Sur la plage, dos au Soleil couchant, à la nuit tombant, au froid m’enrobant. Les galets virevoltent sur l’onde rythmée par la froide brise d’Automne suivant la cadence de mon ventre mimant ma respiration ; lente.
Pas.
Je me retourne, voyant la silhouette arrivée sur le sable humide. Mes mains glissent dans mes poches, mes épaules se courbent et ma tête se baisse. Au loin, les candélabres grésillent et clignotent, allongeant nos ombres, noyant ma tête dans l’écume.
Tonnerre.
Mes os vibrent. Les réverbères s’éteignent. Je ne reverrai la lumière.
« Reste avec moi cette nuit, ou laisse l’océan m’emporter. »
"Comment te deviner, toi qui t’échappes sans le dire bien au delà du ciel bien au delà des océans, tranquilles de te voir pleurer."
Le palpitant au bord de la reddition, il le cherche, soulève Arcadia, ne sachant si c’est l’oiselle tentant de retrouver Quetzalcóatl qui s’agite dans son esprit, où si ce qui se passe est entièrement mortel. Et il le trouve sur la plage, silhouette trop solitaire et fatiguée, qu’il doit se retenir d’étreindre et d’éloigner des vagues tentant de lui mordre les pieds.
« Je reste… »
Mouvement de tête, tentative d’échapper à la vue d’une échine courber, de nier l’étau enserrant sa gorge.
« Évidemment, je reste… Maintenant viens, ne croupis pas là… »
Souffle rauque de peur, il lui tend une main, supplie du regard.
Comme attaché à la crique, ancré à la mer tel un navire échoué, couvert de coquillages et de sel.
Rouillé. Usé.
Mes dents se serrent à mesure que le vent siffle plus fort, soulevant les algues ocres.
Froid.
Ma peau frissonne mais une chaleur incommensurable bouillonne dans mes entrailles. Une amertume, une saveur auparavant indicible dans mes tourments, semble couler sur cette ardeur, embrasant la géhenne de ma peine.
« Je ne peux pas. »
L’horizon me fixe alors que ce n’est pas lui que je souhaite regarder désormais. S’arrachant de cette noyade, mes doigts s’accrochent à mon éphémère sauveur.
"Comment te deviner, toi qui t’échappes sans le dire bien au delà du ciel bien au delà des océans, tranquilles de te voir pleurer."
Qu'il sorte ne serait-ce qu'une main de sa poche et s'accroche à lui, il n'est là plus que pour cela, poussé par tout ce qu'il y a de mystique en lui, qui ne veut pas voir disparaître sa divinité. Car il le sent dans l'air, le voit sur le visage d'Aurelio, le serpent à plume va lui glisser entre les doigts.
« Pourquoi tu n'peux pas ? Qu'est-ce qui se passe ? »
Il sent les doigts du médecin passer contre les siens, et poussé par la peur, il entoure son poignet de sa main, l'incitant doucement à venir contre, rejoindre le feu plutôt que les abysses salés.
Les doigts s’entremêlent sous la pluie ; paume contre paume, une orbe doucereuse naît dans le creux confiné des deux mains. Comme un cotonneux charbon ardent, un doucereux feu follet ronflant, il ne faut pas l’écraser ni le laisser s’enfuir.
Levant.
Mes yeux y sont attirés, mon âme aspirée, seul ce foyer, cet âtre improvisé, me retient d’être absorbé. Mais je le sais, je le sens, l’ancre ne suffira bientôt plus et la tempête m’emportera.
« Parce que... »
Je souhaite le regarder cependant mes orbites ne peuvent s’extirper de l’Orient. Mes dents frémissent. D’une impulsion, je le somme de se rapprocher.
"Comment te deviner, toi qui t’échappes sans le dire bien au delà du ciel bien au delà des océans, tranquilles de te voir pleurer."
Un frisson dans son cou au contacte de leurs mains, inhabitué qu’il est à la douceur, qui à l’instant le laisse pantelant. En monstre incapable de lui refuser quelque chose, il se laisse emmener contre lui, allant plus loin dans un élan de courage, et passant un bras autour de sa taille, pour le serrer contre lui, égoïste de leur faire affronter à tous les deux cette hantise du contact.
« Parce que quoi ? Ça a un rapport avec Quetzalcóatl… N’est-ce pas ? »
Ses lèvres sur son front dans une tentative muette et inutile de protection, car un baiser n’a jamais été un bouclier.
Ses lèvres se déposèrent sur mon front comme une pierre tombe dans un lac placide et mort, brisant la vase à son épicentre, engendrant une débâcle de nénuphars. Les crapauds de mon âme, gourds et léthargiques, s’agitent à l’impact, face à ce trouble.
« Oui. » La sédimentation au fond de l’étang de ma psyché s’éveille et gronde, s’agite et monte à la surface, l’écaillant de vers luisant et de feux follets grinçant. L’écosystème reprend vie dans un spectacle pyrotechnique, un festival aux mille pétards.
« C’est en rapport avec moi. »
La fièvre monte, la peau devient brûlante, le lac se meut en géhenne.
"Comment te deviner, toi qui t’échappes sans le dire bien au delà du ciel bien au delà des océans, tranquilles de te voir pleurer."
Il ne réagit pas, qu’importe le stimulus, corps froid entre ses bras, éternel frigide que seul l’alcool délure. Le reptile, lentement lui glisse entre les doigts, passe entre ses questions, et le laisse sans réponse avec cette panique vorace de ses viscères. Et lui ne peut que serrer les dents, courber l’échine, incapable de le faire réagir. La colère engendre l’audace, et de l’audace naît la légère caresse qu’il ose sur la pommette de l’homme, de son pouce malhabile. Provocation trop brutale pour deux asociales, qui n’est rien face à l’impacte qu’il prépare, et qui frappe contre ses lèvres. Rien de romantique ou d’idyllique. Sa peau se détache à peine de la sienne avant qu’il ne réattaque, plus hésitant et plus léger, une simple question en interlude :
Comme une étincelle, qui couvre ma peau suintant d’essence, qui embrase mon âme et mes squames gisant dans un terreau morne et froid telle des nappes de pétrole. Je me sens suffoquer et m’embraser.
Déjà.
Des aspics urbains et des oiseaux citadins nous toisent au loin, regardant tristement la naissance d’une étoile.
«J’ai besoin que tu restes.» Car je t’aime et toi seul apaise mon affliction.
«Je veux que tu partes.» Car je t’aime et ne veux amplifier ta désolation.
Enfouissement.
Dans la douleur, mes yeux se couvrent de son cou, mon nez hume une dernière fois sa douceur.
"Comment te deviner, toi qui t’échappes sans le dire bien au delà du ciel bien au delà des océans, tranquilles de te voir pleurer."
La dissonance cognitive se tend dans sa tête, « alors je reste, alors je pars » clignotant sur sa rétine qui fixe le vide. Sa main remonte jusqu’à la nuque brûlante d’Aurelio, et plus les minutes passent, plus il la sent, cette température corporelle qui monte et s’emballe, bien au delà de l’excitation où la fièvre. Et lui c’est la panique qui le prend, ses mains froides venant sur les joues de l’homme.
« Restes pas là, tu es malade… »
Il pince ses lèvres, et passe un bras autour des épaules du médecin, l’entraînant vers Arcadia d’une impulsion.