The hunt has just begun.

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Éclat rougeoyant dans la nuit, le bâtonnet s’embrase, et l’Amazone regarde danser la flamme sous un ciel de ténèbres. Elle aime trop ça, les allumettes, pour troquer son paquet toujours planqué dans la poche de sa veste contre un bon vieux zippo. Le bois qui craque quand jaillit l’étincelle, qui se consume sous le brasier... et puis cette odeur de brûlé quand le spectacle se termine…

Elle attend le dernier moment, que le feu lèche la peau, pour enflammer l'extrémité d’une cigarette.
Et le bâton cramé rejoint ses talons noirs, tandis que dans les airs, s’élève un nuage de fumée.    

Le tabac inhalé apaise la furie qui s’agite à l’intérieur. Impatiente, elle trépigne en observant les alentours, plantée devant l’amas de bâtiments désaffectés. Elle détonne, comme toujours, avec ses airs de fashionista rock’n’roll, dans ce quartier miteux et mal famé.
C’est pourtant son repaire, et celui des rebelles qui gagnent du terrain. Non loin, se trouve la tanière bien dissimulée des Obscuris ; et depuis qu’elle les a rejoints, elle y a fait son nid elle aussi.

Industrial district, le paradis des criminels. Où les alliés se croisent à tous les coins de rue, où tous les commerçants sont corrompus, et où il suffit de baisser les yeux pour dénicher un trou à rat où se planquer… Toutes les roues de secours se trouvent dans ce quartier, et si elle craignait vraiment le danger, la Guerrière pourrait dire que c’est à cet endroit de la ville qu’elle se sent le plus en sécurité.


Un coup d’oeil à sa montre, et l’Amazone affiche un sourire carnassier. Devant l’heure qui s’annonce, elle écrase le mégot de sa semelle, et reprend son chemin au travers des rues sombres. Mains dans les poches, les doigts crispés caressent un flingue par habitude ; pourtant à son approche, les yeux s’affalent sur le sol dégueulasse, et on s’écarte les trois quarts du temps pour la laisser passer. Après quelques mois à traîner dans les parages et trois années à vivre à Arcadia, elle sait que sa réputation n’est plus à faire.

« Déjà là ? » Le ton de sa voix transpire l’ironie quand elle s’adresse à la silhouette vêtue de noir au fond de la ruelle. Une clé perdue dans son blouson de cuir s’invite entre ses doigts, et diffuse des éclairs dans la pénombre ; des reflets argentés qui se confondent à ceux de la serrure qu’elle déverrouille.

« J’ai failli attendre ». Sa petite soeur est en retard. Pas de beaucoup, mais il n’en faut pas plus pour lancer la machine aux sarcasmes. Et Jennie la connait suffisamment pour savoir qu’il n’y a rien de personnel à ses paroles désagréables. Une question d’attitude, seulement.

Sous la poigne brutale, les portes en acier s’ouvrent et les deux femmes s’avancent dans l’entrepôt. La Vesari referme derrière elles, à double tour, avant de suivre la plus jeune jusqu’aux tréfonds du bâtiment. Elle bouillonne à l’idée de découvrir toutes ses trouvailles, et quand enfin elles stoppent leur progression, son regard brille comme celui d’un enfant au matin de Noël - en un brin plus flippant. Elle contemple sa soeur, la gratifie d’un sourire satisfait, et fait claquer sa langue ; « Montre-moi, petit génie ». Impatience qui se lit dans les prunelles avides, et lueur de fierté à l’égard de l’enfant qui a rejoint la fratrie.

