La tête qui se vide, petit à petit. Les yeux fermés, parfois, sous l'effort.
Aucune image, sous les rideaux de chair. Un instant où seule la sueur prime, sans pensées parasites, la fatigue balayant tout. Un monde dans lequel je peux évoluer sans qu'aucun ne soupçonne le but de cette initiative, sans se douter un seul instant que c'est pour mieux préparer un chapitre final que je m'échine à renforcer des bases qui avec les années avaient été rendues branlantes. Le muscle a dû renaître là où il s'était un peu laissé aller. Deux ans de préparation, des exercices parfois partagés à Thomas, dans le silence qu'apportent ironiquement les écouteurs vissés aux oreilles.
Musique, pour effacer les êtres. Un court instant, il danse dans ma mémoire. Les paupières qui s'ouvrent à nouveau, face à la fin de l'exercice.
Souffle agité. Poitrail se soulevant. Jambe souffrante. Esprit en perdition. Regard qui se pose, sur l'ensemble visible. Un morceau d'iceberg, à la surface, qui cache tant sous ses eaux glaciales et profondes. Yeux qui te remarquent, une nouvelle fois.
Nouvelle inspiration. Attention qui se détourne déjà du personnage que tu incarnes, de cette ombre qui est sortie du noir de maigres fois déjà, juste ce qu'il fallait pour que je te remarque désormais.
Quand bien même je suis encore persuadé de ne t'avoir jamais vu auparavant. Main qui se tend, vers la bouteille d'eau, pour en prendre quelques gorgées, pour éviter à la sueur de me dessécher sur place. Pulsations par minutes qui se calment, avant que je ne me relève, jambe qui se traîne dans des râles que seul moi peut entendre.
Cesse tout ça, idiot.
Prochaine série.
Ne pas écouter les plaintes du corps. Esprit qui revient à la normale, se laisser bercer par le rythme à tenir, par les injections naturelles de dopamine. Prendre l'habitude pour le dos de supporter des poids, des torsions. Préparer le tout à ce qui l'attend, dans le futur.
Je me dois d'être méthodique, pour me préparer à la paraplégie. Encore. Encore. Encore. Repousser les limites, un peu plus à chaque fois, se laisser envahir par cette espèce de rage qui sommeille depuis trois ans. Cesser dans un râle douloureux, une main qui vient se planter sur la cuisse malade. Constater que le muscle est contracté, qu'il semble encore plus à se creuser.
Ça ira. Mains qui tremblent, qui s'en vont vers la bouteille, pour en dévisser le bouchon.
Un raté. Eau restante qui s'étale sur le sol.
Et merde...Inspirer. Expirer. Faire comme si de rien n'était.
Tout ira toujours. Y croire, maintenant. Pogne qui revient par dessus la cicatrice, qui masse, du bout des doigts, pour débloquer la jambe, pour me permettre de me lever. Attendre, sagement, que le corps veuille bien agir comme je l'entends.
Retirer les écouteurs, reprendre conscience du monde. Il n'y a plus qu'à respirer.