My Wonderland is shattered. It's dead to me.

Les rires se mêlaient souvent aux larmes, quand l’être humain s’écroulait au milieu des siens. En fonction des pays, des cultures, les rites funéraires changeaient, s’adaptaient, mais elle en restait toujours été l’espionne, quand le bonheur se lisait bien trop sur les traits. On l’avait habituée à des enterrements sombres, austères, dans lesquels aucune émotion ne transparaissait, si ce n’était la sévérité, mêlée à la vengeance et la réclamation de sang. Les italiens, les mafieux, ils n’étaient pas très expansifs, alors aujourd’hui, elle observait d’un œil circonspect la situation. Enfin, son but n’était pas de détonner, et elle se tenait suffisamment loin pour ne pas avoir à jouer la comédie. Non, Aura, elle n’était que pour s’assurer que le contrat avait bien été exécuté, que les rumeurs qui courraient sur la mort de cet homme étaient vraies. Oh, elle ne remettait pas en doute ces informations, pas quand elles venaient d’Elle. Cependant, c’était aussi son rôle de capo, d’espionne, que de venir vérifier, de pouvoir dire au Don : il est mort. Son honneur restait en jeu, sa dignité aussi. Si la loyauté n’étouffait guère Aura, et son passé en était la preuve, elle gardait en ses chairs et son esprit une envie, un besoin que son travail soit reconnu.

Quelques secondes de plus, le regard rivé sur la scène, avant que le corps tourne les talons, fasse demi-tour. Elle en avait assez vu, reviendrait d’ici quelques semaines, pour faire ouvrir le cercueil. L’ordre du procureur ne serait pas difficile à avoir, pour quelqu’un du statut d’Aura. Il fallait juste du temps, pour trouver les preuves, les créer de toutes pièces. De longues heures en perceptive, mais c’était aussi pour cela qu’elle appréciait jouer dans l’ombre. C’était reposant, de ne pas se battre tout le temps, de ne pas être blessée en permanence. Les pupilles disparurent derrière une fenêtre de chair, dans un soubresaut, avant qu’un soupir quitte ses lèvres. Les dernières lueurs du soleil baignaient le cimetière dans une lumière sanguine. A l’image de l’horreur du lieu, et de la famille qui y fêtait la mort. Pour un peu, Aura aurait eu envie de tous les faucher. Mais ce n’était guère le moment, et une autre mission l’attendait ce soir. Alors, les lunettes reprirent leur place devant ses pupilles, et elle s’éloigna définitivement des tombes, non sans être suivie par des centaines de petites voix, fantômes encore bien trop accrochés à la carcasse humaine…

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De trop longues minutes, pour atteindre le strip-club. Voir Aura dans ce genre d’endroit en aurait fait ricaner certains, elle qui ne supportait souvent que peu le genre de visions qu’il pouvait y avoir. Sauf qu’elle était capable de fermer les paupières, pour la voir. A l’entrée, on la salua, un rapide geste de la tête avant de s’écarter, pour la laisser passer. La première fois qu’on lui avait donné rendez-vous ici, son arrivée avait été quelque peu… Mouvementée. Entre un vigile ne souhaitant rien entendre, et une capo connue pour régler ses différents à coups de balles entre les deux yeux ou dans la nuque... Heureusement qu’Hibiscus était venue à ce moment-là, pour couper court à la guerre qui était sur le point d’exploser. Juste à temps. Et depuis, Aura, elle n’était plus embêtée par quiconque au naked eye.

La porte battante fut poussée, vague de chaleur enveloppant le corps fin de la tueuse. Trop d’êtres humains étaient déjà présents en ces lieux, lui arrachant une grimace. Elle n’aimait pas Aura, se sentir ainsi confinée. Ca limitait les mouvements, les portes de sortie. Et pour la stratège qu’elle était, toujours prompte à se glisser dans les situations les plus critiques, à les voir se dessiner devant ses pupilles, c’était un énorme problème.

Y’avait aucune raison pourtant, que tout cela dégénère. Aucune raison, que le lieu soit attaqué, ou qu’on souhaite s’en prendre aux citoyens y performant. Mais ça grattait sous le derme, ça manquait d’exploser à chaque seconde qui filait. Et l’instinct, s’il ne la poussait pas à survivre, elle l’écoutait en permanence, pour le bien des autres.

