C'EST MOI LE PREMIER. C'EST. MOI. AH. Va te faire foutre Lucas, Louka, qui que tu sois, je SUIS LE PREMIER AU RESTAURANT CETTE FOIS-CI AHAHAHHA. Oui parce qu'il y a cet enfoiré qui pédale plus vite que moi depuis des semaines et qui me passe devant à chaque fois que je m'apprête à accepter une livraison. Je crois que c'est mon jour de chance. De type, plus beau jour de ma vie heheheh. J'arrive devant l'enseigne tout sourire (tout trempé surtout, t'as vu comment il pleut dehors gros ?) et je me plante devant le comptoir. Un coup d'oeil à mon téléphone avec le numéro de la commande, le petit vieux (incroyablement plus bridé que moi ???? qu'est-ce qui t'est arrivé mon gars) aux jambes arquées me tend le sac en carton et me dit un truc. Oui, un truc, parce que je bite littéralement rien. C'est quoi son accent de chinois ? (Je suis asiatique, j'ai le droit d'être raciste) (non) Je plisse les yeux un peu plus et promis c'est pas pour me moquer de lui. Du coup, dans ma grâce naturelle, je lui dis :
« Hein ?! Quoi ?! J'ai rien compris ! »
Le papy s'embête à ouvrir la bouche et là je peux pas m'empêcher de buger sur le morceau de légume coincé dans sa dentition. C'est noir. Non, rouge foncé ? Je plisse un peu des yeux (mdr je vais finir par plus rien voir, bye) mais plus j'me rapproche plus je suis capable de voir ses yeux s'agrandir en mode OwO.
« EUUH pardon pardon, vous disiez ? »
À la place, c'est une jeune fille derrière, sans doute de sa famille, qui me dit que le client est un habitué donc, que le service doit être incapable jusqu'à la livraison. Je hausse les épaules, ils me prennent pour qui ? Je suis non seulement dieu de l'abondance et de la bonne santé, mais aussi dieu du pédalo et de la communication (du lit aussi, selon les dires).
Du coup je pivote, plongeant la commande dans le fond de mon gros sac qui ressemble à un vulgaire cube minecraft (putain mes références) et l'enfile sur le dos. À peine retourné que je constate qu'il pleut vraiment des cordes, de type, parfaites pour se pendre. Cette blague était très mauvaise PARDON N'ARRÊTEZ PAS DE LIRE TOUT DE SUITE JKFNKDJ. Bon alors... Indiana... Walker. Je ricane. C'est vraiment tout pété comme nom. À tous les coups le mec a des cheveux longs et gras et portent des chaussettes avec ses sandales en été. Et chez lui, il porte des crocs. Bon d'accord j'ai pas pu m'empêcher d'ajouter un lasso et un chapeau de cowboy à la panoplie mais c'est très drôle.
En route vers notre aventurier, du coup... Il me faudra pas loin de dix minutes pour arriver devant la bâtisse, les mollets en feu et trempé de la tête aux pieds, pas spécialement prédisposé pour rencontrer mon prince charmant ou ma princesse (on parlera pas de la veste non plus snif ça manque de couleur tout ça et le vert ne va pas à mon teint je suis outré). Je monte les escaliers, sonne, attend, à moitié reposé contre le mur, grand sourire. La porte s'ouvre.
« Bonsoir bonsoir ! Indiana Jo- » J'AI FAILLI LE DIRE JE SUIS UN GROS CONNARD PARDON « WALKER ? »
Ah. Oh. Le mec est. Bon, pas comme je l'imaginais. Il est pas mal. dkjsqndjdksqn C'est le moment d'être un gros lourd ça me titille ça y est. Je hausse les sourcils et sans le quitter des yeux, je me baisse pour ouvrir mon sac et en tirer son repas. Sauf que comme je regarde pas ce que je fais je tâtonne dans le vide pendant au moins dix secondes, et ça en devient archi gênant.
« ... erm. »
Voi-là. Je lui tends le paquet.
« Vous devriez essayer le japonais. C'est su-ccu-lent. »
Je lui fais un bon gros clin d'oeil dégueu avec beaucoup de sous-entendus.
Enfin. Mission à moitié réussie. J'ai pas vu que la moitié des raviolis se sont étalés dans le fond de mon sac.
J’ai le cul coincé dans le canapé, la tronche des mauvais jours accrochée, encore plus qu’à l’accoutumée et il fait trop mauvais dehors pour se risquer à sortir, même cinq minutes histoire d’aller boire quelque chose pour se réchauffer. Entendre raconter des conneries, se dire que le monde en fin de compte c’est juste pourri à la sortie des bars. Mais y’a pas moyen de braver la pluie, histoire de pas sentir le clebs mouillé, même cinq secondes sous un torrent, ça fait quand même chier.
