i. abandonnez tout espoir.

« papa ? » l’enfant s’était réveillée en sursauts, en sueurs, le coeur au bord des lèvres. Elle cherche partout dans le recoin du wagon qui les avait accueillis, la couchette dure et sale lui servant de nid était poisseuse de ses larmes de terreur. Les joues rougies par l’effort, encore perdue entre le monde onirique et la réalité, astrid laisse son regard s’aventurer près de la lucarne qui lui permettait de voir le monde défiler. Un grognement vient lui répondre, emmitouflé dans son sac de couchage. Une tignasse sombre et une barbe hirsute s’élève finalement, grommelant plusieurs mots incompréhensibles. « papa ? » Répète la gamine. « qu’est-ce qu’il se passe ? » Il parle en grec. La voix de son père s’élève, plus grave que d’ordinaire, rouillée par les heures de sommeil. Ce son réconforte immédiatement la petite, qui se place sur le bord de la couchette, au dessus de son père qui dormait à même le sol. « j’ai fais un cauchemar. » admet-elle, vaincue. « tu n’as pas crié ? » La préoccupation de son paternel ne venait pas du fait qu’elle ai pu être si terrifiée qu’elle ai du s’époumoner pour échapper à son propre esprit, mais plutôt que leur présence ici était un secret, des vagabonds prêts à s’enfuir pour de nouveaux horizons, un nouvel endroit qu’ils pourront appeler maison. La bouille de la gamine affiche son désarroi face à cette question, trop jeune encore pour comprendre leur situation. « non, je n’ai pas crié. » nikolaos se redresse, fait craquer son dos meurtri par le sol peu accueillant et les vibrations du train qui accumule les kilomètres. « c’était quoi, ton cauchemar ? » silence. elle regrette d’avance ses mots, elle qui avait promit de ne plus jamais en reparler. pourtant, son appréhension s’évanouit lorsqu’elle croise l’éclat des yeux de son père, dont elle pouvait voir la véritable inquiétude naître. « j’ai rêvé de maman. » « comment peux-tu… » Il se tut, incapable de lui répéter qu’une telle chose était impossible puisqu’elle n’avait jamais connu sa génitrice. « je te jure, je l’ai vue ! » son père met le doigt sur la bouche, signe qu’ils devaient rester discrets. astrid savait qu’il ne pouvait croire une chose pareille, mais elle était sûre que la femme qu’elle avait vu dans son rêve était sa mère, elle le sentait dans ses entrailles, dans ses os. puis, nikolaos secoue la tête dans ce qui voulait signifier “n’en parlons plus“.  « viens, je vais te border. » frustrée de devoir ainsi garder le silence sur ce qui venait de ruiner son sommeil, astrid se remet au fond de sa couchette. « on arrive bientôt ? » ils avaient quitté l’autriche de manière abrupte, devant laisser la plupart de leurs affaires derrière eux. la veille, l’homme avait réussi à se faire passer pour un bagagiste afin d’aider les voyageurs et le duo avait pu prendre place dans les entrailles du train. astrid n’était pas stupide, elle avait l’habitude d’ainsi voyager. sa compréhension du bien et du mal était peu conventionnelle, son père n’avait de cesse de lui expliquer qu’il n’était pas un méchant mais que ce qu’il faisait n’était pas bien, qu’il devait le faire pour eux et dans sa grande naïveté, elle n’avait pas besoin de plus. « on arrive bientôt. tu adoreras la france, j'en suis sûr. » elle n'avait strictement aucune idée d'où cela pouvait bien se trouver mais après tout, elle était persuadée que tout irait bien. lorsqu'ils étaient ensemble, tout allait toujours bien... même s'ils devaient se cacher, même si parfois ils étaient mal entourés, ils restaient tous les deux et c'était le plus important. astrid vient serrer la main de son père avec tendresse. « j'en suis sûre. » répète-t-elle avec conviction.

ii. bang bang, you shot me down.

