Le rêve l’avait bouleversé. Parce que ce n’était pas qu’un rêve. La petite voix refusait de se taire, d’effacer les souvenirs ancrés du cauchemar. Elle cherchait à le lui rappeler, à le garder aussi vif que possible dans sa mémoire. Il finirait mort, tué par la femme qu’il aimait. Trahi d’une certaine manière, comme Cassandre avant lui. Au moins, ce moment de futur potentiel lui avait permis de réfléchir aux sentiments qu’il portait envers Astrid. Désormais, il souhaitait simplement s’assurer qu’elle allait bien, comme si le rêve avait pu la toucher d’une quelconque façon.

L’eau sur le visage, sur la nuque, lui permit de reprendre ses esprits, sa respiration. Il était revenu dans un présent qu’il connaissait bien, mais à quel prix ? Il ne pouvait se débarrasser de ce qu’il avait vu, sans pouvoir en parler autour de lui. Il n’avait pas vraiment de confident, et qui serait assez fou pour le soutenir dans une entreprise qui ne mènerait qu’à sa mort ? Un léger rire éclata, décalé par rapport à la situation. Il était seul, chez lui, avec pour seule compagnie une âme meurtrie et des souvenirs douloureux. C’était un miracle qu’il tienne encore debout, avec son passé, avec leur passé. Il vivait, il survivait, il avançait plutôt que de s’écrouler. Des années étaient passées depuis la sortie de la guerre, mais était-il parvenu à réellement s’en détacher ?

Le téléphone vibra non loin et il se concentra sur les mots qui défilaient à l’écran. De longues, très longues secondes débutèrent alors. Chaque donnée lui serrait un peu le cœur. L’attaque déclenchée sur le pont reliant Wild Island au continent lui apparaissait comme si proche et si lointaine à la fois. Pourquoi pensait-il à Astrid dans ces moments-là ? Comme si l’instinct lui hurlait qu’elle n’était pas innocente dans cet attentat… Ou alors c’était les stigmates de la nuit passée, des ténèbres dans lesquelles il s’était enfoncé. Cassandra restait silencieuse dans son coin. Toujours utile pour le faire douter, ou peut-être souhaitait-elle simplement qu’il fasse le point par lui-même. Ce n’était plus le temps de la Princesse, mais le temps du militaire, même si le corps était partagé entre eux. Après de longues minutes d’hésitation, il finit par attraper son téléphone, un sac, quelques habits et deux clefs. L’une était celle de sa voiture. L’autre… La connaissance sera donnée en temps et en heure. Pour l’instant, il devait se concentrer sur Astrid, ignorer les aléas de sa mémoire et de ses rêves. Seul le présent devait importer. Même si dans les faits, il n’avait jamais réellement vécu l’instant présent, trop enfermé dans ses enfers…

Il aurait pu l’appeler, avant de se pointer chez elle. Au moins, ça lui aurait permis d’être certain qu’elle était bien là et non à l’autre bout de la ville. Néanmoins, son instinct lui avait dit qu’il pouvait foncer, et pour une fois, il avait choisi de le suivre. Face à la porte close, il hésita. Pouvait-il la déranger de la sorte ? Ne serait-il pas mieux de faire demi-tour, lâche comme il était ? Dans un soupir, il laissa tomber son poing sur le cadre de bois, à trois reprises. Assez fort pour réveiller un mort, tout en se doutant que la jeune femme ne devait pas être complètement tombée dans le sommeil…

Silencieux, il attendit que la porte s’ouvre sur la silhouette d’Astrid. Bon, au moins, elle était chez elle, et réveillée. Il avait un peu moins de scrupules désormais. « Bonjour Astrid. » Oui, bonjour. A quatre ou cinq heures du matin. Toujours dans les temps. « Tu as dix minutes pour préparer tes affaires, on part pour le week-end. Voire plus. » Cela sonnait comme un ordre. Peut-être aurait-il dû discuter, prendre son temps. Mais la fatigue et le cauchemar avaient eu raison des réflexions.

Quant aux dix minutes, elles serviront à écrire le mail à Hedda pour qu’elle reprenne la gestion d’Ikaros pendant leur absence… En espérant que tout le monde reste en vie pendant ce temps-là.