21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
C'est un quartier entier qu'elles traversent en silence. Fiona ne lui parle pas, ne demande pas à calmer la plaie, ne préconise pas l'arrêt du sang qui s'écoule dans son corps. Elle frôlera certainement l'hémorragie interne dès lors qu'elle se sera allongée dans ses draps. C'est la pression qui redescend, les derniers événements qui s'estompent. Ou pas vraiment. A la vue d'Ikaar, elle secoue simplement la tête, signe de ne pas lui adresser la parole. Pas de question, pas de panique, elle en a assez pour ce soir. C'est Asrun qui monte avec elle jusque ses appartements. C'est Fiona qui s'observe dans le miroir, elle et tout le sang qu'elle transporte encore, mémoires aux tombés sous les coups. « Je ne comprends pas comment cela a pu dégénérer à ce point. » qu'elle annonce. Est-ce elle qui a tout déclenché ? Est-ce son besoin de trouver des réponses, son inquiétude quant à l'avenir, qui les a tous mené à un chaos pareil ? C'est la gorge qu'elle monte à Asrun pour l'inviter à la soigner. « Il y avait quelque chose de maléfique dans ce Manoir. J'espère sincèrement que la Nuova Camorra n'a rien à voir avec ça. » Sinon tout serait terminé, et elle jugerait nécessaire de laisser la colère se déchaîner. Les dents se serrent lorsque les tissus se resserrent, se retrouvent. Un frisson sous les doigts salvateurs, dont elle ignore la véritable signification. C'est vers la baignoire qu'elle se dirige par la suite, dans la salle de bain voisine. C'est le robinet qu'elle ouvre, c'est l'eau qu'elle fait couler. C'est Asrun qu'elle regarde, prête à lui laisser son intimité. « Reste. S'il te plaît. » que Fiona lui demande. Il n'y a plus de force sur son visage. Il n'y a plus la muraille de colère, ni même l'indifférence qu'elle affichait. Ses traits se tirent au fil des minutes.
Elle ne disait rien. Docilement, elle avait obtempéré, sans réellement savoir ce qui la poussait toujours à suivre ses pas. Les poings enfoncés dans les poches de son veston, elle contemplait les pavés qui, au fil de son ascension, s'éloignaient peu à peu. Elle n'avait pas relevé les yeux un seul instant. Une fois de plus, elle marchait dans l'ombre de cette femme qui lui inspirait tant d'émois. Comment la situation avait-elle pu déraper de la sorte ? Ce qui s'était réellement déroulé là-bas, Asrun l'ignorait. Elle n'avait assisté qu'aux vestiges d'une guerre éternelle. A dire vrai, elle n'avait pas conscience des enjeux. Elle se trouvait à mille lieux de cette grotesque famille dans laquelle elle avait grandi malgré elle. Et, lorsqu'elle les regardait, ce qu'elle ressentait n'était qu'un vide profond, abyssal. Elle ne faisait pas partie de cette cohue impétueuse et divine. Elle n'était qu'une pathétique compresse, que l'on acculait sur les plaies. Alors, lorsqu'elle talonna Fiona jusque dans ses appartements, Asrun n'adressa qu'un vague rictus à son frère. « Je l'ignore. » Et elle soupira lourdement, s'approchant prudemment d'elle pour refermer sa plaie d'un simple mouvement de la main. « Je J'ai l'impression qu'il ne se passe jamais rien de bon depuis que... » Il n'y avait aucune rancune dans le timbre de sa voix, seulement une profonde tristesse. Elle suivit Fiona du regard après cela et, silencieusement, recula pour lui laisser l'intimité qu'elle attendait. Cependant, la supplique de cette dernière vint l'arrêter dans sa fuite. Rester... Asrun inspira bruyamment, jetant un œil en direction du plafond dans l'espoir que le ciel ne lui accorde ne serait-ce qu'un brin de répit. Mais en vain. Alors elle rejoignit son amie d'enfance, arborant une moue peu à l'aise. Délicatement, elle ajouta ses gestes aux siens pour l'aider à retirer ses vêtements maculés de sang. Ses mains tremblèrent quelques fois, mais Asrun ne pipa mots. Elle la soutint par le coude lorsqu'elle enjamba la baignoire, puis s'agenouilla auprès d'elle afin de rincer ses cheveux. « Je ne devrais pas être là... » Et elle détourna la tête dans un souffle douloureux.
J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...