le coup était parti et le corps s’effondre sur le bitume avec un craquement horrible. Le temps se distend comme au ralenti, astrid a le souffle court comme si ses poumons avaient été privés d’oxygène. Son coeur se brise petit à petit, elle en sent les morceaux s’effriter. papa. c’est lui qui s’est effondré. le rose qui éclot de l’orifice, le vin sombre qui s’écoule de la poitrine. il est trop tard pour lui, elle le sait, il est parti. non pas toi, pas toi, par pitié, j’ai encore besoin de toi. soudain, elle est tirée en arrière, une main puissante la fait reculer vers une ruelle, alors que le son lui revient de plein fouet, les balles sont tirées à tout va et la guerre a commencé. « qu’est-ce que tu fous ?! tu vas te faire buter toi aussi, bouge de là ! » incapable de comprendre les mots qui lui sont dit, la réalisation venant de plein fouet la frapper, ses yeux se remplissent de larmes. « non. » l’homme qui se tient face à elle lui saisit la mâchoire, une main puissante et qui n’a pas de temps à perdre avec la perte de camarades. « écoute moi bien. tu crois qu’il aurait voulu que tu pleures, là ? tu penses qu’il aurait voulu que tu prennes le risque que tu crèves ? ma chérie, reprends toi. fais leur payer. » ces derniers mots résonnent à son oreille. putain, il a raison. chassant d’un coup de main la poigne qui la saisissait, elle crache au sol en signe de désapprobations : « qui t’as autorisé à me toucher ? » elle savait qu’il avait raison et le coeur empli de vengeance, elle charge ses balles, retire la sécurité de son arme. la guerre d’abord, les pleurs après. seize ans. les colères sont devenues destructrices.


rassemblés autour de la table, le boss fait l’état des lieux de la bataille qu’ils venaient de mener. « les gars… on les a déchirés. Le peu qu’il reste sont tellement éclopés qu’on risque pas de les revoir. le territoire est à nous ! » une huée générale suit cette annonce. astrid se tient loin, les bras croisés, elle cache à peine les éclaboussures de sang qui viennent décorer son chemisier. un membre du gang s’extirpe de la foule pour déclarer : « c’est elle. » il désigne la brune, silencieuse, les lèvres pincées. « c’est elle, elle les a massacré. t'aurais vu ça ! elle est apparue de nulle part et bam, c'était de l'hémoglobine partout, elle a repeint le sol de leur cervelle ! » le boss relève les yeux sur la protégée, elle a le regard vitreux et désintéressé. « vraiment ? » Il laisse planer un silence un moment, pouvant voir derrière le voile de tristesse, la flamme d’une rage explosive. « nous pleurons également la disparition des nôtres ce soir. ton père était le meilleur d’entre nous mais tu peux encore honorer sa mémoire. » elle acquiesce d’un mouvement de tête, incapable de répondre et préférant garder une attitude de glace plutôt que de perdre le respect de ses pairs en fondant en larmes. « à ce titre, tu prendras sa place pour les prochains contrats. Ne nous déçois pas. montre nous que t’en as dans le ventre, gamine. »

ii. yeah, i'm trouble.

merde merde merde. elle n’avait jamais foiré un seul contrat en trois ans, pas un seul échec, rien à déclarer. la meilleure d’entre eux, qu'ils disaient. elle avait voyagé avec les plus grands de la pègre tant sa réputation n’était plus à faire et voilà qu’elle était faite comme un rat ? pour une mission de vol, dans une putain de résidence ? il ne s’agissait rien de plus que d’un petit vol, un léger larcin comparé à ce qui lui était d'ordinaire proposé. la résidence luxueuse cachait de véritables trésors que ses clients nécessitaient à tout prix. où avait-elle raté ? qu’avait-elle manqué ? pas de moyen de s’échapper. devant elle se tient une gamine, à peu de chose près identique. devant elle se tient la première personne qui la met au tapis depuis trois ans. même sa rage n’a pas été suffisante pour la dominer. elle avait face à elle quelqu’un de plus puissant, à la fois humiliée et intriguée. sans le savoir, elle venait de rencontrer ce qui serait un jour sa plus grand alliée…


