Looking through the glass, cannot recognise the ghost that you are seeing (Aislinn)

**Aura Sciarra**

Looking through the glass,
cannot recognise the ghost that you are seeing

Le temps s’était rafraichi, avec le passage de la nouvelle année. Hiver bien entamé, recouvrant l’état du Maine d’un léger manteau blanc. Neige et gel semblaient trouver à Arcadia un magnifique terrain de jeu. Pourtant, on voyait peu d’enfants dehors, petits ou grands, pour se lancer des boules de neige, pour rire, pour profiter d’une magie qui disparaissait un peu plus chaque jour, chaque année. Arcadia avait souffert, Arcadia s’était recouvert d’une pellicule de carmin indélébile. Trop de morts avaient bercé l’arrivée de 2019, trop de changements couvaient sous les murmures du vent. Et Aura s’en moquait. Elle allait suivre les courants, tranquillité du fleuve dans lequel elle s’était plongée. Désormais, elle avait beaucoup à perdre. Des personnes qu’elle appréciait, auxquelles elle s’était accrochée plus que nécessaire. Fin 2018 l’avait bouffée, l’avait poussée vers une renaissance étonnamment sereine. Il avait fallu tout détruire, tout balancer du haut de la falaise, dans le gouffre. Elle aurait pu y mourir. Elle aurait dû y mourir. Par miracle, elle s’en était sortie, et même les marques avaient disparu de ses chairs. Table rase de ce passé trop pesant, vérité qui avait arraché les tripes, avant de doucement s’installer dans son cœur, dans son esprit. Y’avait plus rien pour la détruire, et tant de choses pour la mettre à genoux.

Douce lumière perçant les nuages, hybris prêt à exploser, qui se tenait pourtant tranquille. Le repos était bien plus utile qu’elle ne l’aurait estimé… Ou était-ce les mains guérisseuses de Clemens ? Elle ne savait pas trop jusqu’où pouvait aller la guérison d’un thaumaturge. L’âme se retrouvait-elle recollée, après toutes les horreurs ? Avait-il la maîtrise sur ce qu’il souhaitait soigner ? Evidemment, Aura avait déjà croisé quelques prophètes durant son existence, mais il s’agissait plutôt d’oracles, plus rarement de thaumaturges. Les voiles du passé et du futur disparaissaient devant leurs iris, et ils l’avaient toujours poussée à la méfiance. Encore plus depuis qu’elle avait appris que c’était à cause de l’un d’entre eux qu’on l’avait gardé, récupéré à la naissance. Sang divin dévoilé, incertain pourtant, et le carmin avait souillé le sol de l’hôpital, pour réclamer l’âme de la bâtarde. Ca restait compliqué, même si elle n’en avait jamais parlé, d’être une bâtarde, gamine non reconnue par quiconque. C’était quand la part manquante était pointée du doigt, qu’on se rendait compte qu’elle avait réellement disparu…

Les doigts glissèrent dans ses cheveux, le corps s’étira. Trop de boulot, tuait le boulot. Et elle était conditionnée aux échéances légales, aux deadlines de la police et du tribunal. Alors, parfois, fallait s’évader, fallait se rappeler qu’elle n’était qu’humaine. Se tuer à la tâche, pourquoi pas, mais il fallait aussi penser à soi, plutôt que de tourner en rond, ou de fixer le plafond. Tiens d’ailleurs, ça lui rappelait qu’il faudrait qu’elle passe chez elle un jour. Plus tard.

Quelques mots écrits ou lancés à Clemens, et le corps s’enveloppa dans un manteau, sortit de l’appartement chauffé pour affronter les lueurs de mi-journée. Quelques pas pour rejoindre sa voiture, noire, luxe légèrement camouflé, bien que la marque sautait aux yeux, Italie ancrée dans le véhicule. Quelques minutes, pour récupérer Aislinn devant chez elle, virée décidée par l’italienne. Et il avait suffi de récupérer un tour de garde pour l’empoisonneuse, pour que cela arrive. Après tout, on ne disait pas non à une sous-boss. Et pour une fois, Aura n’aurait pas toléré un refus. Heureusement que tous avaient autre chose à faire. Elle aussi, elle avait juste décidé de tout envoyer valdinguer pour quelques heures. Pas d’autres choix que d’attendre.

Un coup d’accélérateur, pour se retrouver hors de la ville. Minutes s’égrainant, alors qu’elles s’en éloignaient. Y’avait presque trop de silence dans l’habitacle, cependant, Aura ne souhaitait pas louper la sortie qu’elle désirait prendre. D’ailleurs, ce n’était pas bien loin, en tout cas, pas à la vitesse à laquelle elle allait. La voiture s’engouffra sur un chemin de terre, caché derrière les arbres, puis fut abandonnée, à l’abri des regards. « Oui, j’ai vraiment choisi de faire un retour à la vie sauvage. » Léger sourire. La nature avait toujours eu quelque chose de reposant, loin de la pollution de la ville. Et puis au moins, ici, aucun micro et aucun espion pour les suivre…

**Siobhán Kearney**

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Aura Sciarra & Aislinn O’Reilly

Pellicule fine couvrant les toits, flocons timides, la divine admire le froid qui a pris possession de la ville. Sur la vitre gelée, son souffle brûlant répand la buée floutant les passages isolés. Quelques âmes esseulées sur les trottoirs glacés, rares chérubins emmitouflés sous écharpe et bonnet, tenant la main de leurs parents inquiets. Peu de voitures remontant les allées, commerces exceptionnellement fermés, la terreur et l’incompréhension se ressent jusque dans les quartiers les plus tranquilles. Cornucopia ne fait pas exception, et depuis son immeuble au dernier étage, l’herboriste respire les tensions. Son coeur lourd compatit à la détresse des habitants, milliers d’innocents pris au piège de cette guerre intestine qui ne fait qu’empirer au fil des ans.

Elle ne les protègera pas. L’arrestation de Bellandi et les mouvements dans les mafias ont bouleversé tous ses plans. Son propre rôle dans ces histoires demeure à ce jour incertain, et l’implantation du gang de Samanya lui fait craindre une surexposition des résidents. Elle n’a pas désigné les personnes à préserver. Sa décision est prise, la liste des noms restera dans son crâne, inaccessible. La Nuova Camorra et la Calavera ne feront pas des gens qu’elle aime des cibles par sa faute, qu’importe l’intention d’en faire des intouchables.
L’envie n’est plus là. Arcadia lui a tout pris, et même le pouvoir d’Eros ne suffit plus à faire briller la flamme au fin fond de son être. Faire profil bas est sa dernière option ; elle sait qu’elle est vouée à s’effacer, à disparaître. Et songe déjà à revendre ses biens afin de quitter l’endroit pour de bon. Advienne que pourra pour la suite, pour tout le monde. Elle ne fait pas le poids et le néant qui l’habite s’est ancré trop profondément. Il ne lui reste plus que le mystère du décès de son père à percer avant de déguerpir.

En contrebas, elle aperçoit le véhicule, tâche d’ombre dans le décor nivéen. Une impulsion lui fait quitter le rebord de fenêtre, fouiller la poche intérieure de sa veste. Ses clefs pour verrouiller l’appartement. Parée d’un épais manteau beige, d’une lourde écharpe et de ses gants, elle porte un sac léger en bandoulière.
Le chat malade miaule sur le canapé. Elle l’apaise d’une caresse, promet de revenir rapidement.
Et passe enfin la porte soigneusement refermée, avant de descendre les escaliers sur sept étages.