21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
Elle ignore tout, Asrun. Elle n'était pas là. Fiona estime qu'il en est mieux ainsi. Elle n'aurait pu se contenter de protéger les siens, car sa présence aurait certainement motivé à surprotéger l'amie d'enfance. Malgré les différents, la rancune et la honte, Fiona l'aurait gardée tout contre elle, à espérer que rien ne lui arrive. Et c'est bien la seule bonne nouvelle de la soirée : Asrun est en vie, et en bonne santé. « J'ai demandé des réponses. Ils m'ont répondu avec du sang. Beaucoup reviendront blessés cette nuit. » Elle le craint, elle le sait. Elle la laisse s'approcher, poser ses mains partout sur son petit corps pour la dénuder. Les gestes envoûtent le crâne, bercent l'épiderme dévasté par la colère. « Il en a toujours été ainsi. Lorsque nous étions enfants, nous n'en avions pas conscience. Nos parents faisaient en sorte de préserver l'innocence. Aujourd'hui nous avons hérité de leurs guerres. » Et du vermeil qui en découle, preuve en est la peau tatouée de rouge. L'eau lui arrache un frisson, fébrilement des muscles qui essaient vaguement de se détendre. Elle ne se recroqueville pas. Laisse les courbes se dissimuler d'elles-mêmes sous les flots. N'a aucune pudeur face à Asrun. Jamais. Les mains qui chahutent avec la chevelure. Eithne qui fourmille sous la carne, à flirter avec l'absurde. « Ta place est auprès de moi. Il en a toujours été ainsi. » Elle ne veut pas raviver le chagrin. Mais au-delà du frère, elles ont toujours été liées. Fiona tourne la tête, pose délicatement la paume sur la sienne, à gober sa chaleur, vriller sous la caresse. « Je te remercie. Pour être restée. Pas seulement ce soir. » Elle ignore si elle aurait pu continuer sans elle, tout ce temps. Si elle aurait su tenter de se pardonner. Si elle n'aurait pas tenter de se tuer. « Je sais que tu me détestes, et que cela est difficile pour toi. »
Asrun n'écoutait plus véritablement les mots qui s'échappaient des lèvres de son amie. Elle ne percevait plus que le tintement coupable de son petit cœur. C'en était absurde. Cela faisait des années, maintenant, qu'elles n'avaient pas été si proches. Elle faisait toujours son possible pour se dérober à son joug. Et Fiona, elle, ne cherchait jamais à la retenir. Pourtant, ce soir, Asrun se retrouvait là, à son chevet, comme l'on essaye de bercer un bambin victime d'une température bien trop haute. Et la fièvre ne s'en trouvait pas très loin finalement. Alors, lorsqu'elle se décida enfin à poser ses prunelles vers elle, ce fut pour secouer doucement sa petite tête. « Non, tu ne comprends pas... » Elle voulut se redresser sur ses jambes, mais son corps n'écouta pas les plaintes dévastatrices de ses synapses. Les larmes vinrent brûler la rétine. Comme toujours, Fiona n'était plus qu'un torrent inextinguible à son âme. « Je ne devrais pas être là », qu'elle insista. Non, elle ne devrait pas être là. Elle ne devrait pas la voir ainsi; les courbes offertes et la peau nue. Mais Fiona ne savait rien de tout cela. Elle n'avait pas conscience de ce qui se tordait entre ses côtes. Alors elle retira d'un mouvement vif sa main lorsqu'elle sentit celle de son amie. Elle n'avait pas le droit d'agir ainsi, de l'effleurer de la sorte. Un brin de colère la fit soudainement frémir, tandis qu'elle peinait à se relever. « Ce n'est pas toi que... je déteste. Dans le fond. » A l'instant du moins, c'était elle-même qu'elle haïssait. Parce qu'elle aurait dû la détester plus fort encore, plutôt que d'espérer le geste qui pourrait changer la donne. Elle passa une main dans sa chevelure, profitant de cette nouvelle distance pour emplir ses poumons d'oxygène. « Je ferais mieux d'y aller... » Elle osa pourtant l'observer une fois de plus. Elle n'avait pas envie de partir. Mais elles n'étaient bonnes qu'à se détruire désormais. Et, elle savait que le moindre souffle de sa part suffirait à l'écrouler.
J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...
