A moment out of time (Daniil) - Lun 16 Avr - 12:10
A moment out of time
Daniil Kvasov & Aman Fitzgerald
Ça faisait longtemps qu’il n’avait pas mis les pieds dans un bar. L’atmosphère tamisée, les choix musicaux toujours aussi douteux, les quelques types louches assis dans leurs coins – en tout cas, rien n’avait changé à l’inferno. Aman appréciait ce genre d’endroit, où il pouvait se sentir invisible, fondu dans la masse, sans paraître hors du décor, sans que personne vienne l’emmerder. Pour quelqu’un qui aimait être au centre de l’attention, il avait ces derniers temps de plus en plus le besoin de se poser pour réfléchir, pour faire le point.
Comme un vieux, se dit-il avec un sourire en coin, en commandant un coca, lançant un nouveau regard dans la salle du bar. Un homme était en train de se lever difficilement du comptoir pour trébucher à moitié sur ses pieds. Une des raisons pour lesquelles il ne venait pas souvent ici. L’absence d’alcool dans sa vie était plus culturelle qu’autre chose – n’ayant jamais été du type religieux – mais ça lui donnait parfois un sentiment de supériorité non négligeable, à voir un type dans ce genre-là, à peine capable de tenir debout, les mouvements mal coordonnés et les yeux vitreux. Aman avait ses propres moyens de se faire du mal quand le besoin s’en ressentait. Il jeta un coup d’œil sur son portable, juste pour voir l’heure. Il était tard, plus tard que prévu, mais Aman ne s’en faisait pas. Daniil était rarement à l’heure, mais il finissait presque toujours par se pointer.
Une drôle de relation qu’ils avaient, tous les deux. A vrai dire, ils ne savaient pratiquement rien l’un de l’autre, si ce n’était les circonstances dans lesquelles ils s’étaient rencontrés, un visage qui était devenu familier au fil des jours où il se pointait pour voir ses spectacles de rue. Ils s’étaient vus quelques fois depuis, et Aman n’avait rien apprit de plus de Daniil, si ce n’était son besoin apparemment énorme de se détendre, de passer un moment à parler de rien. Aman ne s’en plaignait pas – il ne pouvait pas prétendre que ce n’était pas bénéfique pour lui également. Un moment hors du chaos qu’était Arcadia, hors de l’atmosphère étouffante de sa vie actuellement, juste un moment pour se changer les idées, c’était plus qu’agréable. « Deux dollars » La voix bougonne du barman l’interrompit dans ses pensées et il baissa les yeux, une main plongée dans sa poche pour en ressortir vide. Damn. Il n’avait rien sur lui. Il résista l’envie de se frapper, quand l’idée lui vint, comme un instinct auquel il était impossible de résister. Inspirant légèrement, se donnant l’air confiant, il releva la tête vers le barman avec cette sensation unique, comme une boule au ventre, une pression sur le diaphragme.
« J’ai déjà payé ». Le Barman le regarda avec une tête de poisson hors de l’eau - pourquoi avaient-ils toujours l’air si figé ? – avant de cligner des yeux, une fois, deux fois, et d’acquiescer sans rien dire pour retourner à essuyer ses verres. Aman étendit la main, se saisissant lentement de la bouteille avant de la ramener vers lui. Quatre fois. Quatre fois que ça lui arrivait. C’était beaucoup trop pour être une coïncidence. Quatre fois qu’il avait ces picotements dans les doigts, ce sentiment d’être à bout de souffle, comme s’il avait couru un marathon. Aman fixait toujours du regard sa bouteille avant de détecter une forme familière au coin de son œil. Daniil s’avançait vers lui.