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Les heures passaient dans la noirceur de son appartement avaient fini par payer. Les diverses armes disposées devant elle lui vaudraient certainement une beau séjour en prison si quelqu’un tombait dessus purement par hasard. C’était la raison des verrous sur la porte de la chambre, des caméras dans chaque recoin, des alarmes pour chaque personne posant le pied en ces lieux. Elle se barricadait la gamine, refusait que ses inventions tombent entre les mains des militaires, leur préférant donc une soeur instable, et un frère brillant. Eux faisaient couler le sang, quand elle se délectait de l’utilité de ses armes et armures. La folie avait depuis bien longtemps pris possession de l’esprit, avait gangréné l’innocence de la chinoise. La mafia voulait ce sacrifice, tout comme la bande de dégénérés que la Triade avait rejointe. Y’avait jamais eu aucune raison pour elle de vivre comme tout le monde. L’amour maternelle l’avait certes étouffée, mais c’était surtout les tares de l’adoptante auxquels elle avait accédé. Douce mélancolie, dépression. Ca avait brisé les barrières, éventré les convictions, et désormais, elle se promenait avec sa franchise en bandoulière, son absence de filtres dans les relations. De toute façon, elle avait compris bien assez tôt que son intérêt ne se porterait pas sur les humains, les relations quelles qu’elles soient.

Le rendez-vous avait été fixé, dans l’une des multiples cachettes des obscuris. A cette heure-là, la plupart était dans les coins sombres de la ville, à préparer leurs prochains méfaits. Cadavres ambulants qu’elle suit de loin, haussant les épaules à l’annonce des dégâts. C’était leur amusement, et au moins, la chinoise était tranquille pour faire ses essais. Surtout lorsqu’ils risquaient de mettre le feu au bâtiment. Après tout, quel était l’intérêt si le danger ne lui brûlait pas le bout des doigts ?

Elle jouait avec une piécette, sifflotant alors que ses épaules étaient libres de tout poids. Etrange au vu de son activité du soir. Néanmoins, la découverte de sa divinité il y avait trois ans l’aidait grandement à vivre une vie de crime à Arcadia. Car elle était blanche comme neige, sans arme, sans aucun objet capable de la rendre suspecte aux yeux des autorités. Jennie n’était rien, qu’une goutte d’eau dans l’océan. Pourtant, il faut toujours se méfier de l’eau qui dort….

Quelques minutes de retard à peine, et ce fut une remarque acerbe d’Evgenia qui l’accueillit. Remarque à laquelle la plus jeune réagit, verve qu’elle avait copié des aînés au fur et à mesure des années. « Pour une fois que tu n’es pas en taule, tu peux enfin arriver à l’heure. » Le regard s’accrocha un instant à celui de la plus vieille. Heureusement que Jennie ne s’était jamais laissée sur les pieds. même si cela la desservait par instant. « J’espère que tu es prête maintenant, je n’ai pas envie qu’une des armes t’arrache le bras parce que tu es insouciante. » Trop vieille, trop mature, trop amusée, trop ironique… Jennie était le trop dans toute sa splendeur, et seule un sourire barrait son visage juvénile.

La porte ouverte, la jeune femme pénétra dans l’enceinte du bâtiment désaffecté. « Bien. Commençons. » Les paupières se fermèrent un instant, et la main se referma sur l’air. Le temps d’ouvrir son chemin, et de matérialiser autour d’elle les divers objets du soir. Une seule manifestation de ses pouvoirs, et elle dut reprendre son souffle. Un peu plus, et le corps aurait fini par s’écraser. La magie était un jeu dangereux. « L’arme principale de ce soir est lourd. Elle devrait permettre de tirer bien plus, et plus rapidement qu’une arme lambda. Je ne pense juste pas qu’une autre personne que toi puisse la manipuler. » Sauf un autre mec avec une force surhumaine. Mais elle n’en connaissait aucun autre Jennie...