21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
Elle s'agite un moment, son âme. A écouter les mots qui finissent par bercer les tympans. Elle se demande ce qu'elle peut faire pour briser cette distance qui les unit, et à la fois les disperse. Elles étaient si proches, autrefois. Si fusionnelles, jadis. Mais le feu a brûlé ce qu'elles possédaient. Et pourtant maître de ces flammes, Fiona ignore comment les chasser. A la vue des larmes qui pâlissent les yeux de sa comparse, la rousse se fustige. L'a-t-elle, une fois de plus, blessée malgré elle ? Elle ne comprend pas, ni l'iode, ni la fuite d'Asrun. Mais elle la respecte, pourtant. Ne cherche pas à déchiffrer les affres douloureux. Lui laisse l'écart dont elle a besoin. Respecte son choix de l'éviter. « Je ne comprends pas... » qu'elle lui avoue, sincère, douce comme elle ne l'a pas été depuis longtemps. Mais elle ne pose pas de question. Elle n'en pose plus depuis longtemps, par simple précaution, envie de la préserver. « Si tu ne veux pas me parler, ne le fais pas. » ça lui brise le coeur, ce qu'elles sont devenues. ça lui fait mal, ce qu'elles sont aujourd'hui. Mais elle n'est pas Reine de ce qu'elles représentent. C'est Asrun la seule couronnée. Alors elle se penche en avant, pousse les cheveux pour lui offrir son dos endolori, cache les tristesses qui se noient sous ses pupilles. « Tu es libre de partir si tu le souhaites. Je ne te retiendrai pas. » Elle ne le fera jamais. Pourtant, elle tourne les yeux vers elle pour la contempler. Elle, qui a bercé son existence. Elle, qu'elle aime profondément. « Mais ta présence adoucit ma soirée... » Elle panse un peu les maux qui l'agitent encore. « Reste, je te le demande. Pas en tant que Reine. En tant que... moi ? » Elle lui adresse un léger sourire teinté de tristesse.
Rester, toujours rester... Asrun se mordit la lèvre pour taire le hurlement d'abandon qui grondait entre ses reins. Tout ceci n'avait plus aucun sens. Elle aurait aimé lui délivrer le fond de sa pensée, cette impétueuse vérité qui l'obligeait, chaque jour, à la haïr de plus en plus fort. Mais les années lui avaient écorché la langue et, elle n'était désormais plus en mesure d'admettre quoi que ce soit. « C'est... trop dur. D'être ici... » Là était la plus bête des conclusions. Plonger en elle était une cicatrice supplémentaire à toutes celles qu'elle possédait déjà. Alors, elle baissa doucement sa petite caboche, la gorge nouée. « Ça serait... tellement plus facile si tu... comprenais de toi-même. » Mais il ne fallait pas être naïve; Fiona n'avait pas toutes les cartes pour assimiler l'horrible vérité. Alors lorsqu'elle lui demanda, une fois de plus, si elle pouvait rester Asrun ne se résigna pas à la laisser. Elle inspira plus bruyamment encore que la première fois et reprit sa place initiale. « Pas longtemps... » Elle songea à toutes les séances qu'elle s'efforçait de suivre, aux nombreuses nuits qu'elle passait auprès d'Elise dans ses rêves. Mais il suffisait finalement d'une plainte de Fiona par que tout cela ne s'envole en fumée. Elle se saisit d'un linge qui trônait là pour le passer délicatement le long de sa colonne, effaçant ainsi les derniers vestiges de cette nuit pourpre. Ses doigts effleurèrent un court instant la base de sa nuque pour descendre jusqu'à ses omoplates, puis s'évanouirent dans l'eau tiède. « Tu n'as jamais été une Reine pour moi. Juste toi. », qu'elle lui murmura doucement. Parce que Asrun se fichait pas mal de ces histoires de pouvoir. A dire vrai, ce qui importait véritablement ne résidait pas là-dedans. Il se trouvait ancré entre les battements irréguliers de son myocarde. « Voilà, je crois que ça y est... » Là, penchée vers son visage, Asrun aurait pu tout occulter; le sang, le feu et la mort. Elle aurait pu, oui. Mais elle se redressa imperceptiblement malgré tout. « Tu ferais bien d'aller te reposer maintenant. »
J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...
