J'ai vomi tout ce que j'avais dans les tripes. Même ce qui ne s'y trouvait pas. Une fois vidé, je nous ai traînés à la salle de bain. Tu n'as pas ouvert l'œil, plongée dans un coma bénéfique quand je t'ai glissée dans mes draps. Moi, j'ai à peine pu dormir : j'ai jeté le canapé aux ordures, ouvert mon carnet bleu et frénétiquement couché sur le papier tout ce que j'avais retenu jusqu'à ce que le sommeil me gobe.

Trois jours plus tard, tu ouvres enfin les yeux. Une odeur de café chaud et des pancakes t'accueillent .

- Salut. Jus d'orange ?

-Trois jours. Visage hermétique. Tu es venue littéralement gratter à ma porte. Tu le prends ou pas ce jus ?

Je pose la bouffe sur la table. Je me sers du presse-agrume, avec flegme. J'entame le petit-déjeuner, ordinateur allumé devant moi. Certains bossent, ne t'en déplaise.

-Je t'ai sorti un de mes calbuts pour toi, si jamais… fais-je grand seigneur.

Barbecue -imperméable à ton acidité-te fait la fête. Au moins un que tout ceci n'a pas perturbé.

-Tu lui manquais plus qu'à moi. Commentaire laconique, imbibé de mauvaise foi.

Il est sans doute préférable que tu ne te souviennes de rien.

Je repousse ta main d’une claque sèche sans même lever les yeux de l’écran. J’entre quelques données neuves dans mes tableurs. J’aimerais savoir être gentil. Je n’ai que des tessons de verre dans la bouche.

Mauvais réflexes d’écorché vif.

- Il est préférable que tu l’ignores. Elle aime te garder au fond d’un puits insonorisé et sans lumière. Je n’ai pas eu cette chance.

Regard en coin. J'ajoute sur une note plus douce.

-Sers-toi des pancakes tant qu’ils sont encore chauds. Tu dois crever la dalle.

Je rattrape tes doigts que je presse un instant.
Déglutition difficile.
... Puis je te relâche.

- J’en ai eu la démonstration, effectivement…

Je coule sur toi un regard pénétrant. Tu es couvertes d'ecchymoses qui font écho à mes hématomes. Ton corps est meurtri mais tu n’as pas le même gout que moi pour la Douleur. Tu subis.

Nous subissons.

J’ai mal au palpitant.

- Que voulais-tu qu’ils fassent à part “ça”? Ils sont aussi terribles l’un que l’autre.

Mes yeux perdent leur focal. Les images affluent et la nausée s’invite à nouveau.

-Elle a décrété que personne ne pourrait se mettre entre toi et elle. Pas même lui. Cela ne lui a pas plu.

Moi non plus.

Long soupir.

- Il voulait te foutre en cloque. Elle s’est vantée de t’avoir déjà fait perdre un gosse et qu’elle recommencerait autant de fois qu’il le faudrait.

Silence.

- J’ai réalisé que je ne savais rien de toi. Je crois que nous sommes partenaires - Le terme de couple me semble abscons- de galère sur ce coup, Bro. Peut-être qu’’ils serait temps d’abattre nos cartes pour véritablement s’allier.


Je me lève doucement pour t’approcher.

- Il a tablé sur le fait que j’étais aussi tenace qu’un cafard. Caresse sur ta joue, fugace. Et il a parfaitement raison : je ne te laisserais pas tomber.

J’insiste, malgré ton recul, et mes phalanges partent de nouveau en quête de tes pommettes. Mon pouce en épouse l’arrête. Tu déploies chez moi des choses oubliées sous une épaisse couche arctique.

Je sais donc être tendre, parfois, c’est surprenant.

- Je suis un connard entêté, je croyais te l’avoir dit, il me semble. Je replace délicatement une de tes mèches folles sous l’égide de ton lobe. Je ne reviens jamais sur la parole donnée. Mon commerce s'effondrerait, sinon. Je ne t’abandonnerais pas à eux, point.

Je saisi ton menton pour t’obliger à me regarder dans les yeux.

- Raconte-moi.

Ais confiance.

A peine entrouverte que tu te refermes à nouveau, verrouillée. Tu fais chier. Mouvement de langue sur mes lèvres et mordillement de lipe. Je joue déjà contre deux, je peux le faire contre trois.

