières, sérieux tu lui payais le resto à chaque fois... Il oubliait toujours son porte-feuille, soit disant.”