21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
C'est dur, qu'elle lui dit, Asrun. Et Fiona ne comprend pas. Et en même temps, assimile l'information. Est-ce la douleur qu'elle lui inflige à chaque fois qu'elle pose les yeux sur elle ? Est-ce le souvenir de cette nuit enflammée qui se ravive à chaque nouvelle oeillade ? Elle ne le sait pas. Peut-être ne le saura-t-elle jamais. Elle se contente simplement d'un sourire évasif. D'une palpitation dissimulée. « Cela fait quatre ans que nous sommes devenues des inconnues. Peut-être que cela influence mon incompréhension. » Elle hausse doucement les épaules, laisse le tissu caresser sa chair, faire virevolter le palpitant lorsque ce sont les phalanges qui l'apaisent. Mais le clairon sonne déjà la fin de l'intervention. Alors elle contemple le visage d'Asrun. Epie les moindres détails, les moindres tressautements de la viande. « Je suis trop souvent la Reine, ces derniers temps. ça me fait du bien d'être... seulement Fiona. » Elle est sincère. Elle aimerait que tout soit plus simple, mais malgré le comportement parfois maternel, elle n'est pas aisément elle-même. Elle lui offre un sourire, secoue doucement la tête à l'appel d'un potentiel sommeil. « Je n'ai pas envie de dormir. Toute mon adrénaline est encore là. Et le reste... » C'est une chaleur palpable qui se dégage, mais le contrôle est magistral. Le feu, mélange de douleur et de colère, bien ancré en elle. « Je serais incapable de dormir pour l'instant. » Alors elle la fixe. Et elle soupire. Et elle sort la main de l'eau pour la tendre vers elle. A s'arrêter à quelques centimètres de son visage. A hésiter. « Cela faisait si longtemps que nous n'avions pas été si proches... » Les lèvres se pincent. « Est-ce égoïste de te demander de rester davantage.. ? J'ai l'impression que ce n'est qu'une parenthèse, que lorsque tu auras passé cette porte, tout redeviendra comme avant. » Alors elle lie les mains, fait les gestes qui proviennent du myocarde. Je ne veux plus te perdre. Qu'elle lui confie, les yeux sincères qui font sommeiller quelques larmes à son tour.
Elles n'étaient pas même des étrangères. Elles n'étaient rien. Voilà ce que les années avaient bâtis. Elles n'étaient plus qu'un vide béant dans lequel elles se perdaient toujours plus. Alors elle lui offrit un sourire peu assurée, mais infiniment sincère. Elle ne dit rien pour autant. Elle savait intimement qu'ouvrir la bouche à cet instant ne lui apporterait rien de bon. Des main se baladèrent quelques instants sous son nez et, Asrun hésita à s'en saisir. Tout son être lui criait d'attraper cette main salvatrice pour la porter à ses lèvres. Mais il y avait toujours cette part d'elle-même qui ne pouvait s'empêcher de se fondre dans le marbre. Pourtant, son myocarde s'emballa légèrement, comme le ferait celui d'une adolescente fébrile. Ses lèvres s'entrouvrirent sur une supplique silencieuse. Seulement, elle laissa le silence les envahir une fois de plus. Cela aurait pu être simple entre elles. Et, dans un lointain nébuleux, elle en était convaincue. Cependant, il aurait d'abord fallu avouer l'inavouable. Les gestes qui écrivirent quelques émois dans l'atmosphère lui firent baisser les yeux. Elles non plus, elle ne voulait plus être loin d'elle. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Je n'ai jamais cessé de t'aimer..., qu'elle mima alors, la gorge serrée, mais ce n'est pas aussi simple pour moi... Elle se remit sur pieds, s'agitant tel un animal craintif. Peut-être que la rédemption se trouvait là, à travers cet aveu douloureux. Avait-elle seulement le droit de faire cela ? Que penserait Havkan s'il voyait cela ?..... mais il n'était plus là. Alors, lorsque Asrun s'immobilisa ce fut pour caresser une fois de plus l'air: J'étais amoureuse de toi...
J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...
21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
Alors elle observe. Alors elle frémit. Les muscles se tendent, un à un comme les pièces d'un échiquier. Il y a le coeur qui fait des haltes soudaines dans sa cadence. Il y a le cerveau qui essaie d'acheminer l'information. Et tout le reste qui lutte pour trouver une logique. Et lorsque les souvenirs viennent à reparaître, elle semble comprendre. Il y a des paroles qui trouvent une traduction. Des gestes qui trouvent une nouvelle émotion. « Je... » ça stagne dans la chair. Il y a ces adolescentes qu'elles étaient autrefois, à flirter avec le vent, à se cajoler. Elle la pensait innocente, tandis qu'elle l'imaginait parfois sous ses draps. Fiona n'a jamais su une seule seconde que la carne s'agitait en même temps que la sienne. Elle l'a épiée, pourtant, l'a désirée, un temps. Mais elle n'a jamais osé le lui dire. Et Asrun non plus, visiblement. Silence persistant qui a régné pendant si longtemps. C'est l'apogée de deux âmes muettes. Et elle s'enfuit, Asrun. Comme elles l'ont toujours fait l'une l'autre. « Pourquoi ne me l'as-tu jamais dit ? » c'est ce qu'elle lui demande. Parce qu'elle ne comprend pas. Parce qu'elle l'a blessée davantage qu'elle ne le pensait, tout ce temps. Parce qu'elle lui a fait plus de mal que n'importe qui sur cette terre. Pourquoi ? lui demande-t-elle du bout des doigts. Ce sont des larmes qui guettent son regard, alors qu'elle se lève pour quitter le bain. C'est un peignoir qu'elle attrape rapidement pour l'enfiler et lui faire face. Alors elle s'accroche à elle. Elle vient la serrer contre elle, elle vient coller sa joue contre la sienne, laisse l'iode mouiller sa peau. « Asrun ! Je suis tellement désolée ! J'ai été... tellement aveugle, et tellement... idiote. » C'est la seule chose qu'elle parvient à lui dire. Parce que c'est ainsi qu'elle se sent. Parce que c'est ainsi qu'elle ressent.
