L’apathie sur ses traits reflétait bien l’âme de tueuse cachée en son sein. Malgré les derniers mois passés avec Clem, elle n’avait pas perdu son instinct. Trente ans d’éducation ne pouvait disparaître en un claquement de doigts, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle tente. Et depuis l’attaque de la Mairie, la gorge tranchée du Maire, elle avait compris Aura, qu’il lui fallait agir plutôt que d’attendre. Surtout par rapport à la Camorra. Si elle voulait éviter que celle-ci tombe, soit encore prise pour cible, il lui faudrait faire tomber l’une des têtes. Alors, ce soir, elle quitterait ses quartiers. Elle oublierait quelques minutes, quelques heures, la femme qu’elle était supposée être, celle qui avait changé. Elle redeviendrait la traqueuse, la récurrence perdue dans les ombres, prête à en sortir sans donner le moindre signe. Aura se sentait supérieure, mais au vu de la lune quasi inexistante, elle n’avait pas tort. Peu pouvaient égaler le stade 6 de la jeune femme, tout comme l’étendue de ses pouvoirs à cette heure précise. Demain, elle n’en serait que plus faible, et alors ? Elle connaissait son corps, elle percevait les modifications, et le temps qui lui restait avant le contrecoup, l’hybris. C’était ce qu’il fallait, pour survivre au milieu des criminels.

Une silhouette sur le côté, inconnue, qui n’attira pas plus son attention que cela dans les premières secondes. Néanmoins, rapidement, ce fut Hécate qui reprit le contrôle. Un mot dans le creux de l’oreille, dans un coin de son esprit, et elle se retourna. Les iris s’attardèrent sur l’aura qui se dessinait sous ses yeux. Plus fine, plus douce, et la conscience qu’elle possédait désormais lui permettait de la percevoir. Une nouvelle récurrence. Et quelques secondes de plus, à la fixer intensément, pour en comprendre l’identité. Eris.

Eris était ici, devant elle. La sœur de Némésis, celle d’Hécate dans certains mythes, mais sa seconde âme ne le voyait pas comme cela. Hécate n’était pas très famille, et elle le prouvait une fois de plus aujourd’hui. L’indifférence dans les émotions avait au moins pour mérite d’être raccord avec ceux de l’humaine. L’une et l’autre se confondaient souvent, mais l’italienne gagnait la partie. Elle enfonçait la déesse, refusait de lui laisser le contrôle. De toute façon, elle serait incapable de manipuler son corps comme Aura le faisait. C’était bien pour cela que la divinité avait besoin d’elle, malgré tout. Jamais tout se passerait mieux qu’actuellement. Symbiose totale entre les caractères, les personnalités, autant effacées que déterminées.

Lentement, elle se rapprocha dans le dos de cette jeune femme, déployant déjà les ombres dans son dos. « Bonsoir. » Pause. « Cela fait longtemps que je te cherche. » Et encore plus avec les derniers événements. Car là où il y a discorde, il y a Eris. Et quand le Chaos se déchaîne, au-delà de la déesse, c’était les Obscuris qui devaient se trouver…

La nuit venait de revêtir son plus beau manteau, envahissant les rues et le cœur des gens qui s’y trouvaient. C’était dans cet environnement qu’Éris se sentait le mieux. Car c’est dans la nuit noire, là où les coups bas sont très difficiles à distinguer, que la Discorde était maîtresse.  La jeune femme aimait le chaos, aimait le désordre et elle aimait surtout en être l’investigatrice. Lorsqu’il y avait un problème, elle n’était jamais très loin. Et elle aimait ça, la Déesse, parce que son hôte lui laissait faire ce qu’elle désirait, parce qu’il y avait une symbiose, les mêmes convictions. Cette fiche sœur jumelle avait bien anéanti Alecia, l’humiliant et forgeant le caractère qu’elle avait aujourd’hui et, surtout, cette envie de vengeance.

Ce soir, elle se trouvait dans l’Industrial District, pour seule compagnie, le ciel obscur au-dessus d’elle. Elle n’aurait jamais pu penser être suivie et, pourtant… Elle entendit cette voix féminine dans son dos qui la fit s’arrêter. Visiblement, cette silhouette la cherchait depuis longtemps déjà. Alecia se tourna donc calmement avant de poser ses yeux sur cette personne qui venait la déranger. Éris eut un léger sourire aux lèvres, passant une main dans sa chevelure dorée.

