Après dix jours, je suis allé la voir à son appartement... vide de Preeti, vide de ses affaires.

Ma tête se vide. Sheitan prend toute la place.
Pendant des mois, il se mêle aux pires mafias d'Arcadia pour retrouver Nisha. Il se heurte à des portes fermées, et à des poings.

Finalement, nous devons disparaître, notre vie est en danger.
Nous abandonnons.

Sheitan me laisse la place et nous redevenons Kyan et nous voilà pour partir en voyage humanitaire, le plus possible ! Jamais deux nuits au même endroit.

Arcadié quittée il y a plusieurs années comme toit pour la nuit.
J'espère avoir été oublié.
Ou pas.

L'emenagement se fit rapidement, brusquement comme une fuite.
Et comme une fuite, je me met à prendre toutes les heures supplémentaire que je peux.
Je danse, et passe ma vie à danser.
Les mois passent sans que je n'arrive à sortir de ma tristesse.
Finalement, mon corps craque, comme une de mes cheville.

"Vous ne pourrez plus danser."

Le couperet tombe, je me retrouve face à ma solitude.
L'angoisse devient mon interlocutrice principale.

Les années passent, sans Nisha, sans Kyan. Je retourne au "Silver Arrow", voir les collègue, boire les verres.
Que fais-je de ma vie?

"...Ça va bientôt être à vous."

Dans les coulisses, je nous prépare à entrer sur scène. Avec la perte de l'amour de ma vie, il n'y avait plus de Sheitan ou de Kyan. Nous avons fusionnés dans la douleur pour essayer de nous en sortir. Malgré tout, revenir ici est bien plus pénible que je ne le croyais même si je ne suis plus vraiment moi.

Mais une tournée est une tournée...

"J'arrive." Je répond avec un fort accent de l'est retrouvé pour passer inaperçu.

"Mesdames et messieurs, je vous demande d'applaudir à présent notre nouveau pianiste ... Uriel Aiyaashski !"

Explication:

J'en suis à mon quatrième ou sixième verre lorsque la partie danse s'arrête.
Déjà je sens bien que mon collègue au bar coupe mon alcool à l'eau, mais je ne dis rien: son aide invisible est mignonne même si elle me fait terriblement chier.

Soudain, la musique se fait entendre.
Oh non. Pas ça.

Je bois un verre cul sec, puis en commande un "sans eau cette fois", mais malgré tout la musique ne s'arrête pas, mes yeux pleurent et lorsque le son devient insoutenable, je crie:

"C'EST PAS FINI DE FAIRE PLEURER LA?!"

Oups.

Petit à petit, les notes s'enchaînent et la salle s'efface enfin de mon champs de vision.

Décidément, je n'aime pas cet endroit, je n'aime pas cette ville et je n'aime pas ce pays...
Dans le public, il y a quelqu'un qui cri et qui est rapidement calmé et je retourne à ma musique.

Cette personne ressemble a ... Non, c'est impossible et je regrette déjà d'avoir accepté de revenir ici. A quoi je pensais ? La revoir ?

Une fois l'audition finie, je retourne dans la loge, bien décidé à y rester pour la soirée.

Mon esclandre est sans effet sur la musique, et pire: le videur arrive, et comme on se connait, je sors sans faire d'histoire. Je pleure contre lui un moment dehors, puis il re-rentre, sincèrement peiné.

Je reste à la porte, sanglotante comme une âme en peine, n'arrivant pas à me sortir cette chanson de la tête, et les passants me contournant reçoivent mon aura de tristesse qui se voit sur leur visage.

Quel crétin ce type!
Qui était-il déjà? Uriel? Un nom débile encore, et ce "Aiyaash" au début...

Oh...
Je me retourne: Je dois rentrer!

J'ai un affreux doute. S'il m'était impossible de reconnaître la femme sur son physique, sa voix, en revanche, me rappelle de douloureux souvenirs. Voilà que je fantasme à l'idée de la voir à chaque coin de rue ...

Je soupire devant ma propre stupidité avant d'enfin sortir. Au bar, je reçois quelques félicitations insipides. On me demande ce que je souhaite boire, offert par la maison... Je réfléchis un instant... Je suis putain d'obsédé par elle ...

"La même chose qu'à Preeti, s'il vous plaît."

"Whisky gingembre, donc ... Elle vient de sortir..."