L'aveu était enfin dit. Asrun sentit le poids de toutes ces années laisser place à un vide profond. Le repos de l'âme, elle le savoura quelques secondes seulement. Puis, la réalité lui sauta au visage comme une sauvageonne. Désormais, plus rien ne serait pareil. Désormais, elle ne pourrait plus se cacher. Et, lorsqu'elle posa enfin son regard sur Fiona, ce qu'elle lut sur ses traits lui fit l'effet d'une bombe. Elle savait. Une part d'elle-même le regretta sur-le-champ. Avait-elle fait le bon choix ? Rien était moins sûr. Elle songea à Havkan également. Elle repensa à ces décennies bercées de faux-semblants et de rires chimériques. Elle ne le lui avait jamais admis de son vivant. La honte d'éprouver cela l'avait longtemps habité. Ses prunelles jetèrent un œil profondément navré vers le ciel, comme si elle cherchait à s'excuser d'une quelconque infamie. Cependant, désolée, elle l'était sincèrement. Alors, à l'interrogation de son amie, Asrun écarquilla légèrement les yeux. Pourquoi s'était-elle étranglée avec ses sentiments ? Elle secoua doucement sa petite tête. Je n'avais pas ma place dans ta vie, du moins, pas pour cela, qu'elle lui mima du bout des doigts. Taire sa voix lui était bien plus supportable. Dire véritablement les choses signifiait, finalement, l'acceptation. Et, cela ne lui était pas encore faisable. Puis deux bras vinrent l'acculer, l'enserrer dans une étreinte à la fois familière et étrangère. Asrun s'immobilisa, raide et le souffle coupé. Son myocarde implosa dans sa cage thoracique, l'incitant à se voûter légèrement contre ce buste dont elle connaissait la moindre courbe. « Tu ne pouvais pas le savoir... » Elle l'enlaça alors à son tour, inspirant profondément les effluves de son parfum. « Et je... je n'avais pas le droit de... tu étais avec... il était heureux et... toi aussi... et après... il était trop tard. » Asrun battit des cils pour chasser l'iode qui menaçait de tout ravager. Avaient-elles véritablement cette conversation ? Était-ce l'un de ces nombreux rêves qu'elle faisait ? Elle se détacha prudemment d'elle pour s'ancrer au cœur de ses pupilles. Mais ça n'a pas d'importance ce que je ressens..., qu'elle dessina tristement, je voulais simplement que tu comprennes...
J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...
21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
Elle avait sa place, dans sa vie. Elle l'a toujours eue, mais pas à la façon dont elle a érigé ses sentiments autrefois. Ce n'est qu'un jadis qu'elles ne peuvent plus redessiner. Et pourtant Fiona aimerait revenir en arrière. La regarder encore et comprendre. Car si elle a aimé Havkan pendant longtemps, elle aurait aimé Asrun. Peut-être plus encore. Qui sait ce qu'il se serait passé. Ce ne sont là que suppositions, elles ne le sauront jamais. Elle ne pouvait pas le savoir. Et Asrun ne pouvait pas savoir non plus que Fiona la désirait, pendant quelques années. A tarir l'ignominie envers la belle-soeur, l'amie profondément ancrée dans les veines. Et c'est cette accolade, longuement attendue, longuement espérée, qui ravive le petit coeur de la Reine. Nouveau souffle d'une relation égarée pendant près de quatre ans. « Je sais... » Ainsi elle a ravalé les émotions, les dévotions, pendant ce mariage qui a du la matraquer. Autant qu'elle, à l'instant, alors qu'elle découvre les mystères de son âme. Fiona la laisse s'enfuir, la laisse parler encore sous quelques gestes mal assurés. Et ce sont les doigts de la couronnée qui saisissent le poignet qui converse. C'est le regard qui va à Asrun, et la tête qui se secoue légèrement. « Bien sûr que ça a de l'importance. » Et elle comprend, elle a raison. Elle comprend un peu plus, mais pas tout, certainement. « Asrun, ça a de l'importance pour moi. » C'est l'autre paume qui va se loger contre sa joue, qui la convainc de la regarder. « J'ai profondément aimé ton frère. » C'est une grimace légère qui se matérialise entre les traces des larmes. « Mais je t'ai aussi désirée toi. » Elle a un rire nerveux. Parce que ça non plus, elle ne lui a jamais dit. Pour les mêmes raisons. « Bien avant Havkan. » Et parfois après, bien qu'elle n'en dise rien. Pour ne pas la blesser davantage. Pour ne pas remuer le couteau dans la plaie béante qu'a laissé la mort de l'être aimé qu'elles ont en commun.