L’amie patiente devant le hall, sur le trottoir d’en face. Sourire fade étirant ses lèvres nues, elle s’avance et prend place sur le siège passager. Légère étreinte pour saluer l’avocate, l’herboriste note aussitôt dans son regard quelque chose de changé. Au delà des souvenirs revenus en mémoire et de l’aura pourpre qui l’habille, elle distingue un voile de douceur et de sérénité quasiment imperceptible. Sans doute n’y aurait-elle pas été sensible si les deux entités n’avaient pas été si proches au cours de bien des vies.
Elle s’interroge mais ne dit rien. Se cale dans son fauteuil au ronronnement du moteur et contemple la route, les paysages urbains, puis campagnards qui défilent.

Ca lui fait du bien de la voir, Aura. Et plus encore de discerner cet éclat subtil qu’elle arbore, tandis qu’elle a depuis longtemps perdu le sien. « Très bon choix », confie-t-elle en s’extirpant du véhicule à l’arrêt. Les yeux levés vers un recoin de ciel qui paraît entre les branchages emmêlés, l’empoisonneuse s’imprègne de la végétation qui les dissimule. Loin de la ville et de sa pollution, à l’abri des regards et des dangers multiples, la promenade peut enfin commencer.
En souvenir du temps passé ensemble, des connaissances échangées, c’est un retour aux sources presque parfait pour les deux enchanteresses.
Et la rousse choisit de couper par les sous-bois, délaissant le chemin de terre en agrippant le bras de la belle italienne. « Alors » ; même son timbre de voix se fait plus clair dans ce décor agreste. « Raconte-moi. Comment est ce début d’année pour toi ? »

**Aura Sciarra**

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@Aislinn O'Reilly

Se perdre de la forêt, oublier les problèmes pesant sur la carcasse et l’esprit. Aura n’avait jamais réellement pris le temps de se reposer durant les trente années qu’on durait son existence. Il s’agissait d’un concept un peu étrange pour elle, que de perdre de précieuses minutes dans la journée à ne rien faire. Être occupée, courir aux quatre coins de la ville, enchaîner les affaires, comme si sa santé mentale et financière en dépendait. En réalité, il s’agissait seulement de combler les moments de silence de sa vie, ceux-là-même lui rappelant aujourd’hui qu’elle n’était pas tout à fait normale dans cette société. Incapable d’être sociable, d’user des stratagèmes lui permettant de discuter correctement, et de s’occuper en dehors de son travail et de la mafia. Clemens lui avait fait comprendre cela, au fur et à mesure. Elle en était d’ailleurs venue à délaisser certaines activités d’antan, peut-être épuisée aussi par les jeux de pouvoir en coulisses, et la mort de la Camorra qu’elle percevait. Ce n’était qu’une question de temps, et elle-même refusait aujourd’hui de s’y impliquer davantage. Elle suivrait les ordres donnés par Augustin, comme toujours, mais n’essaierait plus d’endiguer le fléau et le chaos s’infiltrant petit à petit. Elle ne chuterait pas avec eux tous.

Mais ce n’était pas le moment d’y penser. Un sourire se dessina sur ses lèvres, alors que la portière se refermait derrière elle. Le soleil perçait derrière les nuages, habillant la forêt de multiples couleurs, jouant entre lumière et ténèbres. Par la même occasion, cela rappelait les deux éléments dont étaient faits la divinité en elle, tantôt pessimiste, négative, tantôt positive. Pourtant, il n’y avait pas de souvenirs, juste un nouveau pouvoir qui était apparu, qui avait prouvé qu’elle se rapprochait un peu plus d’un nouveau stade, sacrifiant le peu d’humanité restant pour… Pour quoi d’ailleurs ?

Une main sur son bras la ramena dans le présent, chassa la mélancolie glissée dans ses iris. Se concentrer sur le présent paraissait être une meilleure idée, pour quelques heures encore. Le début d’année… « Une course contre la montre dans laquelle j’ai à peine eu le temps de souffler. » Était-ce un problème pour elle en réalité ? Elle aurait tendance à dire que oui l’italienne, préférant aujourd’hui le temps passé devant des films, séries ou jeux vidéos avec Clemens que la tête dans les dossiers, à faire l’impossible quand tous lui mettaient des bâtons dans les roues. Mais elle s’y était habituée finalement, à tout cela. Pas besoin d’être la personne la plus appréciée du plus grand nombre, ou de faire attention aux egos qu’elle pourrait froisser. « Et ma fin d’année a été à la fois catastrophique et… Apaisante. » Deux mots jamais entendus de la part d’Aura. Pour elle, il y avait toujours pire…. Quant à l’autre, cela impliquait d’accepter les sentiments en elle, au lieu de les réprimer. Et elle venait de se lancer sur ce chemin.

« Je pense m’éloigner de la mafia à terme. » Pause. Aislinn savait depuis peu pour son implication, celle qui n’était désormais plus à prouver. « Tous veulent se battre pour leur gloire personnelle, et tout est en train de tomber… » Qui s’en sortirait, qui prendrait le pouvoir, elle n’en savait rien. Evidemment, Alfonso ou Augustin seraient en première position, si Alcide ne revenait pas, par leur ancienneté. Mais y’avait toujours eu des dissidences, et chaque sous-boss, chaque capo voudrait peut-être prendre cette occasion pour régner.

Royaume éphémère dont la puissance n’était qu’illusoire.

Puis y’avait Clemens. Salem. Elle ne voulait plus risquer de mourir pour une tierce personne, un simple être réclamant toute loyauté sans jamais rien retourner. Elle avait déjà donné, et bien suffisamment.

Le corps s’étira un instant, avant de changer de conversation. Parler Camorra la dérangeait, elle qui commençait à réfléchir sur tout cela. Puis il y avait bien d’autres sujets à aborder, pour l’écouter elle, au lieu de parler sans cesse… Bien qu’Aura ne soit pas connue habituellement pour s’exprimer sur elle-même. « Et j’ai… Rencontré quelqu’un. » C’était étrange comme tournure de phrase. Pourtant, c’était un peu ça non ? Elle passait du temps avec lui maintenant, s’attardait plus sur l’apprentissage de la pop culture et des relations que sur le reste. Et cela se voyait en réalité. Changements minimes dans le comportement, dans les pupilles, qu’un observateur aguerri et connaisseur capterait en un instant. « Et toi alors ? Comment t’en sors-tu ? » Parlons de toi, plutôt que de moi. Parce qu’elle ne saurait même pas comment continuer Aura.

**Siobhán Kearney**

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Aura Sciarra & Aislinn O’Reilly

Chaque pas les enfonce un peu plus dans la forêt. Et chaque mètre parcouru est un shot d’énergie que le corps de la divine se surprend à réclamer. Voilà trop longtemps qu’elle n’a pris de moment pour apaiser son âme et recharger ses batteries. Bien qu’entourée de vert au quotidien, son esprit n’est que trop tourné vers les problèmes et des épreuves qu’elle doit traverser. Une retraite en terres sauvages lui ferait le plus grand bien ; seule, loin de tout. A se recentrer sur l’essentiel pour l’entité qui partage son enveloppe charnelle ; se fondre à nouveau dans cette nature qui rythme son éveil siècle après siècle. Oublier tout le reste.

L’idée se fraye un chemin tandis qu’elle s’aventure avec Aura toujours plus loin. Au point de devenir une obsession. Si elle pouvait, elle prendrait Méabh avec elle et partirait pour de bon.