Malgré mes efforts, la porte de derrière reste insensiblement fermée, et je finis par m'effondrer sur l'asphalte. Je suis maintenant tellement en colère contre moi que je hurle:

"Mais qu'est ce que j'ai fais au ciel pour qu'il me déteste à ce point? Pourquoi ? Je dois rentrer, je supplie les dieux..."

Ma voix s’éteint et se ranime, et finalement c'est de nouveau ma cheville qui me fait plier de douleur, pleurant à chaudes larmes.

Comment ce nom ne m'était pas apparu avant? Pourquoi ici, et maintenant?

Soudain, une voix semble me provenir.

Je laisse mon verre sur le comptoir et cours dans la rue. Il n'y a rien, elle a déjà disparue...
Encore cette voix que j'entends au loin, étouffée, désespérée.

C'est dans la ruelle qui mène aux coulisses que je vois la source de cette voix qui s'est transformée en pleurs.
Est-ce elle ? Est-ce encore une hallucination ? Il y a tellement d'émotions contradictoires qui me submergent à cet instant que je n'arrive pas à me décider sur ce que je ressens.

Laissons à l'apparition le soin d'en décider pour moi.

"Preeti ? C'est toi ?"

Je sursaute et me retourne, et devant l'apparition reste un moment stupéfaite avant de rire compulsivement. ça y est, j'étais dingue pour de bon. Et passablement bourrée.

"Coucou Kyan, comment ça va depuis tous ce temps? ça fait combien de temps, deux, trois ans?"

Je n'ose pas me rapprocher. Surement une hallu de plus, comme la musique, c'est surement pour ça que j'ai été viré.

De toute façon, que reste-t-il de moi? à force, ma musculature de danseuse à fondue, et mon manque de nourriture est bien visible, comme mon manque de sommeil...

Preeti rit avant de me confirmer son identité. Elle n'est plus que l'ombre d'elle même à présent et prend ma présence totalement à la légère.
Que s'était-il passé ?
La voir ainsi me fait plus souffrir que je ne l'aurais imaginé. Sans le demander, j'en conclue qu'elle n'a jamais pu retrouver Nisha, du moins pas vivante.

Mon ancien nom dans sa bouche me donne un goût étrange du passé.
Kyan est mort il y a bien des années.
Je tend la main.

"Viens Preeti, tu as besoin d'un café, d'une douche ou de dormir."

Un café?
Je ris de nouveau, et lâche, amer:

"Je ne bois toujours pas de café. Kyan le sait, et moi aussi. Enfin... Tu le savais. à l'époque où tu m'as mentis."

Je me redresse sans toucher à la main tendue, et, le mouvement de vagues se calmant, indique:

"Qui que vous soyez, je vous laisse. Ma pauvre maison m'attend, la seule qui me supporte encore."

Et peut être effectivement une douche, l'eau est la meilleure des solutions et des réconforts.

"Rentrez chez vus, embrassez votre femme et vos enfants, et laissez moi tranquille"

Devant ses tirades blessantes et odieuses, je baisse les yeux avant de les replanter, sévères, dans ceux de Preeti.

"Kyan est mort le jour où tu n'as plus voulu de lui."

Le goût de notre dispute me revient en mémoire et, visiblement, elle ne me croit toujours pas sur le fait que je sois Satyre. Soit.

"C'est toi qui aurait du être ma femme mais tu as préféré déménager. Tant mieux si ta maison te supporte encore."

Je suis sur le point de partir mais quelque chose me retient. La dernière fois, c'est par cette erreur que tout à commencé.

Tu es en colère?
Je laisse Durga immiscer sa colère et sa tristesse vers Sheitan, et ajoute:

"Tu m'as menti, tu m'as laissé croire que tu avais un frère dangereux alors qu'il était sympa, juste différent de toi, et finalement c'était un satyre? Je te croyais, je t'aurais toujours cru, mais tu as préféré MENTIR!Tu nous a trahi, notre amour et ma confiance."

Folle de rage et de tristesse, je décide de m'en aller par moi-même. Je boite légèrement, jusqu'à ce que ma cheville me lâche, et que je m'étale.

Voilà enfin que ça sort, cette rage qu'elle a gardé. Après toutes ces années, elle n'a pas perdu de son tranchant.

"J'avais mes raisons. Je ... il ... Enfin ... Je ne savais pas ce que j'étais à ce moment. Cet aspect de moi te voulait pour lui tout seul et il y serait parvenu."