Les pupilles trouvèrent la jeune personne qu’elle était venue chercher, et elle s’en accrocha, sans la moindre attention pour le reste. A portée de voix, elle lança : « Bonsoir Hibi. » La simple présence d’Aura ici les mènera à changer de pièce, à se mettre à l’abri des regards et des oreilles. Car Hibiscus était son informatrice, par les milieux qu’elle fréquentait, les êtres qui se laissaient aller à quelques confidences, pour gratter plusieurs minutes gratuitement… Elle était importante dans le réseau d’Aura, et au-delà, l’italienne ressentait un réel besoin de la protéger, celle qu’elle était persuadée d’être une femme…

Dans le monde manichéen de la tueuse, où le nuancier entre bien et mal n’existait pas, il y avait homme et femme. Et comme elle s’était présentée comme femme, l’autre n’avait pas été plus loin, prenant pour argent comptant les premiers propos. Jusqu’à ce que la vérité éclate, avec le carcan de ses certitudes, et la honte qui suivrait…

My Wonderland is shattered. It's dead to me.

Les mots avaient été prononcés juste avant le début du spectacle offert par la plus jeune. Aura n’avait jamais eu l’occasion d’y assister, elle qui était d’ordinaire plutôt pudique par rapport au corps des autres. Le sien, ça allait, elle avait surtout appris à s’en servir pour arriver à ses fins. Pourtant, celui des autres… Notamment quand elle savait à quel point les jeunes pouvaient être exploités à Arcadia. Les illusions ne berçaient plus les pupilles de la tueuse depuis bien longtemps, et les enfants n’étaient guère plus que des âmes dont l’innocence était volée et violée après quelques années. Tristesse de ce monde baignant dans l’hyperviolence, où chacun se devait d’avoir une place, ou d’être utilisé par les plus puissants. Ca la bouffait, elle qui était pourtant un élément important dans toute cette horreur. Elle fermait les yeux sur certains comportements, se servait de gamins pour obtenir des informations, tout en cherchant à en protéger d’autres. La conscience en berne, sélective, les mémoires qui fléchissaient, ployaient sous la réclamation d’une éthique et d’une morale singulières. Comme quoi… Même la pire des mafieuses s’en découvrait une par moment, à l’image des valeurs atrophiées.

Danse hypnotique, un verre à la main, l’italienne détaillait sa protégée. Elle savait jouer de ses atouts… Elle ? Le dernier vêtement tomba, et Aura manqua de s’étouffer avec sa boisson. Si l’alcool ne lui faisait plus rien, elle pouvait tout de même mourir si celui-ci envahissait ses poumons. Et c’était en partie ce qui était arrivé aujourd’hui. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ? Autour d’elle, les hommes et femmes s’étaient écartés, prévention certaine face aux ombres qui fuirent, cherchant une proie. Elle les ramena à elle au bon moment, s’enfonçant dans un siège en marmonnant. Elle n’était pas stupide l’italienne, en revanche, elle jugeait beaucoup au premier abord. Si les androgynes et non-binaires ne la dérangeaient absolument pas, après tout, ils faisaient ce qu’ils souhaitaient de leur vie, elle avait toujours tendance à les cantonner à un genre, plus facile pour discuter ou évoquer la personne. Cependant, cela signifiait aussi qu’Hibiscus n’avait pas jugé bon de la mettre au courant sur ses… Attributs. Et donc potentiellement qu’elle avait entaché un quelconque honneur, ou dignité. Bordel, depuis quand s’était-on dit qu’il fallait lui mentir ? Les dents mordillèrent la lèvre inférieure, preuve de son mécontentement, et surtout du fait qu’elle était mal à l’aise.

Quelques secondes plus tard, et voilà la femme… Ou l’homme à ses côtés. Bien. Au moins, elle n’eut pas à attendre longtemps dans son incompréhension la plus totale. « Je crois qu’une dose d’alcool ne sera pas de refus. Même s’il faut garder l’esprit un minimum clair pour nos discussions de ce soir. » Le show était terminé, les rideaux étaient tombés, pourtant, ce n’était que le début. Le second travail d’Hibiscus allait s’enclencher, informations recueillies pour le plus grand bonheur d’Aura. Les gens parlaient plus facilement face à quelqu’un qu’ils estimaient doux et peu dangereux. Stupides qu’ils étaient… Hibiscus savait s’en servir. Et en échange de quelques mots, c’était la protection de l’avocate et de la capo qu’il avait. Peu pouvaient s’en vanter, elle dont la discrétion était à la hauteur de son influence.

« En revanche… Tu comptais m’en parler quand ? » Le regard était équivoque. Elle détaillait la silhouette, elle qui l’avait longtemps pris pour une femme. Non pas que cela influencerait à l’avenir, cependant, elle aurait aimé être mise au courant plus tôt. « Maintenant, je me sens un peu bête, de ne pas avoir vu au-delà de ce que tu disais et montrais. » L’excuse dans le creux des mots, sous-entendu certain. La tête se pencha légèrement sur le côté. Elle s’excusait beaucoup ces temps-ci, mais il fallait croire que les circonstances ne lui donnaient que peu raison. Il fallait savoir courber l’échine, quand on était en tort…