Pensive, elle se passe de commentaire quand son amie parle mafia. Un accord tacite entre elles veut qu’elles n’abordent pas de trop leurs affaires respectives. Elle serre un peu plus fort son bras quand la brune évoque ses déboires, signe qu’elle est toujours là. A ses côtés, bien qu’éloignée par les aléas de l’existence ; leurs coeurs sont liés pour toujours, vie après vie, voués à se trouver au fil des décennies.

Bien sûr, elle est au courant de l'arrestation de Bellandi. L’accord durement négocié avec la Camorra est en train de tomber à l’eau. Son projet n’a plus le moindre sens et O’Reilly n’a pas donné les noms qu’elle avait promis en échange de la trêve des organisations alliées à Cornucopia. Sa décision est prise, elle ne les leur donnera pas. Elle ne fera pas de ces gens qu’elle devait protéger des cibles. Pas alors que l’alliance entre hispaniques et italiens ne tient plus qu’à un fil. Que la NC est trop occupée pour tenir ses engagements et ses promesses. Elle aurait pu jouer un rôle et changer les choses, peut-être. Aujourd’hui, tout ça n’est qu’un rêve brisé supplémentaire et un échec dont elle attend toujours les conséquences. Seule. Elle s’est résignée à payer le prix fort ; l’envie de se battre est partie.

« C’est peut-être ce qu’il nous faut » ; regard perdu à l’horizon, l’herboriste laisse son visage se parer d’un sourire vague. « De l’espace ». Et du temps. Quelque part, ça la réjouit d’entendre qu’Aura est prête à se détacher de la Nuova. Au fond, l’une et l’autre n’ont pas besoin des organisations. Sans doute qu’elles passent à côté de quelque chose. Qu’une collaboration envisageable entre les deux aurait pu leur porter plus d’espoir et de stabilité.

Les pupilles qui s’éclairent, les lèvres qui s’étirent, pas de curiosité mal placée mais juste le bonheur sincère de savoir le coeur de son amie allégé ; « Je suis heureuse pour toi ». La silhouette immobile se tourne alors vers l’enchanteresse, et l’irlandaise attrape ses mains à travers le cuir épais. Voilà donc la raison de cet éclat perçu dans ses prunelles et dans sa voix aux premiers instants de leurs retrouvailles. L’amour ou ses prémices. Elle n’a pas le goût de la mettre en garde et de jouer les rabats-joie ; espère de tout coeur que cette relation se poursuivra et lui fera le plus grand bien. Peut-être même que la personne n’est pas tout à fait étrangère à son idée de quitter la mafia ; une bonne chose, songe-t-elle. Elle se rappelle qu’elle-même était prête à tout abandonner pour le bonheur d’une vie simple avec Eamonn.

« Il n'y a rien d'intéressant à raconter ». Son regard s'assombrit. La lourdeur de ses tourments est difficile à masquer, mais l'herboriste ne veut rien gâcher de ce moment. Elle n'a que des malheurs et des problèmes à relater ; des morts qui jonchent le chemin houleux de son existence et un coeur trop maltraité pour savoir désormais ce qu'il veut. Peut-être qu'elle n'existe plus, la femme que rien n'arrête et qui se bat sans relâche. Celle qui absorbe les coups et se relève toujours plus forte. Peut-être qu'elle n'existera plus jamais. Peu importe. Il n'y a pas plus d'envie, plus de projet. Une seule question qui la taraude encore et le sort de quelques êtres aimés qui l'inquiète encore parfois ; mais l'expérience lui a prouvé que ses actions étaient néfastes et elle ne se sent plus les épaules de les aider. La lassitude l'a emporté sur tout le reste et même l'hybris s'en trouve à présent étouffé.
C'est comme si elle était de pierre, à l'intérieur ; toujours consciente mais totalement déconnectée. Et même la déesse en elle ne semble pas vouloir l'extirper de sa torpeur indescriptible. Peut-être que l'osmose entre les deux est telle qu'elle s'en satisfait elle aussi. Qu'elle est fatiguée, à la recherche d'un repos mérité depuis des siècles...

« Parle-moi plutôt de toi, si tu veux bien » ; elle secoue lentement la tête et son corps flanche un peu. Elle prend l’attitude des personnes bienveillantes encourageant les autres à s’épancher, sans pour autant vouloir paraître intrusives. « Est-ce que tu es heureuse ? » Car c’est tout ce qui compte. « Tu as déjà des projets ? »

**Aura Sciarra**

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@Aislinn O'Reilly

La fraîcheur caressait la peau, le derme des bras mis à nu. Elle qui avait évité pendant des années de les montrer, à cause des cicatrices qui s’y dessinaient, pouvait enfin apprécier la brise, le soleil. Juste un peu, juste quelques minutes, quelques heures avant que l’hybris se manifeste. C’était toujours la même chose, quand elle y repensait. L’organisme humain avait besoin de lumière pour survivre, se sentir bien, quand la divine brûlait face aux rayons solaires. Aura n’avait qu’à espérer que les quelques heures passées sous les arbres, en oubliant une partie de sa prudence habituelle, ne lui porterait pas préjudice. Elle se laissa emporter par Aislinn, certainement bien plus à l’aise dans cet environnement que l’italienne. Même Hécate à vrai dire, quand bien même la déesse se jouait des plantes et de la magie. Elle était plus habituée à la noirceur des enfers, aux ténèbres de son existence qu’à une telle douceur. C’était agréable d’un côté, que de lâcher prise de la sorte. Il fallait croire qu’elle en avait besoin, de prendre de la place, de ne plus être que le bon petit soldat qu’on lui avait indiqué. Changement radical, pour une nouvelle année. « Je n’aurais jamais pensé en avoir besoin un jour. »

Pourtant, en y regardant de plus près, tout cela était inévitable. Elle avait trahi, à plusieurs reprises. On l’avait éduquée de façon à suivre les ordres, certes, mais aussi à prendre la tête d’une organisation. C’était un mélange intriguant, au fond. D’un côté, l’être courbait l’échine. De l’autre, elle faisait face aux vents et marrées… Et comme Hécate, elle finissait insaisissable, au milieu de tous et pourtant marginalisée du monde. Parce qu’elle s’en moquait l’avocate, de cette mafia à laquelle elle avait pourtant donné allégeance. Ce n’était qu’un poids sur ses épaules, qu’une entrave sur ses poignées, qu’un boulet sur ses chevilles. Néanmoins, elle y resterait toujours. Pour Augustin, pour cette famille qu’elle avait appris à haïr, à aimer, à craindre et à respecter. Pour un temps encore, brave pantin prêt à perdre son marionnettiste. Heureuse pour toi. Un sourcil s’arqua, sous l’effet des propos. Jamais elle n’avait entendu cela auparavant. Elle laissa ses doigts être enfermés, pour une fois, prête à écouter les propos de son amie. « Je ne sais pas si tu devrais l’être. » C’était un murmure qui s’enfuyait. Pas tant à cause de Clemens, des émotions qui embrouillaient le cœur. Plutôt Augustin, et la vérité derrière leur lien…

Et elle se concentra sur Aislinn à nouveau, pour oublier, complètement. Empathie qu’elle tentait de déclencher, tout en gardant un tact qu’elle n’avait manifestement pas, quand l’inquiétude prenait le dessus. « Ca n’a pas l’air d’aller. » Logique à vrai dire, rien qu’avec ce qui s’était passé avec la Nuova. A l’avenir, Aura entreprendrait de manipuler le tout pour la protéger. C’était quelque chose qu’elle pouvait faire assez facilement. Que ce soit avec l’accord de sa faction, ou sans. Parce qu’il y avait toujours Astrid, et sa position de garde du corps empreinte de neutralité pouvait être utile. Et aussi étrange que cela puisse paraître venant de l’italienne, la confiance envers l’autre divinité grecque était totale. « Si tu as besoin d’aide ou de protection, tu sais que je peux te rendre intouchable. » Aux yeux de la loi en tout cas. Des mafias, cela nécessiterait un peu de sang, mais rien de bien insurmontable dans son esprit.