Décidément, tout ceci n'avait plus aucun sens. Comment pouvait-elle lui admettre cela à son tour ? Comment avaient-elles pu passer l'une près de l'autre durant toutes ces années sans même se retourner une seule fois ? Asrun en gloussa l'espace d'une seconde, le cœur lourd et l'âme douloureuse. C'était à se demander si elles ne l'avaient pas fait exprès. Quelques bribes de souvenirs lui revint en mémoire, tandis qu'elle luttait silencieusement pour ne pas commettre une faute supplémentaire. Elles n'avaient pas le droit d'avoir cette discussion, ne serait-ce qu'en mémoire pour Havkan. Elle secoua alors doucement sa petite tête déconfite. On ne devrait pas..., qu'elle esquissa du bout des ongles. Oh non, elles ne devraient pas. Pourtant, ce qui battait actuellement entre ses reins était bien réel. Et cela la dévorait, chaque seconde un peu plus. Elle dut s'accrocher à ses épaules pour ne pas choir, le regard profondément troublé et l'esprit engourdi. C'était douloureux. C'était délicieux. « C'est tellement... absurde. » Asrun inspira alors profondément, se donnant ainsi le courage nécessaire pour soutenir son regard plein de promesses silencieuses. Ses doigts se levèrent à son tour, prudemment, pour venir se poser contre sa joue. Elles s'étaient d'abord rencontrées trop tôt, puis trop tard. A croire qu'elles étaient simplement faites pour se croiser. Il faut que je partes..., qu'elle lui admit à contre cœur. Rester ici n'était pas une bonne idée. Elle le savait dans le fond. Pourtant, une fois de plus, elle ne parvint pas à s'y résigner. Fiona était une faiblesse qu'elle ne pouvait surmonter. Et, toutes ces années de vie manquée n'y avait rien changé. « Fiona... » Elle aurait voulu qu'elle ne la chasse, qu'elle ne la pousse à déserter. Mais ni l'une ni l'autre ne semblait s'en accommoder. Cela faisait trop longtemps qu'elles attendaient cela, trop longtemps qu'elles ne s'étaient pas véritablement confiées. Asrun recula d'un pas pour se laisser un peu d'air, puis une fois de plus pour ne plus respirer ses fragrances. Partir; elle ne savait faire que cela pourtant, mais s'y résoudre lui paraissait dès lors insoutenable. « Il faut que... » Seulement, les mots s'étranglèrent dans les tréfonds de sa gorge. Et, alors qu'elle luttait encore contre une voix venue d'un ailleurs chimérique, Asrun réduisit de nouveau la distance pour sceller cet échange d'un baiser étourdi.
J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...