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Le ton acerbe de la voix résonne dans les ténèbres et arrache un sourire sinistre à l’Amazone. Les piques entre les soeurs sont de bonne guerre ; c’est ainsi qu’Evgenia veut voir réagir sa cadette et venant d’elle, la taquinerie ne l’atteint pas. Seul un éclair jaillit dans son regard, traduisant l’impatience et l’envie de jouer. « Ca pourrait arriver encore », renchérit la Guerrière en prenant les devants dans le vieux bâtiment. Elle fait référence aux fers qui ont déjà ceint ses poignets ; à cette prison qui la menace de redevenir son lieu de résidence comme une épée de Damoclès au dessus de sa tête. Chaque jour qui passe est un pari entre la Vesari et le destin. Elle mise beaucoup trop sur sa chance et sur son frère mais il demeure toujours cette part d’inconnu qu’elle ne peut maîtriser. « Mais j’espère pour toi que ce sera le plus tard possible. Tu crois que tu t’en sortirais sans moi ? » Plantées devant un établi qui accueillera tous leurs jouets, la Furie et sa soeur s’immobilisent. En face à face, elles se toisent et retrouvent peu à peu leur sérieux. Chacun a son utilité dans la Triade et ils ont beau prétendre le contraire ou plaisanter à ce sujet, aucun des trois n’a d’intérêt à voir tomber l’une de leurs têtes. Aucun d’eux ne le permettrait, ni ne le supporterait. Les Obscuris ont leur Cerbère en la personne des Vesari, et ce dernier ne peut être au summum de sa violence et de son efficacité que s’il reste lucide et entier.

Silencieuse, l’Amazone observe la déesse et son tour de passe-passe. Quelques fois, Evgenia les jalouse, ce frère de sang et cette soeur adoptée qui ont logé en eux des êtres plus puissants qu’elle ne le sera jamais. Pour elle, il n’y a que des talents exacerbés et sa force de caractère ; sa folie qui a même étouffé la sagesse de la Reine, lui préfère sa fureur et l’empêche au quotidien de s’exprimer.
La Guerrière lève les yeux au ciel mais se tait. Une part d’elle admet ô combien ce don là est pratique ; les Vesari sont intouchables quand Jennie matérialise les objets du délit à l’autre bout du monde. Un haussement de sourcils accompagne les explications de sa cadette, tandis qu’elle examine l’arme qu’elle présente. Son regard s’illumine quand elle l’effleure du bout des doigts. Enfin elle s’en empare et la soupèse, grimace en prenant conscience de son poids. « C’est un problème. Il faut faire quelque chose pour ça ». Elle ne rêve que d’une chose : admirer les dégâts. User de ce bijou que la déesse lui abandonne, certaine qu’il tiendra ses promesses. Car Evgenia fait confiance à Jennie même si ce sont les critiques qu’elle énonce en premier. « Je ne pourrais pas la manipuler longtemps ». Mais suffisamment pour faire mouche dans tous les cas, car l’Amazone n’a pas besoin de cette force qu’elle n’a pas pour dégommer sa cible. Quelles que soient les circonstances, elle reste plus habile qu’un autre en matière de combat.

Elle repose l’arme devant elle et se rapproche de quelques pas pour préparer leur stand de tir improvisé. Avec les murs blindés et acoustiques de l'entrepôt désaffecté, elles pouvaient bien tout détruire sans même que ça n’inquiète un seul civil au dehors. Équipée, la Vesari se tourne vers sa soeur cadette et lui décroche un sourire carnassier. « On l’essaie ? »
   

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Le sourire se dessina sur ses lèvres. Si les critiques et remarque fusaient de la bouche de la plus jeune, elle appréciait réellement la sœur que la vie lui avait offert. Si le sang n’était pas le même, et que le physique entre les deux femmes le prouvait, Jennie avait grandi avec Evgenia – et Alessio –. Ils étaient le frère et la sœur qu’elle n’aurait jamais cru avoir, dans ce monde qui l’avait rejetée dès sa naissance. Pourtant, ils s’étaient insultés, balancés les pires crasses dans la gueule les uns des autres. C’était un peu leur marque de fabrique, dans leur vie aussi décadente. « Oh, je n’en doute pas, mais Alessio serait toujours là pour te sortir d’affaire non ? » Sans évoquer le pouvoir de la plus jeune aussi. Néanmoins, elle évitait de l’utiliser sur des êtres humains pour le moment, ils finiraient certainement en morceaux à cause du manque de contrôle. En tout cas, Alessio était leur cerveau, puisqu’Ev était trop contrôlée par sa colère, sa violence, et Jennie… Par son impulsivité, son incapacité à construire des barrières. A force de se prendre pour la reine, la réalité lui mettra une bonne claque. « Je m’en sortirai oui. Au pire, j’ai toujours l’argent qui coulera à flot. »