Parler d’elle… Pour une personne aussi secrète qu’Aura, c’en serait presque un sacrilège. Cependant, parfois, avec certaines personnes, les barrières se baissaient, et elle acceptait d’être un peu moins discrète, de quitter ses ténèbres si rassurantes. « Je… Je ne sais pas. » Le regard se détourna, pour épouser la nature autour d’elles. « Ca me détend autant que ça m’effraie d’un côté. » Pour tout ce que cela implique. Pour les émotions qu’elle se mettait à ressentir, quand elle s’efforçait auparavant de ne garder que la froideur et le contrôle. Puis, cela donnait du pouvoir à Clemens, de pouvoir la détruire, tout comme de lui faire tourner le dos pour tout ce qu’elle estimait important jusque-là. C’était… Etrange pour une personne de son acabit oui. Pourtant, elle ne parvenait pas à recréer les barrières, à fuir. « Et puis… Il y a eu d’autres soucis avant d’en arriver là. » Pause. « J’ai appris que j’avais de la famille. J’ai failli mourir ensuite. Il a juste fallu… Tout reconstruire. Et je ne sais plus vraiment où j’en suis. » Perte de repères qu’elle jugulait pourtant au quotidien. Plongée dans son travail, dans les problèmes, dans la vie de tous les jours, elle n’avait pas le temps de se perdre.

Il fallait juste attendre le moment où le maelstrom se stoppait, pour voir les dégâts qui restaient toujours…

**Siobhán Kearney**

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Aura Sciarra & Aislinn O’Reilly

A travers les branchages, les rayons du soleil réchauffent doucement leurs visages et dessinent sur les herbes enneigées quelques points lumineux. L’herboriste les suit du regard, et elle sent que bientôt, le printemps fera son retour attendu. Plus tôt cette année, en témoignent les beaux jours qui ont côtoyé la neige en ce mois de janvier. Lasse, elle espère que son instinct ne la trompe pas, et que peut-être, à l’instar de ses compagnes gorgées de sève, elle y trouvera sa propre renaissance.

« Il faut profiter de ce que tu ressens, Aura » ; elle est catégorique. Et même si elle ne saisit pas exactement la raison de ses réticences, l’amie sens le besoin de lui prodiguer ce conseil. « Je veux dire, si ce sont de bonnes choses, et si tu te sens bien ». Elle aussi s’en est privée un temps ; l’amour est un sentiment effrayant et l’Enchanteresse a bien mis des années avant de s’y laisser reprendre. Si aujourd’hui tout est brisé, et si son coeur est aussi vide qu’il lui semble parfois éteint, elle ne regrette rien. Aussi éphémère fut-il, le bonheur éprouvé durant ces quelques mois vaut à ses yeux toutes les épreuves qu’elle a dû traverser en suivant. Il lui a fallu du temps pour accepter cette parenthèse et la chérir plutôt que de la condamner. Mais désormais, elle ne déteste plus. Elle restera nostalgique à jamais.

« Je crois que ça ira pour moi », lui confie-t-elle un peu timide. Aura est une personne intelligente. Bien sûr qu’elle voit que l’irlandaise est différente et sans doute s’en trouve-t-elle un peu inquiète. Mais, à bien y réfléchir, peut-être bien que la série de drames touche à sa fin. Quand elle repense à ce qu’a dit la Ténébreuse à propos des mafias, l’Empoisonneuse ne peut s’empêcher de penser que si tout s’écroule pour les autres, elle-même aura peut-être enfin la paix. Elle avait prévu de ne pas lui en parler, puisqu’elles s’y refusent d’ordinaire, mais l’instant lui paraît approprié ; « Mes accords avec la NC sont tombés à l’eau ; je crois qu’il y a d’autres choses à penser pour tout le monde et je ne pense plus vraiment être une cible ». Ses lippes s’étirent, sa voix s’éraille. Aura sait mieux qu’elle tout cela. Elle se dit qu’elle l’aurait prévenue s’il y avait le moindre danger pour sa vie. A supposer qu’elle soit au courant de quelque chose, bien sûr.

« Mais je ne te dis pas non » ; ses doigts gantés s’entortillent tandis qu’elle repense à son ancien garde du corps. Et ami. Torben n’a pas laissé sa vie en la protégeant mais à ses yeux c’est tout comme. Et la divine aimerait quelques temps cesser de provoquer la mort des gens qui comptent. « Je pourrais en avoir besoin », peut-être pas pour mon compte. Elle y réfléchira, mais elle pense à Méabh. L’adolescente aussi a subi quelques turbulences et sa tante par alliance ne le pardonne pas.
« Quant à cette histoire d’identité volée… Je crois que j’ai trouvé quelqu’un pour m’aider avec ça ». Aislinn n’est pas Aislinn mais Siobhàn, du sang vert dans les veines, et Kearney qui plus est. De la famille de la Reine. Tout le monde est au courant désormais, et l’herboriste n’attend plus que la visite de la police. « Je sais que tu as été très occupée et je ne veux pas t’embêter avec ça. Mais si je sens que ça tourne mal, sois sûre que je te préviendrai » ; comment se passer des services de la meilleure avocate qui soit ?

Les deux amies s’arrêtent un instant, bloquées par la végétation. Alors, la rouquine se concentre pour écarter les branches qui leur font barrière à la seule force de sa pensée. Elle tend son bras ganté à l’italienne pour la guider jusqu’à leur prochaine étape : une clairière qui ne laissera plus seulement filtrer les rayons du soleil mais le verra les éblouir toutes entières.

« Je n’en savais presque rien » ; et quand la brune se confie, l’Empoisonneuse la couve d’une œillade désolée. Ce qu’elle retire avant tout de l’annonce, c’est qu’elles en sont vraisemblablement au même point. Aveuglées, perdues, en quête d’une boussole qui leur montrerait le chemin. « Ca, je le comprends tout à fait », glisse-t-elle sur le ton de la compassion. Aux coins de ses yeux pâles, quelques rides se dessinent alors qu’elle lui sourit. Les années passent, le temps ne s’arrête jamais lui, et la rousse en subit les affres désormais. Ça commence à se voir. « Je crois qu’on devrait prendre plus de temps pour nous. Et se parler davantage ». Comme autrefois ; « Tu sais, j’ai récupéré d’innombrables souvenirs et Hécate et Airmed… elles ne se sont jamais abandonnées ».