21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
Elle devrait certainement ressentir de la honte. Envers ce mari qu'elle a parfois trompé dans ses songes. Mais il n'y a rien qui ne puisse la ronger davantage que le feu qu'elle mit aux rideaux. Tant d'années pour accepter la rancoeur envers elle-même, accepter la faute et appeler cela un « accident ». Tant d'humanité niée. Mais elle ne le cacherait pas, ça. Cet écho des reins qu'elle a avorté deux décennies. Elle ne le rejettera plus. Et elle ne se blâmera plus. « Peut-être. » qu'elle lui répond. Absurde, douloureux, honteux, étrange. Mais tant pis finalement. Tant pis. « Mais j'en ai assez de mentir. » De fuir, aussi. Fiona n'a été que l'ombre d'elle-même pendant ces quatre dernières années. Et elle ne compte pas continuer ainsi. Après la soirée s'étant déroulée sous ses pas, nul doute qu'elle a pris conscience de l'importance de sa propre existence. Mais il n'y a plus le sang, plus la douleur, ni même le souvenir du Manoir lorsque les lèvres se décalquent sur les siennes. Il n'y a que le feu d'Eithne, crépitant sous sa chair. Il n'y a que le coeur qui vrille sous une litanie persistante. Il n'y a qu'Asrun, que Fiona et Asrun. Comme elles auraient toujours du l'être, peut-être. Les doigts cherchent son corps. ça fait tellement longtemps qu'elles ne se sont pas touchées que Fiona a l'envie de l'enlacer encore plus. Toujours plus, jusqu'à tarir la soif de palpations. Elle soutient le petit corps, qu'elle sent fragile, fébrile. Elle soutient le baiser, appuie la douceur. « Je sais que ça te fait peur. » qu'elle lui murmure, lorsqu'elle recule de quelques centimètres, pas assez loin pour détruire l'instant, pas trop loin pour pouvoir murmurer. « Mais s'il te plaît... » La main se balade, flirte avec l'air. Ne t'enfuis pas... Pas à cause de ça. Parce qu'elle ne le supporterait pas. Parce qu'elle sait que cela les séparerait encore plus.
Elle occulta tout. Là, pendue à ses lèvres, plus rien comptait. C'était à la fois salvateur et vertigineux. Asrun avait la sensation de tomber, à chaque instant, tandis qu'elle laissait les mains se balader sur ses courbes. C'était inespéré. Et, elle savait que cela signait un tournant. Qu'allait-il advenir d'elles après cela ? Quel avenir les attendrait pour avoir osé enfreindre cette loi tacite ? Rien de bon, sans aucun doute. Alors, lorsqu'elles se détachèrent, Asrun ne trouva pas le courage de soutenir son regard. Elle se raccrocha à la lune qui, par delà la fenêtre, nimbait la pièce d'une aura méphistophélique. Était-Il là-bas lui aussi ? Veillait-Il sur elles malgré tout ce maelstrom insensé ? Asrun secoua légèrement la tête. Il était trop tard pour elles. Leur chance s'en était allée depuis trop longtemps maintenant pour qu'elles puissent l'occulter. « Je n'ai pas peur... », suffoqua-t-elle, je suis terrifiée. Ses doigts tremblèrent dans l'air lorsqu'elle lui avoua cela. Et, le mot était bien trop faible pour illustrer la profondeur de ses émotions. Rester, une fois de plus. Rester, encore et toujours. Cependant, Asrun l'écouta. Et elle s'implanta dans le sol, stupide face à ce regard flamboyant qui lui léchait l'épiderme. « Tu ne devrais pas me demander ça... » Son timbre était grave. Pourtant, un rictus naquit aussi sec sur son visage opalin. « Tu n'as jamais été raisonnable. Même lorsque nous étions enfants. », pouffa-t-elle doucement. Sa main vint alors trouver la sienne pour s'y lier comme elles le faisaient autrefois. « Alors... que faisons-nous maintenant ? » Ce soir, demain et les jours suivants. Qu'allaient-elles faire de tout ce désordre ? Et maintenant, pour l'heure, allaient-elles se perdre comme elles l'espéraient sans doute secrètement ?
J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...
21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
Elle ne lui avouera peut-être pas, mais il y a une partie d'elle qui a peur, elle aussi. Peut-être moins qu'Asrun, cependant, en particulier lorsque celle-ci met un autre mot sur l'émotion qui la transperce. Et Fiona continue de la porter, pilier de toujours malgré les indécences qui s'affaissent chaque seconde un peu plus. « En effet. » Elle le sait. A-t-elle seulement été un jour raisonnable dans ses décisions ? Elle aime à penser que oui, en particulier depuis son élection au rand de Reine. Elle préfère s'intimer le positif. « Mais si je l'étais, je ne t'aurais pas auprès de moi. » Elle le sait bien. Elle l'a toujours su. Parfois, ce sont des décisions partiellement mauvaises qui amènent le bon. Mais jouer avec le feu brûle aussi, et elle le sait. Tant pis, n'est-elle pas la plus à même de manipuler l'incendie ? Ce sont les doigts qui s'entrelacent aux siens, comme cet autrefois qu'elle a rêvé si longtemps. C'est tellement naturel que le palpitant s'agite à peine, révélant à la fois l'émotion de retrouver tel contact, et l'habitude qui forgea celui-ci. « Je dois réfléchir à beaucoup de choses. Beaucoup trop pour ce soir. » Elle sourit doucement. Elle aimerait pouvoir la rassurer, lui apporter des réponses. Mais elle n'en a pas. « Nous y penserons plus tard. » Elle préfère. Ce sera plus simple lorsque le jour sera levé. Pour le moment, ce n'est qu'une parenthèse. Sans réflexions. « Je n'ai pas envie de penser, là. » qu'elle lui avoue, tandis qu'elle l'embrasse encore. Sous les désirs d'Eithne, mais surtout sous les siens.