L’argent, le cœur du problème. Et pour une hackeuse, dans un monde aussi sombre, il coulait entre ses doigts. Quelques pièces pouvaient tout acheter. La gloire. L’amour. La sérénité. La haine. La réussite. C’était ce que la chinoise avait appris. Faites un virement à la bonne personne, et tout pouvait être effacé, tout pouvait être remis à zéro. La connaissance était certes le pouvoir dans les adages, mais les billets verts en étaient son déclencheur. « Mais aucun de nous ne pourrait tomber seul. » Murmure, tant la Triade était soudée. Touchez à l’un et tous vous tomberont dessous. Avec un peu de chance, une survie de quelques heures vous attend. Sinon, la Faucheuse se réveille dans les minutes suivantes.

Le pouvoir dansait au bout des doigts, tant qu’elle n’en abusait pas. Et il y avait aussi cette nouvelle capacité, capable de repousser les dégâts qu’on lui infligeait.  me jumelle à laquelle elle se liait, mais dans quelle proportion ? Les interrogations étaient réelles, même si elle ne savait pas à qui en parler. Evgenia peut-être ? Même si elle serait assez folle pour lui proposer un test. Avec de vraies armes. Une légère grimace barra son visage. Jennie avait peut-être de nombreux soucis mais blesser volontairement sa famille n’était pas dans son éthique. « Je sais. J’ai quelques plans pour arranger cela. » Bon, une bonne dizaine et aucun ne fonctionnait dans les simulations. En fait, rendre plus légère la partie motorisée était… Complexe si ce n’était impossible en l’état actuel. Avec la miniaturisation, peut-être qu’elle pourrait y faire quelque chose… « Tentons de voir comment tu la manipules pendant un cours laps de temps. Je ferai des ajustements au fur et à mesure. » La voir entre les mains d’Evgenia lui donnera de nouvelles idées, elle en était certaine. D’ailleurs, elle avait déjà sorti son calepin, prête à noter et dessiner la future arme. Le prototype était voué à échouer finalement…

Des cache-oreilles furent posées sur sa tête, et elle hurla presque « Quand tu veux. Ca se manipule comme toute arme, tu presses la gâchette et ça part. » Sourire sur les lèvres, elle était prête à voir le monde exploser sous les doigts de l’aînée… En espérant que tout fonctionne. Néanmoins, la gamine ne testait pas un jouet défaillant. Tous les tests préliminaires étaient bons, aucune chance qu’elle se soit plantée dans ses calculs.

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Ah, Alessio. Evidemment qu’il serait là. Il l’avait toujours été et le serait toujours, la Vesari n’en doutait pas. Il avait comme une dette envers sa soeur qu’il prenait très à coeur de rembourser. C’était peut-être le cas au début, mais aujourd’hui, le lien était là, puissant, indéfectible, et Jennie avait tout simplement tissé son fil autour du leur, l’y mêlant finalement pour qu’ils ne fassent plus qu’un. Ils ne se posaient plus de question à ce sujet depuis le temps. La Triade était née, et d’après eux, elle resterait debout quoiqu’il arrive. Ils se l’étaient promis sans mots, oeuvrant tous en faveur de cet accord tacite, quand l’Amazone ne rompait pas cet équilibre avec ses coups de sang. Et elle sourit à cette pensée. Au fond, ils s’attiraient tous des ennuis, tout le temps ; les deux autres étaient simplement plus subtils.