**Aura Sciarra**

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@Aislinn O'Reilly

Prendre le temps d’évoquer les changements, les sentiments qui étreignaient le cœur. Certes, elle n’en était pas à aimer, n’en était pas certaine. C’était juste nouveau, de quitter le carcan de froideur et de violence dans lequel elle avait toujours vécu. De le laisser de côté, sur le pas d’une porte, dans une ruelle où résonnait la chaleur du Mexique, loin des costumes serrés à quatre-épingles des italiens. Fallait s’y faire, et en quelques semaines, elle avait été obligée de s’y habituer. Ca et les remarques de Flores, petites piques qu’elle ignorait, dont elle ne percevait pas l’entière teneur. Néanmoins, même lui semblait avoir perçu le changement, la personnalité presqu’encline à s’amuser, à s’éloigner des siens. Après tout, la Camorra était-elle réellement sa famille ? Pièce rapportée à nouveau, simplement présente pour Augustin, unique personne devant qui elle s’était agenouillée avec toute la loyauté et tout le respect dont elle était capable de faire preuve. Mais tout changeait. Parfois dans la douceur, souvent dans la violence, dans la souffrance. Fallait bien tout écraser, pour mieux redémarrer. Même si Aura ne comprenait pas. Quand elle l’exprimait, le verbalisait pour Aislinn, elle se heurtait à son propre manque de connaissance, et de compréhension. Il lui faudrait du temps pour arriver à être claire… Mais l’avait-elle ?

« Je ne sais même pas ce que je ressens. » Pause. Aislinn était patiente, présente. Elle avait bien plus vécu qu’elle. Puis bon, Aura ne s’était jamais intéressée aux autres, à part quand ils avaient quelque chose à lui apporter. La notion d’amitié restait abstraite pour elle, malgré tout, alors imaginez celle de l’amour… « Je suis juste… Perdue. Remettre en question mon passé n’a jamais été dans mes habitudes. » Cependant, il fallait faire face à la vérité parfois. Il fallait accepter que l’anormalité avait régi sa vie, malgré la douleur que cela provoquait. Qu’elle avait cherché une famille, pour ne récolter que des lames au travers de son cœur. Elle espérait juste réellement que ça ne s’écraserait pas avec Clemens. Certes, l’italienne restait solitaire, néanmoins, elle avait toujours eu besoin de quelqu’un pour la pousser dans une direction. Pauvre être influençable, quand les sentiments s’en mêlaient…

Cependant, aujourd’hui, elle n’était pas seule. Il y avait Aislinn. Aislinn et ses problèmes. Aislinn qui l’écoutait patiemment, tout en s’effaçant. Comportement qu’Aura connaissait, qu’elle avait adopté à de nombreuses reprises. Par refus qu’on s’inquiète pour elle. Par fierté. Par solitude. « En effet. La mafia a d’autres chats à fouetter en interne. » Des soucis qui s’accumulaient, qu’elle observait de loin. Alcide en garde à vue était son principal élément à défendre, bien que les ordres commençaient à lui demander de s’éloigner. Il ne sortirait pas, et protéger la mafia était plus important que son Don. « Ca peut rester dangereux quand même à l’avenir. » Elle connaissait les siens mieux qu’Aislinn. Enfin, elle ferait de son possible pour que rien ne vienne déranger l’Irlandaise. En tant que sous-boss, elle en possédait l’influence. En tant qu’avocate aussi.

« Tu sais que je suis en permanence disponible. » Pour répondre, pour venir à l’aide, pour lui offrir du répit. « J’en parlerai à quelqu’un de confiance, pour qu’elle te protège si besoin. » Et elle continuait, qu’importait l’intrusion dans la vie privée de l’autre. C’était Hécate qui poussait, qui cherchait à protéger l’autre. « Je ne suis pas si occupée que cela tu sais. Je suis surtout en attente en ce moment. » Attente du jugement, attente des preuves. Tant qu’elle n’aurait rien, il fallait juste attendre. C’était épuisant d’un côté, de vivre de la sorte.

Manipulation des branches leur coupant la route par la pensée, chose qu’Aura ne savait absolument pas faire. Trop doux par rapport à Hécate, pas assez maléfique… L’italienne avait baissé sa garde, avait accepté de se laisser emmener par Aislinn. Les gants sur ses propres doigts protégeaient l’autre du pouvoir, bien qu’elle s’était rendue compte que les êtres humains semblaient être immunisés à son nouveau pouvoir… « Mais ça ira. » C’était un murmure, comme pour s’en convaincre. Dans le fond, elle n’était pas bien sûre de ce qui allait se passer. « Tu as raison. » Prendre du temps pour discuter, quitter le carcan de la mafia… C’était une possibilité à laquelle elle se devait de réfléchir, définitivement. « Tu as… Retrouvé les souvenirs ? » Elle n’en était pas encore ici Aura. Elle se démerdait déjà avec l’alchimie qui lui brûlait le bout des doigts, alors savoir ce qu’il y avait eu dans son passé… « Et ça se passe comment ? Qu’as-tu appris de tout cela ? » Des souvenirs, comme de multiples voix s’emparant de l’esprit…

**Siobhán Kearney**

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Aura Sciarra & Aislinn O’Reilly

Les yeux plissés laissent entrevoir des émotions difficiles à décrire. Entre affection, estime et bienveillance, la divine est aussi surprise de la confiance qu’elle a placé en quelqu’un dont elle n’a jamais été très proche. Les hôtes se côtoient depuis des années, pourtant leur relation particulière ne leur a pas donné beaucoup de temps afin d’apprendre à se connaître. Le lien puissant qui unissait les deux déesses a traversé les âges et dépassé les vies pour que toujours, elles puissent se retrouver. Se reconnaître et s’approcher, avant même de récupérer la mémoire. Car dès leur première rencontre, la connexion s’était établie. Forte, sincère, sans équivoque. Insufflant le calme et la sécurité, forçant à l’intimité en dépit de leurs différences, de leurs camps opposés, de leur défiance habituelle. C’était ainsi. Comme un pacte qu’elles auraient scellé, un sort qui les unirait au-delà de la promesse de toujours se respecter et de se soutenir.

Pour l’amour de son clan, par devoir ou par ambition, la brune aurait pu cent fois la trahir. L'appater ou la mettre au pied du mur pour mieux la jeter aux lions ; pourtant, elle n’en avait rien fait. A ses côtés, il n’y avait pas d'inquiétude. Pas de peur de trop en dire, pas de peur d’être trompée, ni même de perdre son amitié. Comme cet instant parfait et le lieu choisi, leur relation était paisible, incitant à l’abandon total ; ensemble, elles étaient isolées de tout, à l’abri même des sentiments néfastes. L’Empoisonneuse en avait toujours eu la conviction ; et maintenant que ses vies antérieures lui revenaient par vagues, la confiance ne s’en voyait que renforcée.

« Ca a été difficile. Ca l’est encore parfois ». Admirant la poudreuse qui s’évapore sous les rayons solaires, l’herboriste opine en repensant à la douleur. Aux migraines terribles ayant accompagné la nouvelle de la mort de son père. « C’est comme un barrage qui cède ; et libère une pression dévastatrice » ; au point de la tenir alitée des jours durant. « Des eaux qui s’étalent et engloutissent tout le reste » et percutent les premiers souvenirs avec une telle violence qu’on finit par ne plus savoir qui on est vraiment. « Ca a été éprouvant, moralement, et physiquement ». Son corps en subissait les affres encore. Un faciès amaigri, des cernes impossibles à masquer ; elle avait perdu de sa superbe et les deuils successifs n’avaient rien arrangé. Elle s’était accrochée, se demandant souvent comment et à quoi bon, mais ces dernières semaines la voyaient lâcher prise.

« Ca finit par passer ». Un sourire adressé à l’amie, sa poigne se renforce autour du bras qu’elle tient toujours. « Les souvenirs se remettent en ordre, l’esprit arrive à les ranger. Je crois qu’il faut se laisser du temps et beaucoup de repos pour aider à la transition » ; luxe qu’elle-même ne s’était pas accordé, pourtant ses lèvres continuent de s’étirer. Elle veut la rassurer, la préparer à ce moment qu’elle devra traverser de toute façon ; non pas le lui faire redouter.