les jambes croisés, sensuelle comme jamais, astrid s'allume une cigarette alors que la pièce sent encore l'effluve des phéromones mélangées, les souvenirs des ébats dans les draps. elle tire sur le cylindre, tournant le dos à son partenaire, crache la fumée entre ses lèvres pulpeuses. «dégage. » dit-elle simplement, sans violence dans la voix. une injonction plus sucrée que le plus sucré des bonbons. surpris, l'homme se redresse : « tu dis quoi, astrid ? » il lui laisse une seconde chance de revenir sur ses mots mais la brune ne daigne même pas se retourner. « j'ai dis dégage. ça marchera pas. je veux pas de toi.  » les mots planent doucement avant qu'elle ne reprenne : « tu pensais quand même pas que tu m'intéressais ? » peut-être que si, au fond. peut-être qu'il l'intéressait mais elle s'en fichait. elle était totalement hermétique aux réprimandes dans son dos, lui qui ne comprenait pas ce soudain revirement de situation alors qu'il était encore entre ses cuisses quelques minutes auparavant. trônant sur une pile de manuels d'anatomie, symboles de sa vie rangée, le téléphone de la belle s'illumine, sans pourtant fredonner de jolie mélodie. il vibre simplement, affichant le nom de celle qui avait changé sa vie quelques années auparavant. son amie, si elle osait la qualifier ainsi. déposant sa cigarette sur le coin du cendrier, elle se redresse en se saisissant de son mobile pour faire volte-face et être nez à nez avec son invité : « tu es encore là ? » ultime insolence, flagrant manque de respect. la colère gagne l'homme :  « t'es vraiment qu'une... » astrid relève les yeux, la noirceur dans son regard suffisant à lui faire fermer son clapet. il n'a aucune idée de ce qu'astrid avait pu vivre, ni même faire mais la simple vision de son visage froid et cruel lui intimait l'ordre de se taire.  «je ne le répéterai pas une troisième fois.  ». il rassemble ses affaires, penaud avant de quitter les lieux. puis, enfin, la jeune femme décroche avec un léger sourire aux lèvres :  « salut, aura.  » elle laisse son amie parler puis après un bref instant, elle répond : « j'arrive.  »

iv. so you're a tough guy.

astrid sort de la pièce, cachée sous un blouson de cuir et la tête haute, ses cheveux sombres tombant en cascades sur ses épaules. elle est belle, elle le sait. et surtout, elle est puissante. étudier la médecine lui a permit d'exceller dans son nouveau travail, après tout on retombe toujours à ses premiers amours et son reste toujours une enfant de la rue. elle a tout sacrifié dès qu'aura le lui a demandé. les gens la respectent, la croyant à la tête d'Hydra mais elle couvre en réalité son amie, la véritable marionnettiste. ayant implanté leur organisation en europe, les deux sont redoutables, une légende du crime. astrid est persuadée que son père serait fier d'elle, à moitié. peut-être qu'il aurait préféré qu'elle poursuive ses études, qu'elle se fasse une petite vie tranquille, mais il n'était pas sans savoir que l'appel du crime était plus fort que tout. derrière elle, le groupe qu'elle vient d'auditionner bat en retraite. ils ne seront pas retenus pour entrer dans l'organisation ; elle avait senti leur chair se crisper avant même qu'elle ne s'assoit devant eux. elle récupère son téléphone, compose le nouveau numéro de sa chef. lorsqu'elle décroche, astrid ne s'embarrasse pas de fioritures : « j'ai terminé, je rentre à arcadia.  » arcadia, sa nouvelle maison. et surtout, son nouveau terrain de chasse. depuis peu, elle a réalisé une chose, elle n'est pas normal. son instinct lui a soufflé sa véritable identité, ce qui se cache au fond d'elle. la reine de la mort lui colle à la peau et la vérité à émergé avec le temps. de nouveaux pouvoirs ont fait leur apparition, elle qui n'avait pas réalisé qu'à ses seize ans, tout avait été boulversé. astrid rentre dans la voiture qui l'attendait après avoir raccroché ; il était temps de rentrer.