L’Amazone acquiesce aux réponses de sa soeur et croise les bras sur sa poitrine. Elle s’amuse de l’assurance de cette dernière, à la limite de l’insolence ; un trait de caractère sans aucun doute hérité de leur frère, individu pédant et prétentieux. « Le sort du poisson est heureux, il boit quand il veut ». Une expression toute faite pour appuyer ses dires, car même si ça la fait bondir et lever ses yeux clairs au plafond, Evgenia connaît les talents de sa soeur et elle a foi en eux. Même si l’instinct voudrait la protéger toujours, elle sait parfaitement qu’elle s’en sortirait, un peu comme aujourd’hui, elle peut avoir tout ce qu’elle veut. Impressionnant tout ce qu’on peut faire avec un bon réseau et un ordinateur. Avec un cerveau bien rempli aussi. Heureusement, leurs aptitudes à tous les trois demeuraient parfaitement complémentaires…

Un signe de tête entendu, la Guerrière n’épilogue pas concernant leur alliance. Elle s’approche simplement du stand improvisé, empoigne l’arme qu’elle tient fermement, et s’apprête à tirer. Malgré le poids de ce jouet, elle prend le temps de sentir le métal entre ses doigts et la morsure du froid qui s’en dégage. Faire connaissance avec son moyen de défense, appréhender chacun des éléments, ses lignes et ses virages, c’est ce qui fait qu’elle sait si bien les manoeuvrer sur le champ de bataille. La Furie se fait un devoir de bien connaître ses alliés qui font couler le sang.

La cible est juste là, immobile pour une fois, prête à subir l’explosion. L’Amazone se détend. Elle inspire, se concentre. S’enivre de cette sensation, partage le goût de sa parèdre pour la manipulation de ces engins de mort. Elle en vibre d’avance, mais le plaisir sera court.
Dernier coup d’oeil à Jennie, elle ajuste son casque et vise pour de bon. Le coup part. La balle fuse sans qu’elles aient le temps de la voir et le support éclate en milliers de morceaux sous la déflagration. Spectacle éblouissant, son objectif s’embrase et la Guerrière relâche doucement le calibre après avoir enclenché le cran de sûreté. Elle le repose avec prudence sur la surface et adresse un clin d’oeil à sa soeur, ravie. « Encore mieux qu’un 4 juillet. Tu t’es surpassée, petit génie».


   

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Tu presses la gâchette et ça part.

C’était si simple, Jennie l’avait designé pour que cela fonctionne de la sorte. Pourtant, il y avait toujours une probabilité, un risque que tout échoue. Parfois, ça se jouait à une simple vis mal imbriquée et tout explosait. Aujourd’hui ne devait pas être un tel jour. La gamine avait confiance en ses capacités, peut-être trop. Elle se disait que l’échec viendrait à cause d’un autre, d’une malformation indépendante de sa volonté. Car elle était une génie, et rien, ni personne, ne pourrait lui enlever ça.

Sourcil arqué, regard intrigué, elle se demandait ce qui passait par la tête de son aînée. « Tu es sûre que ça va ? » L’expression lui était inconnue, pour elle, tout sortait de la tête d’Evgenia et ce n’était guère rassurant. « Si tu commences à inventer des proverbes, je devrais peut-être t’emmener voir un psy. » Un regard de la tête aux pieds, elle hésita même à lui poser une main sur le front, avant de se restreindre. Il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin, et Jennie tenait à son bras. Si l’aînée s’agaçait, elle pourrait le lui arracher alors autant le ranger bien à l’abri, non ? « Essaie juste mon nouveau bébé. » Avant qu’il ne surchauffe. Avant qu’une pièce ne se déplace. Avant que la police n’arrive. Tant de difficultés probables…

Elle observa sa sœur prendre en main l’objet de mort, s’éloigna de quelques pas. Sans attendre, elle enfila son casque, sa visière. Les premiers tests pouvaient s’avérer dangereux, si on ne faisait pas attention. Evidemment, elle était certaine que tout se passerait bien, mais son instinct lui hurlait de prendre les précautions nécessaires. Au pire, elle dira que c’est de la faute d’Evgenia. Mauvaise foi.