Le regard planté vers le ciel est décoré d’un voile quand les mémoires accumulées s’enchaînent. Beaucoup de précieux souvenirs côtoient les malheureux. Les vies d’Airmed sont parsemées de schèmes qui se répètent et le destin ne l’a pas épargnée. Son expérience n’est pas la plus heureuse. Les mauvais choix sont reproduits sans cesse et il semble qu’elle en prenne conscience toujours trop tard. Des querelles antédiluviennes la rongent dans chacune de ses existences, et la privent des choses les plus importantes. Rares sont les fois où elle a pu en tirer des leçons, car ses vies antérieures ne lui ont pas souvent rendu la mémoire ; « Je n’ai pas eu l’occasion de me souvenir de tout dans mes vies précédentes. Je crois que c’est un éveil qu’on atteignait rarement ». Partie de ce constat, la rousse repense à toutes les nouvelles révélées par Aura. Les bonnes comme les mauvaises ; son coeur qui commence à battre pour quelqu’un, les problèmes à gérer, la tragédie qui a bien failli la perdre… Et tout ces faits se mêlent à ceux qui ont rythmé ses propres derniers mois, écrasant sa poitrine sous un sentiment de panique qui la force à s’arrêter et à se figer un instant. Les orbes azurées se perdent d’abord dans le vide, puis captent les prunelles des Ténèbres. Hésitante, elle se livre pourtant et lui accorde un aveu jamais dit à personne : « C’est comme si mon destin était tracé. Comme si je n’avais pas le choix de suivre ses lignes, comme si elles étaient impossibles à dévier. Et j’ai peur de ne rien pouvoir changer.... »

**Aura Sciarra**

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@Aislinn O'Reilly

Qui voulait-elle protéger ? Depuis quand voulait-elle protéger quelqu’un d’autre qu’elle-même ? Pourquoi ces gens restaient à ses côtés, malgré le carmin qui teintait ses doigts ? Qui voudrait d’un monstre comme partenaire, comme ami, comme famille ? Un assassin se jouait des sentiments, pour mieux poignarder dans le dos quand l’occasion se présentait. Aura n’avait pas d’éthique, pas de moral. Tout ceci avait été sacrifié sur l’autel des résultats, de la mafia, des idéaux de sang. Ils devraient tous le savoir, que Sciarra ne valait rien, s’en foutait de tout et tous. Peut-être donnait-elle l’illusion aujourd’hui de faire attention, de les considérer comme importants, mais pour combien de temps ? Son ancêtre le lui répétait en permanence. Tous n’étaient que des pions sur son échiquier. Tous étaient voués à disparaître, se faire capturer, torturer, tuer. C’était le jeu. Elle l’avait tant fait par le passé, s’était drapée dans le tissu de la trahison des milliers de fois. C’était si simple, c’était son quotidien, alors pourquoi soudainement s’interrogeait-elle ? Pourquoi cette pensée devenait-elle si douloureuse ? Pourquoi sa conscience commençait à la tirailler, pour la première fois en trente ans ? Finalement, être un monstre avait de bons côtés…

Pour une fois, ce devait être la déesse qui guidait, s’imposait inconsciemment par vague avec Aislinn. Comme si elle avait reconnu l’une des siennes. C’était assez rare pour le souligner, venant d’Hécate. La divinité avait toujours laissé vivre Aura comme elle le désirait. Peu de personnes pouvaient expérimenter autant de détachement, mais au vu des attributions divins, tout ceci semblait parfaitement logique. « Je me demande… A quel point cela peut être différent des fantômes. » A cause d’un de ses pouvoirs, elle avait déjà des voix en permanence autour d’elle, des souvenirs qu’on lui racontait, des passés qu’on s’inventait. Tout et rien, un bruit de fond permanent, un esprit toujours submergé d’informations… Alors, en plus de dix ans, elle avait fini par tout cloisonner, tout compartimenter. C’était si simple aujourd’hui… « Ca a l’air déstabilisant… » Qui ne le serait pas ? Se souvenir du passé, des passés, perdre une partie de son identité, la voir être engloutie par tant d’autres… Elle l’avait tant fait Aura. Pour satisfaire son ancêtre, pour s’infiltrer au plus prêt des cibles, elle s’en était déjà tant inventé des vies… « Hécate a l’air si discrète, je me demande si elle s’est tant réincarnée que cela. » Y avait-il un pattern derrière tout cela ?

« Je garderai le conseil dans un coin de ma tête le moment venu. » Sourire. En prenait-elle réellement compte, elle qui vivait à cent à l’heure, pour la mafia ? Il faudrait. Mais dans le fond, rien n’y changera. « C’est peut-être lié à l’âge. Ou à des événements traumatiques. » Comme Chaos. Ce serait intéressant de voir ce qui a permis les évolutions par le passé. Si tout ceci était naturel ou résultait d’une situation extérieure et qu’il fallait se défendre. C’était étrange comme réflexion quand on y repensait.

La panique qui gagna un instant Aislinn, Aura ne la perçut pas. Ce furent l’arrêt du mouvement, les mots qui sortirent, qui soudainement la firent s’attarder sur les prunelles de l’autre. « Pourquoi penses-tu cela ? » Un chemin tracé, évidemment, ce serait tentant de le suivre. C’était la facilité, c’était ce que la petite voix dans notre cerveau nous préconisait de faire. Pour ne pas avoir à souffrir, pour pouvoir se dire que ce n’était pas de sa faute en cas d’échec. C’était se dédouaner sur une autre entité. Beaucoup de récurrences le faisaient d’ailleurs. Combien de fois l’italienne avait-elle entendu c’est la faute du dieu qui m’influence. ? Trop de fois. Par des gens qui lui étaient plus ou moins proches d’ailleurs. Sybille lui venait à l’esprit en premier. Pour autant, cela sonnait comme une excuse pour elle. Une sale excuse. Même si elle comprenait la sensation.

« Tu sais… Ca fait trente ans que je suis le chemin qui m’est tracé. Trente ans que je ne me suis jamais éloignée du sentier. Je me suis toujours répétée que c’était ce qu’on attendait de moi, et que je ne pouvais rien faire pour changer cela. » C’était un murmure. « Mais dans le fond, je pense que la situation me convenait juste parfaitement. Parce que le jour où tout a commencé à s’écrouler, où le chemin s’est mis à pointer dans une direction que j’abhorrais…. J’ai juste fait demi-tour. J’ai été incapable de le suivre ne serait-ce qu’un mètre de plus. » Pause. « C’est pour cela que tu es encore en vie. C’est pour cela que mon cœur commence à brûler. » Elle lui sourit doucement. « Peut-être que tu ne peux pas changer l’histoire écrite car elle te convient pour l’instant. Mais je ne m’en fais pas que le jour où ce qu’il y a face à toi ne t’ira pas, tu en trouveras un autre à ta guise. » C’était le genre d’esprit qu’avait Aislinn. Inébranlable. Et ce n’était pas une déesse qui la gardera sous son contrôle. Pas dans cette vie-là.