Le pas semblait si facile à franchir. Il suffisait de fermer les paupières, de ne pas regarder en arrière. Elle aurait pu le faire. Elle en avait envie. Et, lorsque Fiona combla une fois encore le peu d'espace qui les séparait, elle ne chercha pas à s'en défaire. Au contraire, elle s'agrippa à ses épaules comme le ferait une rescapée. Ses doigts s'enfoncèrent dans la chair découverte, ponctuant ainsi le fondement de cet échange: la démence et l'oublie. Parce qu'elles s'abandonnaient enfin. Et contre ses lèvres, Asrun était persuadée d'une chose: cela devait se passer ainsi. Cela aurait dû se passer ainsi. Ses mains s'hasardèrent sur ses hanches, puis le long de son échine. Elle n'avait dessiné ses courbes qu'en rêve et pourtant, elle les connaissait déjà sur le bout des doigts. Elle était fragile à cet instant, vulnérable contre cette silhouette divine. Il n'y avait pas que Fiona présentement, il y avait également cette aura céleste qu'elle arborait déjà depuis quelques années. Asrun se surprenait à l'apprécier cette fois-ci. Eithne se trouvait là, elle aussi. Elle pouvait la sentir sous l'épiderme brûlant. « Tu ne vas pas tout brûler autour de nous, hm ? » Il n'y avait aucune amertume dans le ton de sa voix, ni même aucune crainte. C'était une interrogation emprunte de douceur qui, quelque part, signait l'acceptation. Eithne serait toujours là quoi qu'il advienne. Et, jamais elle ne quitterait les bras de Fiona. Doucement, Asrun recula de quelques pas. Elle ne lâcha pas une seule fois son regard, s'accrochant à lui, au contraire, craignant peut-être de la perde une fois de plus. Elle sembla hésiter. Puis, doucement, releva son vêtement pour se dévoiler à elle. Sa respiration devint alors douloureuse, affolée, tandis qu'elle lui demandait silencieusement l'irrévocable.
J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...
21 Juillet 2018, aux alentours de 2 heures, Teddybeer, Downtown, Arcadia
Le feu. Bien sûr, il est toujours là. Bien sûr, elle en est effrayée. Parce que même autrefois, lorsqu'elle arpentait les draps d'Havkan, il lui arrivait de ne plus garder le contrôle. Et qu'aujourd'hui, les frasques de quelques ombres éplorées lui feraient certainement le même effet. Mais Asrun est différente. Le passé commun forge l'attention, forge le besoin de préserver les limites. Elle a conscience du risque. Mais elle persuadée qu'Eithne sera à l'écoute. Persuadée qu'elle ne fera jamais aucun mal à son amie. Alors elle secoue encore une fois la tête. « Je ne pense pas. » Et ce sont les mains qui ajoutent. Je ne te ferai jamais de mal. Et elle est sincère. Je te le promets. Elle ne le fera jamais. Jamais, jamais. La distance, elle la respecte. Elle sait qu'elle ne s'enfuie pas. Elle en est convaincue. Et c'est lorsqu'elle contemple les courbes avides que le désir s'embrase en elle. Comme autrefois. Comme toujours, peut-être, sans qu'elle ne puisse concevoir de l'accepter. « Tu es... » Mais a-t-elle seulement besoin de le dire finalement ? Alors elle l'embrasse, encore. La caresse, encore. Plus qu'elle n'aurait pensé le faire un jour. Ce sont des mots qui transpercent ses lèvres à mesure que l'étau se resserre. « Tu m'as tellement manquée. » Entre deux baisers. « Je ne veux plus te perdre. » Entre deux gémissements. Ce sont les draps qui se froissent, les corps qui s'entrelacent. Leur querelle qui s'apaise, leur haine qui se tarit. Leurs émotions qui explosent, leurs sentiments qui se cherchent. C'est la tendresse avant la passion, le pardon avant le potentiel amour qui gît sous la carne. Amour, ça lui fait peur, alors elle n'y pense pas. Il n'y a qu'Asrun. Il n'y aura peut-être toujours qu'elle. Parce qu'au final... « ça a toujours été toi. »