Un bruit sourd, satisfaisant aux oreilles de Jennie. La balle vola, s’écrasa sur la cible, laquelle vola en mille morceaux, avant de prendre feu. Sourire aux lèvres, elle attendait les réflexions de l’aînée, qui ne tardèrent pas. « Tu as vu ? » Elle fanfaronnait presque la déité, sautillait sur place. « Après avoir été touchée par cette arme, impossible de reconnaître le corps. » C’était le but de la manœuvre. Une puissance de feu inouïe, pour réduire en cendres les victimes. Ca allait avec les idées du Chaos, non ? La destruction, la discorde… Détruire tout, même les corps, même les chairs. « En revanche, il faudra peut-être le rendre plus discret à transporter… Ou inclure une fonction d’auto-destruction. » Les réflexions tournaient dans un coin de son esprit, et elle se mit à faire les cent pas, toujours vêtue de son attirail… « Qu’en penses-tu après un seul usage ? » S’il y avait déjà des choses à changer ou améliorer après un seul tir, les problèmes ne pourraient que se multiplier après plusieurs d’entre eux. Autant modifier dès le début.

Elle attrapa feuilles, plans et stylos, avant de darder son regard chocolat sur la silhouette de son aînée…

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Contournant la surface, l’Amazone fait crisser ses ongles sur le métal froid. Un ricanement s’échappe de ses lippes écarlates, tandis qu’elle frôle l’arme encore chaude du bout de ses longs doigts. « Cette histoire de psy… c’est lui qui finirait à l’asile, tu crois pas ? ». Consciente de ses propres déviances, elle jette un regard sinistre à la déesse avant de reporter son attention sur le canon étendu là.

« Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? », elle demande à Jennie, désignant du menton sa nouvelle invention. « Phosphore ? ». Si ce n’est pas son domaine, elle s’y connaît un peu. Assez pour savoir que ce type de munitions ne court pas les rues et que les explosions sont propres aux bombes, en règle générale. Certainement pas aux armes à feu.

L’envie d’une cigarette la pousse à fouiller la poche intérieure de sa veste. Elle attrape un cylindre, le glisse entre ses lèvres mais renonce à l’allumer. « Plus discret et moins lourd, sinon on pourra pas s’en servir sans toi dans les parages ». Pour le faire apparaître, disparaître à sa guise. Un pouvoir bien utile que l’enfant du milieu aurait tendance à jalouser, plus faible par essence que sa cadette et son aîné. « De l’auto-destruction ? » Un peu amère, la Guerrière effleure le canon en fronçant les sourcils. « On est pas dans James Bond. Et puis ce serait dommage de devoir tout recommencer ». Elle le concède sans prononcer les mots ; Jennie a fait du bon travail, si bien qu’elle n’a pas grand chose à redire, du moins après un premier tir. « Pas mal. Faudrait faire d’autres tests, sans tout détruire ici ». Elle jette un coup d’oeil à la structure en ferraille et s’installe sur une marche en béton. « L’endroit est pas prévu pour ça, mais peut-être qu’on peut l’équiper ».