Comme tous les soirs j’ai eu la flemme de me faire à bouffer, puis de toute façon, dans le frigo il n’y a simplement que de quoi se rincer le gosier et puis de la confiture à tartiner quand il y a du pain, mais autant dire qu’il n’y en a pas souvent. De toute façon, je suis adepte de la nourriture chinoise et comme j’ai pas une tête à fabriquer des nems, je préfère commander en ligne et attendre qu’un pauvre gars parvienne à faire venir son vélo ou sa voiture jusqu’ici. Et personnellement je trouve ça particulièrement gratifiant des les voir débarquer, après s’être tapé les bouchons et puis la côte un peu vicieuse qui mène à l’appartement. Ça me rappelle que la vie c’est moins merdique pour moi que pour eux.
Ça sonne après dix minutes, je me dis que le livreur a fait vite, qu’il devait pas avoir peur de glisser sur l’eau, que c’est un brave gosse à qui je donnerai peut-être un supplément pour qu’il se suicide pas à l’arrivée. J’ouvre la porte après avoir vérifié sa gueule, ça ressemblait bien à un livreur, mais bon on est jamais sûr de rien.
Trois secondes, c’est le temps qu’il me faut pour juger, que ce mec là, il mériterait que je lui refasse la tronche directement sans passer par les dix dollars de suppléments que j’avais prévu de lui donner. Je desserre pas la mâchoire, les paumes non plus, histoire qu’elles se retrouvent pas sur son col pour mieux le secouer. J’en ai déjà entendu de belles, alors je réagis pas quand il me parle de japonais, même si je suis prêt à parier que le principe de la vanne c’est qu’il est forcément japonais. Je fixe mon regard dans le sien, histoire de pas m’énerver parce qu’il est pas foutu de regarder ce qu’il fait. Peut-être qu’en fronçant les sourcils il va commencer à se dire que, peut-être, il me tape sur les nerfs. Après deux trois secondes de patience, je finis par chopper le sac en papier, pour l’ouvrir devant son nez. Je souffle, referme le paquet pour le lui refoutre dans les mains.
J’ai pas commandé des raviolis en sac en papier mon vieux. Je vais chercher mon téléphone, pour revenir vers ma porte. Si t’as pas envie que je te fasse une putain de publicité, tu refais le chemin. Je te donne quatorze minutes, sept pour retourne, sept pour revenir. T’as intérêt de faire de ton mieux. Et s’il a pas envie de passer sa soirée à pédaler comme un dingue pour une seule livraison il a intérêt de faire des efforts pour compenser son apparente inutilité.
Hein hein hein mais Q U O I c'est légal de faire ça ? On est encore à l'époque de l'esclavage ??? Quatorze minutes. QUATORZE fucking miNUTES est-ce que c'est possible même ? Je le regarde avec de grands yeux (ouay enfin du mieux que je le peux, vous saviez que les asiat' voient en format 16:9 ? ouais comme au cinéma on a les bandes noires en haut et en b- ta gueule ouioui ok erm) et je me dis que je devrais tenter la technique de puppy eyes qui consiste à me forcer à larmoyer en poussant des petits cris de chiot. Je commence à mettre ma lèvre inférieure vers l'avant, les mains jointes devant moi comme pour le supplier et- non ça se voit ce mec est un gros connard il va me cracher à la tronche JE NE VEUX PAS QU'ON ME CRACHE AU VISAGE. Bon bon. Est-ce que c'est le moment de faire mon petit scandale ?
« Ok ! Mais dans ce cas là va falloir laisser un petit pourboire monsieur ! Et vous ne pouvez pas... Vous ne pouvez pas m'obliger à pédaler en un rien de temps, sur demande ! Pour qui vous vous pr- »
Je tombe sur ses yeux. Argh. Aaaargh.
AAAAARGH nsdjkfnsd
Il est trop beau tant pis il pourrait me marcher dessus que je lui dirais MERCI.
« Très bien, très bien ! Je vais le faire ! »
Je soulève un peu mon pantalon pour dévoiler une partie de mes mollets.
« Vous voyez ces jambes ? Elles vont pédaler au max pour vous. »
wink WINK. Putain je suis insupportable il va jamais rouvrir cette porte ni me donner la thunes kjfnqksfn. ALLEZ. J'empoigne mon sac et je repars au rez-de-chaussée récupérer mon vélo et c'est parti mon kiki.
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Je suis en sueur. Du genre grosse douche bien sale. J'ai le souffle coupé, les mollets en feu, et dire que je dois encore monter quelques étages, est-ce la fin ???? JE L'ESPERE. Je souffle. Allez, une, deux, trois... oui, je compte les marches, sinon je vais clamser. Le restaurateur m'a engueulé en plus je crois mais j'ai rien bité il parlait trop vite et avec son accent c'est ressorti aussitôt par l'autre oreille. Ça y est. J'y suis.
Je sonne.
« Room service ! » Je m'écrase contre la porte. J'en. Peux. Plus.