« Ah bon ? Il ne fallait pas se donner tant de mal, voyons. » Sourit la jeune femme en penchant doucement la tête sur le côté. Oh, ça, elle savait très bien que, quiconque savait qu’elle était Éris, pouvait la rechercher pour diverses raisons. Jamais les bonnes, en général, d’ailleurs… « Tu désires un autographe, peut-être ? » Les yeux d’Éris étaient dirigés vers cette silhouette, elle était taquine comme elle savait l’être. Elle aimait provoquer, la Discorde. De toute façon, c’était la meilleure façon pour obtenir des résultats alors pourquoi s’en priver ? Ce n’était clairement pas le genre d’Éris.

« Que désires-tu ? » Au-delà de la provocation, Eris désirait quand même savoir ce qu’on cherchait d’elle. Visiblement, cela faisait longtemps… Mais il fallait dire qu’Eris n’était guère facile à retrouver, ni à attraper… Elle était souvent occupée avec les Obscuris, elle ne se laissait guère approchée… Mais ce soir, elle était seule. Seule face à ce monde qui l’entourait et elle n’en était que plus ravie. Elle avait toujours été quelque peu solitaire. De toute façon, qui pouvait aimer Eris ? Seuls les fous qui cherchaient à se faire du mal, très certainement. Manipulatrice, provocatrice, menteuse… Elle avait toutes les qualités pour être détestable. Mais elle s’en moquait, elle aimait l’être et n’allait pas changer sa manière d’être.

Elle aurait pu l’attaquer, l’égorger alors qu’elle semblait ne pas être sur ses gardes. Normalement, c’était ce qu’Aura faisait, de prendre les devants sans laisser le temps à l’autre de réagir. C’était ce qui la rendait dangereuse, puisqu’insensible à n’importe quelle tentative de marchandage. Néanmoins, aujourd’hui, l’italienne avait besoin de réponses, de savoir de quoi il en retournait réellement. Khaos était un problème, et Eris, ou son hôte, n’était qu’un rouage dans une mécanique bien huilée. L’éliminer n’apportera rien, une autre âme deviendra le réceptacle de cette divinité. Il lui fallait comprendre l’origine de tout cela, leur signe de ralliement, leurs futurs plans. Juste assassiner la femme en face d’elle n’aurait aucune incidence sur le déroulé des envies de leur chef. Au contraire, cela pouvait attirer l’attention sur les mafias, sur la Camorra. Même si personne ne savait réellement qui était Aura. Alors, il s’agissait là d’un premier contact, même si l’avocate restait sur ses gardes. Mieux valait ne pas sous-estimer l’adversaire, ce n’était pas car le sang divin ne coulait pas dans ses veines, ou tout récemment, qu’elle n’était pas dangereuse. Pour avoir atteint les côtés du Khaos personnifié, de ce Dieu au-dessus de tous, l’hôte d’Eris ne devait pas être n’importe qui.

« Oh, vous n’avez pas été des plus discrètes. » Où était-ce seulement la facilité d’Hécate à se glisser dans les ténèbres qui lui faisait dire cela ? En tout cas, la trouver n’avait pas été des plus complexes, quand on possédait le réseau d’informations d’Aura. L’habitude aussi dans les traques était un point non négligeable. « Si cet autographe est du genre à me permettre de rentrer dans votre organisation, je ne dis pas non. » Un sourire, derrière les iris glaciales. La grisaille de ses yeux reflétait le calme de son cœur, sans jamais rendre compte du danger que la brune pouvait représenter. Beaucoup étaient tombés dans leur piège, à vouloir se penser supérieurs. Oh, certains l’étaient certainement, cependant, une erreur suffisait à perdre la vie. Nombreux étaient ceux qui avaient échoué, malgré leurs forces. Augustin était l’un d’entre eux, si elle s’y attardait. Finalement, qu’importait qui ils étaient, et ce qu’ils pouvaient faire, il était si simple d’échouer…. Un sourire face à cette constatation, à la fragilité de la mortalité qu’elles détenaient toutes les deux, quelle que soit la conscience acquise.

Ce qu’elle désirait ? Immobile, Aura était devenue une statue, une des multiples de marbre ornant les villes et les musées. A trop y réfléchir, elle ne saurait que répondre… Enfin, en temps normal, si elle n’était pas habituée à ce genre de pression et de situation. Ah, la mafia…. « Quelques réponses sur Khaos me suffiront amplement. » Pause. « A moins que vous ne préfériez périr. » Un choix ou l’autre. Tout en restant sur ses gardes, définitivement…