Ou pas. Malgré l’avancée des Obscuri, Evgenia sait ce que son frère dira. Qu’elle aura beau vanter les mérites d’un tel pistolet, ils devront choisir les bons moments pour se faire remarquer. « En tout cas, on pourra pas s’en servir à la légère. Il faudra de gros coups pour ça ». Elle cherche le regard de la déesse, elle-même surprise d’être celle qui - pour une fois - énonce les mises en garde. « Va falloir convaincre ton frère. Paraît que ça sent pas bon pour nous ». Haussement d’épaules, enfin elle sort son vieux zippo. « C'était à prévoir. J'veux dire, après la mairie, ils s'attendaient à quoi ? » Étrange, comme elle en vient à mettre sur la table un sujet qui ne l'a jamais préoccupée plus que ça. « Ils ont déjà commencé à nous traquer ». Le pronom est sifflé entre ses dents serrées. Par ils, elle veut dire les mafieux, ces dieux autrefois vénérés qu’ils cherchent à renverser. Ceux là même que l’Amazone prend un malin plaisir à tourmenter, et qu’elle rêve de voir déchus de leur piédestal.

Elle se redresse, d’un bond, et darde un regard noir aux notes et au carnet. « Je crois que c’est la dernière fois qu’on se voit ici avant un bon bout de temps, nous deux. Tu dois faire encore plus attention ».


   

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Le sourire carnassier, les commentaires parfois directs, froids. Plus d’une personne avait pris la mouche, dans les jeux auxquels Jennie se perdait. Elle aimait s’y adonner. Elle aimait choquer. Elle aimait faire comprendre qu’elle était en contrôle, que rien ni personne ne pouvait l’arrêter. Elle se plaisait dans ces sensations d’inconfort. « Si seulement il a le temps d’être interné. » S’il ne meurt pas avant. Par suicide. Par la main d’Evgenia. Ou celle d’Alessio. Le frère reconnu pour sa violence, même s’il se salissait rarement les mains. C’était plus Ev qui gérait la partie corps-à-corps. Quant à Jennie… Elle leur fournissait les armes, les informations. Elle ne tirait aucun fil, était aussi libre que l’air. Toujours là où on ne l’attendait pas, elle avait plongé dans la fascination morbide des armes, des stratégies militaires. Pas un cerveau, pas un muscle. Elle était… Tout et rien à la fois. Au grand dam de ses aînés. « En partie. » L’amusement fut perceptible sur ses traits, alors que le doigt se posa sur les lèvres, mimant le silence. « Mais pour le reste, secret professionnel. » Clin d’œil. Dans tous les cas, même avec la recette, que ce soit pour le métal ou l’explosion, personne ne pourrait reproduire un tel élément. Même pour Jennie, de nombreuses tentatives, de multiples échecs avaient été nécessaires.

Elle attrapa une sucette, la fourra dans sa bouche avant de se saisir des divers plans et stylos. Elle entreprit de noter quelques calculs complémentaires lui passant par l’esprit. Le but était de miniaturiser une bonne partie des composants, rendre le réservoir plus petit mais tout aussi puissant. Sans rendre le phosphore instable, ce qui pouvait arriver avec de tels éléments. « Vrai. » Sans elle, impossible de le faire apparaître. Peut-être seraient-ils obligés de l’emmener sur le terrain comme ça. « J’ai les plans, les matériaux ne sont pas un problème à récupérer, donc s’il faut le faire se détruire, je le ferai. » Aucune notion de gaspillage puisqu’elle pouvait tout obtenir à partir du moment où elle l’avait vu. La facilité.

Un regard dans les environs, les épaules se haussèrent. « Tu ne crois pas qu’ils devraient aménager des locaux pour nous ? » S’ils veulent gagner cette guerre, ce serait le mieux non, de leur donner les moyens ? « Sinon, je peux étudier le problème. Je connais la puissance max de mes outils, les contrer ne devrait pas être compliqué. » Et dans tous les cas, l’échec n’était pas une option dans son esprit. « Evidemment, ce n’est pas à utiliser sur la plèbe. » Pourtant, l’arme serait-elle suffisante sur des dieux ? Sur des divinités, comme elle, mais en plus puissantes ? Les questions restaient dans un coin de son esprit, ramenées sur le devant de la scène par une âme perdue en son cœur.