**Siobhán Kearney**

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Aura Sciarra & Aislinn O’Reilly

La confidence libère la rousse du poids accablant sa poitrine.
Aura était la seule à connaître ses craintes concernant l’avenir. Et lui confier ses doutes autant que la terreur d’être impuissante face au jeu du destin, était une nouvelle preuve de l’amitié qui unissait les deux déesses. Avouer ses faiblesses n’était jamais facile, sur ce point encore moins. C’était par peur des prophéties que l’irlandaise avait fini par quitter Arcadia. La certitude que son hybris rendrait les choses trop compliquées pour qu’elle puisse demeurer auprès de sa famille, l’avait poussée à fuir plutôt que d’affronter les prédictions. Et comme elle n’était pas de ceux qui se laissent dicter leur conduite, la décision n’en avait été que plus difficile à prendre.
Elle s’était écrasée en espérant pour tous un futur plus heureux, exempt de tragédies. Ca n’avait rien changé, et le sort l’avait finalement rattrapée. Elle était revenue, esclave de ses pulsions, sans trop savoir pourquoi elle avait fini par céder. Peut-être parce qu’elle se complaisait dans ces histoires, comme son amie l’insinuait ? Tout s’écroulait comme attendu et elle n’était pas la seule responsable ; mais les drames qu’on lui avait promis avaient fini par se produire. Aveuglée par la haine, elle avait perdu malgré tout ces proches qui lui tenaient le plus à coeur. Le retour des souvenirs était un puits d’angoisse puisque chaque vie lui avait prouvé qu’elle ne gagnait jamais. Changer de stratégie ne lui avait jamais permis de retrouver la paix. Il lui semblait avoir tout essayé.

Il n’y avait rien de pire que de se dire que tout acte était vain. Alors les mots de l’italienne, prononcés avec flegme, lui firent le plus grand bien. Même s’il lui était trop dur d’y croire et de penser qu’un jour elle pourrait s’affranchir d’un mécanisme qui rythmait son âme depuis des millénaires, Aura lui en faisait caresser l’espoir. Ce quelque chose d’inexplicable qui faisait perdurer le lien entre elles, avait aussi cet art de les raccrocher l’une à l’autre. De les faire se trouver au bon moment, de se rappeler qui elles étaient vraiment et ce dont elles étaient capables.
« Tu n’y crois pas » ; les yeux se perdent dans le paysage, s’amarrent aux étendues glacées. La question qui n’en est pas une n’attend pas de réplique ; Aura y a déjà répondu. Elle abhorre autant qu’elle l’idée même d’un destin tout tracé. Et tout comme elle jusqu’alors, elle préfère assumer ses actes et croire qu’elle reste libre de pouvoir tout changer.
La foi qu’elle place en elle et en cette faculté redonne à l’irlandaise un peu de sa confiance en elle, trop souvent piétinée. « J’espère que tu as raison en tout cas », elle souffle du bout des lèvres, et la chaleur qui en émane se dissipe dans les airs.

Un sourire tendre pour celle qui sait apaiser son coeur, la divine l’entraîne à sa suite et les déesses s’enfoncent encore dans les sous-bois. Les rayons de soleil qui persistent et font s’évaporer la neige accompagnent le chant des oiseaux ; l’hiver ne s’éternisera pas, l’instinct de l’herboriste sait au moins lui garantir cela. Et puisqu’en quelque sorte, elle renaît elle aussi au printemps comme ses amies fidèles, la voilà qui se prend à rêver des beaux jours.

A la différence d’Hécate, Airmed avait besoin d’air frais et de soleil. Ces périodes étaient toujours les plus heureuses, comme si le moral se laissait influencer par l’époque et la météo. Alors les pensées égarées, l’esprit filant les connexions, la botaniste en vient à se laisser happer par des songes plus légers. Elle repense aux aveux de la brune, y trouve un certain réconfort et la preuve évidente que les choses peuvent changer. Elle pouvait le voir brûler en elle ce feu dont elle lui avait parlé. Elle avait su dès l’instant où ses yeux s’étaient posés sur elle ; toujours et sans savoir comment, mais avec certitude. Et tandis qu’elle se tournait vers elle pour lui sourire tendrement, les barrières érigées d’ordinaire se mirent à s’effrondrer.
Elles ne se posaient jamais trop de questions. Elles n’empiétaient pas sur leurs vies respectives, se donnaient très peu de nouvelles. Si distantes et si proches malgré tout, elles refusaient toujours de s’envahir. Mais pour la première fois, Siobhan osa se montrer curieuse.

« Tu me le présenteras ? » L'inconnu mystérieux qui défiait le destin et ses rouages.

**Aura Sciarra**

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@SIOBHÁN KEARNEY

Elle ne savait pas où tout cela la mènerait Aura. Elle ne savait pas, et s’en moquait très certainement. Si elle avait appris à tout calculer, à connaître le maximum de possibilités et conséquences avant de se lancer, les derniers événements lui avaient rappelé qu’il était impossible d’assimiler tous les futurs. Malgré son esprit, malgré son éducation, elle restait purement humaine, comme tous ceux l’entourant. Et les réactions de tous empêchaient d’être certains sur la marche à suivre. Le destin n’avait pas à être tout tracé. Le destin ne pouvait tout simplement pas l’être. Et Hécate, au fond d’elle, ne pouvait qu’approuver ce que son hôte exprimait. Elle qui a été considérée comme au milieu de ce croisement, celui entre passé, présent, et futur, elle qui pouvait contrôler le temps… Et l’espace. Dommage qu’Aura en était incapable. Mais elle s’était rendue compte à quel point le contrôle était fugace, impossible. Et doucement, elle avait fait son deuil l’italienne. Elle préférait désormais ignorer son côté control-freak autant que possible, tout en sachant pertinemment que tout cela relevait de l’impossible. C’était se battre contre elle-même, néanmoins, l’avocate ne perdrait pas, pas même contre elle. C’était sa fierté tout de même qui entrait en jeu…

« Je pense que j’y crois de plus en plus. » Oui, c’était ça. Y’a comme une croyance qui effleurait son cœur, de temps à autre. A se dire qu’on peut changer, qu’on peut refuser de continuer sur la voie qu’on lui offrait. Alors non, peut-être que la Aura actuelle ne disparaîtra jamais. Cependant, elle évoluerait, trouverait son propre chemin, parallèle, foncièrement différent, de celui qu’on lui avait imposé. Ni Maximilio, ni Augustin, n’avaient été capable de la réfréner finalement. Tout cela avait déjà été fait une fois, pourquoi pas une seconde ? L’humain n’était pas fait pour la logique. « Seul l’avenir nous le dira. » Phrase maintes et maintes fois revue, qu’elle lâcha telle une bombe. Ca ne servait à rien d’en discuter en détails aujourd’hui. Il suffisait parfois d’attendre, de se poser sur le banc, de regarder défiler devant ses yeux les foules pressées. Elles courraient, en permanence. Elles courraient, sans jamais vouloir s’arrêter. Aura n’avait pas couru. Elle s’était toujours posée pour observer le monde l’entourer, pour glisser dans l’engrenage bien huilé, pour le suivre ou, au contraire, pour le bloquer. C’était si simple, quand on prenait le temps. Ca avait toujours été si simple, de tous les détruire…

Le soleil ne la dérangeait pas aujourd’hui. Assez bas, il ne brûlait pas la chair de l’italienne. Puis, elle avait passé les dernières semaines à vivre principalement la nuit, ou enfermée dans les bureaux ou appartement. Pas de quoi se voir grignoter par les rayons solaires pour quelques heures à l’extérieur.

