Cris et bris de vaisselle dans l'appartement voisin. Ça réveille Sin en sursaut. Émergence forcée en pleine après-midi, elle colle l'oreille contre la paroi en béton, perçoit encore des éclats, des râles, des invocations variables et recherchées. Malédictions envoyées à qui, à quoi ? Le tapage persiste. Sourde colère qui monte, la rouquine décide d'allumer une cigarette plutôt que l'autre. Fenêtre ouverte, penchée à la rambarde, du mouvement sur sa droite attire son regard. Le voisin. Prêt à plonger. Elle commente, nonchalante : « Si je peux me permettre, c'est un peu haut, le septième, pour sauter. »

DOULEUR. Déchirante. Il hurle. Il crit. Il a envie de crever. De faire crever aussi d'ailleurs. Rien ne le soulage. Plus le temps passe et pire c'est. La folie l'emporte. Il se griffe le visage. Il balance assiettes et verres contre les murs. Cette douleur… Une seule solution. Terminer. Définitivement. Complètement. Sur le bord de son balcon, le vent lui fouette le visage, mais l'éventualité de la libération est plus forte que tout. Mais une voix pernicieuse vient l'emmerder. Regard noir. « On t'a demandé quelque chose poil de carotte ? » La douleur le change complètement. Acerbe. Détestable. Infecte.

Nimbé d’une aura qui tranche avec la noirceur du parapet sali par des années sans ravalement de façade, le voisin l’invective. Elle comprend qu’elle débat avec un confrère divin et suppose en prenant une taffe que son hybris le pousse à l’irréparable. « Si tu voulais pas que je m’en mêle, fallait pas me réveiller avec tes conneries. » Elle souffle lentement les volutes blancs, regarde en contrebas et interroge, presque lasse. « Bon, tu sautes ou tu te touches ? J'croyais que les Ases n'avaient peur de rien. » Scandinave démasqué. Avec qui sous la carne ? Mystère.

EMMERDEUSE. La rouquine devait être une putain de divinité de mes deux. Ses paroles ne faisaient qu'accentuer son mal-être, ses douleurs et au lieu d'aller jouer avec ses léprechauns, de se biturer la gueule et de perpétrer des années et des années de consanguinité, elle venait l'emmerder. « Rentre chez-toi, va bouffer tes patates et laisse-moi tranquille, tu veux ?! » Il l'ignorait, bien que, sa respiration trahissait toujours sa présence. Il ne manquait pas de courage, ça non. D'ailleurs… Une inspiration et son dos se décolle lentement du mur contre lequel il était quelques secondes plus tôt. C'était bientôt terminé. Enfin.

L'impudent enrage d'être raillé. Les lippes de la rouquine s'étirent en un rictus en coin alors qu'elle considère tantôt l'homme, tantôt le vide, comme pour l'encourager à s'y jeter, si elle lui est aussi insupportable. Le voyant s'apprêter à se projeter dans le vide, elle fronce sourcils et commente toutefois, songeuse : « Remarque, non. Si tu sautes, ça va encore faire un boucan du diable et je n'arriverai pas à me rendormir. » Dardant ses iris bleutés sur le voisin, elle se concentre pour lui insuffler un effroi violemment surnaturel de la chute.