Aman se redressa précipitamment, essayant par tous les moyens de paraître naturel. Il afficha un sourire taquin sur son visage et tâcha de ne pas trahir son cœur battant à cent à l’heure. « Daniil, hey ! J’ai cru que t’allais me laisser en plan »
A moment out of time (Daniil) - Mer 25 Avr - 18:57
A moment out of time
Il presse le pas, vérifie trois fois sa montre, la maudit de ne pas être en avance et accélère un peu plus. Il se dit qu’il devrait faire plus de sport. Il a été appelé à la dernière minute par une stagiaire perdue avant de quitter son service. Il a vu ses yeux affolés, ses mains cachées dans le pan de sa blouse pour cacher leur tremblement. Il a à peine entendu les mots sortir de sa bouche quand elle lui a dit qu’il y avait un problème avec Hugo. Il est arrivé dans la chambre que l’enfant était déjà pris en charge, mais la stagiaire allait sans doute plus mal que lui. Il n’a pas eu de mal à lire les remords dans ses traits, dans sa lèvre mordue, dans son regard fuyant. Il n’a pas eu de mal à comprendre qu’elle se sentait inutile et qu’à la lumière de ce seul accident, elle remettait en cause toutes ses études. Alors il lui a parlé, l’a convaincu de revenir demain. Et il la convaincra de revenir le lendemain, jusqu’au bout de ce stage si c’est vraiment ce qu’elle veut faire. Maintenant il est en retard et il déteste ça. Pas tant le fait de faire attendre les gens (quoique ...), c'est la perspective de faire poireauter Aman qui remue quelque chose de désagréable en lui. Avec le brun, c'est la promesse d'une soirée tranquille, sans prise de tête. Pas d'histoire de mafia, de Bratva, de runes, de vengeance, de trahison, de sang et de profits. Il n'y a que les rires qui ponctuent la soirée. Il n'y a pas de cris, de coups et de douleurs. C'est tout ce dont Daniil rêve, tout ce dont avec quoi il veut remplir sa vie pour chasser le reste. Ça lui irait si ce n'était que ça, quelques problèmes sans importance en plus. Ça lui irait si son seul dilemme était de choisir entre manger un bon repas ce soir ou aller au cinéma. Il rêve d'une vie banale à crever. Et même si Aman est tout sauf ennuyant, ce dernier lui promet une soirée normale. Il ne connait pas grand-chose à la vie du jeune homme. Il n'a pas osé s'y intéresser. Parce que c'est malsain, de vouloir connaitre les gens par le biais des runes, parce que ces dernières ne lui montrent que ce qu'elles veulent lui dévoiler, parce qu'il ne veut pas que son don empiète sur sa vie privée, parce qu'il ne veut pas que la Bratva le transforme en voyeur. Aussi parce qu'il a peur de ce qu'il pourrait trouver. Aman n'est avec lui qu'un pote avec qui le temps passe plus vite et légèrement, avec qui les conversations peuvent s'éterniser sans devenir lourdes, sans qu'il n'y ait de tensions. Il ne veut pas apprendre quelque chose qui remettrait tout en cause, qui détruirait tout ça et qui rendrait les souvenirs amers. Il ne veut pas perdre un de ses seuls liens avec le monde « normal », sans dieux ni monstres.
Il finit par rentrer dans le bar, fait le tour de la salle avec son regard. Magnus n’est pas de service. Daniil ne sait pas si c’est une bonne chose. La pensée disparait quand il aperçoit Aman qui semble aussi troublé que le barman. Il s’avance, s’apprête à poser une question quand tout disparait d’un coup, Aman l’ayant vu. Le Russe ne fait pas de commentaire, remplace ses interrogations par un large sourire alors qu’une joie simple remplace la contrariété de son retard. - Daniil, hey ! J’ai cru que t’allais me laisser en plan. L’intéressé rit légèrement en s’asseyant à côté du danseur. Etrange manière de se rencontrer, mais les spectacles du groupe d’Aman ont su le charmer davantage que bien des paroles. Spectateur régulier jusqu’à parler au jeune homme, les voilà aujourd’hui, presque inconnus, bien qu’Aman, sans le savoir, soit devenu une des bouées légères de Daniil. - Jamais ! J’ai eu un soucis à l’hôpital, désolé. Il commande une bière au patron, regarde avec curiosité la mousse se former et y trempe ses lèvres avec plaisir, la fraicheur de la boisson remplaçant la chaleur de sa course. - Comment tu vas ? La question est plus polie qu’autre chose, il ne s’attend pas à ce qu’Aman lui révèle véritablement ses états d’âme du moment. Ils ne se connaissent pas assez pour ça et Daniil, il est vrai, ne fait pas vraiment d’effort pour pallier ce fossé. Autant pour se protéger lui-même qu’Aman. - Et le groupe ? J’espère que je pourrai aller voir votre prochain spectacle.