- Et tu as choisi mon palier pour se faire. C’était pas la porte à côté. C’est pas les amants qui te manque pourtant…

Ma langue claque plus vite que mes pensées.
Ce n’est pas ce que je voulais exprimer.
Fais chier.
Je ferme les yeux deux secondes, ravalant cette putain de méchanceté qui me sert d’armure.

- Désolé, je suis pas doué pour … Geste vague… ça.

- Fais pas ta maligne, moi aussi je suis mort à quinze piges. J’ai rien à t’envier...

Sourire de petit con. C’est tout ce que je suis. On est là à compter les points, le kilométrages des plaies de chacun, mais la vérité c’est qu’on est liés pour toujours.

Toi & moi.
Nous
Contre l'univers.

-Je ne peux pas te pousser à me faire confiance, ni à me croire. Je serais toi, je ne m’y risquerais pas. Mais… C’est pas des conneries, Bronach. T’as dit que tu irais me chercher en Enfers. Mais je ne compte pas y aller de si tôt.

Je te rends ton sourire. Mon bras épouse ta taille de tige. Je t’attire à moi.

- Un bécot c’est vraiment trop te demander ? On est le 24 décembre, tu sais…

Je ponctue ma complainte d’un mordillement de nez complice. Plutôt crever que d’avouer que tu m’as manquée comme l’oxygène à mes poumons.

- Je dois justement acheter un sapin et le cadeau de… Œillade discrète vers un certain cochon jouant au trampoline dans mes draps… « Celui dont on de doit pas prononcer le nom ».

Ricanements.

- Tu survivrais à cette « sortie » ?

-Oh.. Tu crois ? Pouffe-souffle ça ne lui conviendrait pas mieux ?

Plissement de paupières.
Tu joues avec moi.
Je ne crois jamais entièrement à tes démonstrations de tendresse. J’ai l’impression de t’y forcer, que rien n’est vrai, que tu ne supportes pas d’être là, à mes côtés. Je m’approche tout près, embusqué comme pour te décocher un baiser.

- Garde tes simagrées pour les gogos que tu sais si bien berner… que je souffle en effleurant la pulpe de tes lèvres.

Je te plante là, en achevant ma tasse.

- T’as une demi-heure pour te couvrir le cul.

Je ne fais confiance à personne.
Mon frère l’a hachée menue petit.
Difficile de restaurer des confettis.
Il n’y a peut-être que Lune qui fasse exception.
Bizarres et inadaptés nous sommes.
Nous nous reconnaissons.

La fessée me tire un sourire. Je vais prendre une douche.  Rejoins-moi donc, si tu en as envie. La porte pour toi est toujours ouverte.

Trente minute plus tard, nous voilà dehors, couverts pour l’hiver.
Trente minutes de plus et nous faisons face aux commerces huppés de l’Historic District. Je nous trouve particulièrement imprudents de nous afficher ainsi. Cependant… Je vis la primeur d’un vrai rendez-vous.

J’éprouve un frisson indicible quand ta chevelure caresse ma joue. Un étrange sentiment de plaisir et de répulsion. J’ai envie de me barrer et de m’enfermer à double tour chez moi. Et, en même temps, je savoure la tendresse féline dont tu m’abreuves. Elle est si rare.

Si précieuse.

Tu fais chier, Bro.

- Fais diversion, dans ce cas.

Je tire sur une mèche de ta tignasse pour te faire tourner la tête. Baiser vorace. Je plisse les yeux en te mettant au défi.

- Ça te dirait de choisir, cette année ?... Et moi je sélectionne tes fringues.

- Non… Fais-je en souriant à demi. Sauf en ce qui le concerne.

Si tu es incapable de m’aimer, au moins suis-je certain que ça ne le concerne pas. A ta condition, je me permets de hausser un sourcil.

-Tu ne portes jamais de culotte et tu exiges de la décence ?


Petit ricanement. Méchanceté démontée par mes propres gestes. Je ne peux lutter contre la pulsion de mon bras qui enrobe ta taille de roseau. Baiser picoré, presque volé. Mordillement de menton. Je te dévisage.

- Rejoins-moi aux cabines d’essayages, quand tu auras fini.

Je fais de mon mieux, Bronach.
Crois-moi.