Question, et l’étonnement se perçut sur les iris de la jeune femme. Jusqu’ici, l’interrogation ne s’était jamais posée. Néanmoins, il n’y avait pas grand-monde à qui elle pouvait en parler. Elle évitait toujours Augustin, et comme il était le seul membre de sa famille… Enfin, pas question de lui partager quoi que ce soit non plus… « … Oui je peux. » Ce qu’elle avait toujours évité par le passé, mélanger toutes ses vies. « Il s’appelle Clemens. » Pause. « Je… Vis un peu avec lui à Delray. » Donner le quartier, comme pour donner une faction. Et pour s’assurer que son amie pouvait s’y retrouver. Avec la Calavera, et le nombre d’ennemis qu’ils possédaient… Aura s’attendait à tout, et surtout au pire.

**Siobhán Kearney**

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Aura Sciarra & Aislinn O’Reilly

Confidences faites - bien plus qu’à demi-mot cette fois, les deux amies renouent avec le silence qu’elles savent si bien garder. Toutes à leurs réflexions, elles sont bercées par les seuls bruits de la forêt, du chant timide des oiseaux obstinés, aux branchages que le vent fait grincer. Bientôt, alors que le soleil s’efface, de nouveaux nuages envahissent l’empyrée. La divine regarde le ciel s’assombrir et quelques flocons orphelins tomber. Patience encore avant de voir le printemps revenir. C’est ce que la météo semble vouloir lui rappeler, et ça la fait sourire.
Alors, comme la boucle de leur promenade est sur le point de s’achever, l’herboriste s’autorise une toute dernière question. Sa curiosité l’emportant sur sa retenue habituelle, elle demande, une pointe d’hésitation dans la voix, si un jour elle aura le privilège de rencontrer celui qui fait battre ce coeur dit si froid.

La surprise éclairant les prunelles de l’amie, l’Empoisonneuse regrette d’abord de s’être laissée emportée. Elle craint de l’avoir mise dans l’embarras, qu’elle ne sache pas comment lui dire qu’une telle éventualité ne l’enchante pas… Et puis, elle comprend qu’elle n’y avait pas songé, tout simplement, et qu’après réflexion, elle n’y rechigne pas.

« Quand tu seras prête. Ca ne presse pas», s’empresse-t-elle de préciser, un sourire étirant ses lèvres aux fins louables de la rassurer. Le prénom murmuré, puis le quartier nommé, elle sent la confiance revenir pleinement entre elles et cette fois-ci, c’est dans ses yeux à elle qu’on peut lire l’étonnement.

« Oh». Delray lui évoque aussitôt la mafia mexicaine, et son Capitano. L’hybris s’éveille à sa pensée, gratte sous les chairs, mais la déesse prend soin de retenir ses chaînes. « Ce n’est pas dangereux pour toi ?», elle ose lui demander, le souci imprégné dans la voix.

C’est qu’elle a trop souffert elle-même de ces jeux de mafias, s’invitant jusque dans ses affaires personnelles. Le milieu criminel n’épargne pas les amoureux ; elle en a fait les frais, sa propre relation devant rester secrète lorsqu’elle était encore d’actualité, et sa mère ayant payé l’audace de son amour au prix fort, des années avant elle.

Les sourcils froncés témoignent autant de l’inquiétude que de cette part de scepticisme qu’elle ne parvient pas à cacher. Elle s’en rend compte alors que les silhouettes approchent enfin de la voiture, et la rouquine cherche à se rattraper. « Je veux dire… j’espère sincèrement que tout ira bien », souffle-t-elle en lui prenait les mains.

Tueuse, terreur, peut-être, et l’irlandaise le savait. Mais leur relation transcendait même sa propre morale et ses valeurs, et elle lui trouvait ce bonheur mérité. Il l’apaiserait, sans doute. La changerait, encore. Et permettrait peut-être à l’humaine et à la déesse de dépasser leur entente pour mieux fusionner un jour.
En mal mais aussi bien, il y avait tant de choses que l’Amour pouvait apporter ; elle-même était sur le point de le découvrir, et de voir sa vie chamboulée du tout au tout…

**Aura Sciarra**

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@SIOBHÁN KEARNEY

Parler s’avérait compliqué, pour quelqu’un qui avait passé des années dans le silence, à s’y cacher, à l’apprécier. S’éveiller, accepter de dire ce qu’elle ressentait, pour qui, c’était nouveau, et parfois effrayant. Néanmoins, Aislinn avait toujours ce petit quelque chose qui lui faisait être suffisamment en confiance. Peut-être parce qu’elle ne la trahirait pas. Peut-être parce qu’Aura savait qu’elle pourrait la tuer d’un claquement de doigt, sans que l’autre ne s’y attende. Se savoir en contrôle, capable de retourner la situation en cas de danger, ça permettait de se détendre, et d’accepter l’idée d’échange, de découverte. Elle avait toujours été comme ça l’italienne. C’était pour cela que Maximilio avait longtemps eu le contrôle sur elle : réagir n’était pas une option face à une divinité immortelle, et aussi écrasante. C’était le silence de plomb qu’elle préférait, comme ultime acte de défense. « C’est surtout… Nouveau. » Pause. « Et il faudra que je lui en parle avant, je ne veux pas lui imposer quoi que ce soit. » Oui, cela arrivait qu’elle pense aux autres. Très rare comme instant, à marquer d’une pierre blanche sur le calendrier.

Dangereux. Pour un peu, ce mot la ferait rire. Rien n’était dangereux pour une gamine des mafias, une de celles qui avait vécu toute sa vie au milieu des armes et du sang. Toute son existence dévouée aux organisations criminelles, elle était celle à craindre, et non pas celle qui devait craindre les autres. « Tu t’inquiètes pour moi ? » C’était étrange finalement, de se dire qu’elle pouvait apparaître comme faible dans les yeux de quelqu’un, comme étant en danger. « Pas tant que ça. La mafia contrôlant le domaine est une alliée. » Jusqu’à quand ? Et quand tout s’effondrerait, que pourrait-elle faire ? « De plus, j’ai l’avantage d’avoir par deux fois sauvés un des hauts-placés. » Être bien vue, être repérée comme une amie par Flores lui permettait de ne pas avoir peur pour sa vie. « Je ne suis pas vue comme un danger, et je calme un de leurs membres… Donc tout se passera bien. » Et si un jour cela devait changer, c’était la tueuse qui reprendrait le dessus. Aucun sentiment ne viendrait voiler ses yeux. A part ceux, naissant, pour Clemens. Mais il n’était pas la Calavera. Il n’était pas les chiens fous de la mafia mexicaine, à peine retenus par leur maître. Il n’avait pas leurs egos, leurs vies dévorées par une divinité n’apportant rien. Un altruisme étonnant et détonnant dans l’environnement…

« On verra bien. » Un murmure. Aura ne s’avançait jamais sur l’avenir, elle savait que le sien pouvait tourner court. Les fils du Destin étaient tenus, tout comme les alliances, comme sa vie. Il suffisait d’un rien pour le faire basculer, et il était bien plus complexe de maintenir l’équilibre… « On se trouvera un endroit dans le centre d’Arcadia, je te tiens au courant de toute manière. » C’était tout ce qu’elle pouvait faire. Il fallait déjà échanger avec Clemens, sans créer de panique, alors qu’elle-même ne savait pas dans quelle direction à aller. Chaque pas la plongeait un peu plus dans la brume, sans aucun moyen de s’en réchapper.

Boucle terminée, et la voiture revint dans leur champ de vision. « Il est temps de retourner en ville je pense. » Pause. « Je te dépose chez toi ? » Merci pour ces quelques heures. Loin de tout, loin de tous, avec pour seul témoin le soleil réchauffant leurs épaules…

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