« Je me charge d’Alessio. » Il ne pouvait rien lui refuser. Et surtout, elle avait beaucoup appris de son aîné, notamment dans la façon de manipuler les autres. Quel plaisir de retourner contre lui ses propres techniques… Elle avait hâte d’essayer.

Néanmoins, l’inquiétude dans la voix de sa sœur lui fit relever les yeux. Une traque… Jennie soupira, s’étira. « Oui, c’était à prévoir. N’était-ce pas ce qu’il voulait après tout ? » Khaos. Leur chef. « Je veux dire, s’ils courent après nous, après les sous-fifres, lui sera tranquille non ? » Se servait-il d’eux comme bouclier ? Ce ne serait pas déconnant. « On peut toujours leur souhaiter la bienvenue s’ils nous trouvent. » Les pièges, les fausses pistes, elle pouvait s’en charger pour ses aînés. Pourquoi avoir peur ? Ca ne changeait rien aux yeux de la plus jeune. Les pupilles suivirent la sœur, la silhouette musclée et fine. Elle avait l’air sur les nerfs, plus que la brune ne l’aurait cru. « Ne t’en fais, je sais effacer mes traces, même si je n’en donne pas l’impression. » Ne pas l’inquiéter. Parce que finalement, elle aussi avait le sang des Vesari dans ses veines…

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De son pouce, l’Amazone relève le couvercle en acier et la flamme du zippo en jaillit sans attendre. Pour s’amuser, elle éteint la lumière de la pièce dans laquelle elles se trouvent et regarde les ombres danser sur les murs. Les mots avisés de sa soeur l’interpellent, mais elle n’en montre rien. Spectatrice silencieuse, elle observe le ballet des spectres qui s’agitent à mesure qu’elle se meut dans l’espace, comme elle fait les cent pas. Parfois, les ténèbres avalent une ombre et elle se plaît à comparer ce jeu à Khaos et ses fidèles. Peut-être qu’ils ne sont que ça, de la chair à canon. Peut-être qu’ils seront tous sacrifiés, dans un avenir prochain. Mais en se déplaçant, Evgenia remarque aussi que les ombres mangées reparaissent, et elle espère qu’il en sera de même pour eux trois à la fin. Elle ne lui a jamais posé la question et ne le fera pas car elle reste un soldat, malgré l’influence de Penthésilée… mais elle suppose qu’Alessio a un plan pour survivre à Khaos et qu’un jour, ce sera eux au sommet.

Elle rallume la lumière, et finalement, sa cigarette. « C’est certain ». Certain qu’ils seront prêts à accueillir leurs ennemis, et qu’ils ne les laisseront pas repartir avec la tête sur les épaules, même s’il doit y avoir des pertes.

Pour répondre à Jennie et sa dernière remarque, elle se contente d’hocher la tête. Peut-être bien que l’Amazone la pousse à se montrer prudente. Plus que n’aurait dû l’être l’humaine. Elle a confiance en sa soeur malgré tout, et suppose qu’elle sait parfaitement ce qu’elle fait. Même si, en effet, elle n’en a pas toujours l’air…

« T’en as une pour moi ? ». Mains dans les poches, elle s’arrête soudainement en face de la divine et lorgne la friandise à ses lèvres. Ces coeurs rouges qu’elles se volent, se donnent et se partagent depuis qu’elles sont gamines.

« C’est du bon travail en tout cas ». Elle réitère alors qu’un nuage de fumée s’évapore dans les airs. Ses doigts parcourent lentement la table jusqu’à atteindre l’arme qu'elle reste avide de pouvoir encore manipuler. « On s’amuse encore un peu, je te ramène après ? ». Dans l’entrepôt aménagé, il y avait d’autres jouets qui ne risquaient pas de tout faire exploser. Elles pouvaient rester là comme prévu, comme autrefois, comme d’habitude, et s’entraîner. En attendant la prochaine bataille…