Quand elle tourne les talons, je sais que je n'ai aucune excuse.

"Je suis désolé, Preeti. J'ai préféré le mensonge à l'abus potentiel. Je te demande pardon."

Quand je la vois vaciller, je ne peux que me précipiter pour la prendre dans mes bras.

Des excuses maintenant. Je suis fatiguée de jouer avec mes hallucinations. Et même s'il est réel... J'ai pas besoin de ça.

"Tu sais quoi? Je suis comme ça aussi. Je le savais pas quand on était ensemble. Je suis une déesse. Tu es parti ce jour là, et tu n'as plus donné de nouvelles. Pas de réponse au téléphone, pas de message. Ta paroisse m'a dit que tu étais parti. ça fait des années, Kyan. Tu avais le temps pour le pardon."

Atterrir dans ses bras me donne une réaction épidermique et je hurle:

"Lâche moi!"

... Elle ? Une Déesse ?

"Je suis parti parce que tu me l'a demandé et j'ai du changer de vie parce que ..."

Je lâche dans un soupir.

"Parce que nous nous sommes abandonné à Sheitan : Plus aucune règle entre nous pour qu'il retrouve Nisha. De toutes façon, Kyan n'avait plus rien à perdre... Sheitan est allé loin, beaucoup trop loin, et quand notre vie à été menacée, nous avons du abandonner notre existence. J'ai échoué, je ne l'ai pas retrouvé et je t'ai perdu."

Obéissant, je la lâche et cela me fait souffrir comme si on m'arrachait mon cœur.

"Oui, je te l'ai demandé parce que tu m'a menti, parce que j'étais blessée! Tu aurais pu t'expliquer, t'excuser, rester... Tu est juste partis."

Abandonné à Sheitan?

"Pourquoi tu ne m'as pas écrit? Tu avais mon numéro..."

Je souffre.
Cette discussion est insupportable.

Ses bras me relâche, et je grimace sur ma blessure avant de repartir. La pluie se met à tomber en trombe.

C'est l'une de mes pires journées de mon existence.

"J'ai attendu toutes ses années pour te voir, pour avoir de tes nouvelles. Tu n'a jamais écris."

"Je t'ai écrit ... A ton ancienne adresse. Quand j'ai vu que tu avais déménagé sans me prévenir, j'en ai conclu que tu ne voulais plus entendre parler de moi. J'y connais rien en relations ! Comment je peux entendre "reste" quand tu me demande de partir ?"

A ce moment-là, je croyais dur comme fer que je prenais la bonne décision. J'avais décidé de lui faire confiance pour nous guider et surtout, pour ne pas me mentir elle-même.

"A présent, j'aimerai que tu sois honnête... Tu veux que je parte ? Ou que je reste pour que je puisse m'expliquer ?"

"Et le téléphone? Tu aurais pu appeler, tu avais mes coordonnées."

Rester? Partir?
J'ai envie de lui dire d'aller se faire voir... Mais un sentiment de restreinte me laisse coite. Je soupire alors d'exaspération.

"Allons discuter ailleurs, pas sous la pluie de préférence."

Je m'applique à mieux marcher, lentement, l'alcool douché par le torrent qui se déverse sur nous. ma chemise blanche est devenue quasiment transparente, et je resserre mon blazer pour ne pas être frigorifiée.

Finalement, j'ouvre la porte en tremblant, avant de signaler:

"Je vais me doucher. Prend un thé, j'arrive."

"... je sais. Au début, je ne voulais pas qu'on se reparle ainsi, et après, c'était devenu trop dangereux."

Elle hésite et finalement m'invite à la suivre sous la pluie. Quand je la vois ainsi, notre première fois se rappelle à ma mémoire et il me faut un effort de volonté pour ne pas la prendre contre moi.

Sa maison est magnifique mais paraît terne avec ce temps. Je la vois m'abandonner et dit :

"Très bien, je nous fais du thé."

Savais-je encore le préparer ? Je reste pensif un long moment avant de faire chauffer l'eau.

L'eau chaude succède à l'eau froide, et les traces d'alcool fondent dans le bac de douche tandis que mon esprit revient du brouillard.

Je me sèche et passe rapidement un jean et un pull à col avant de descendre.

Je ne suis pas encore prête à la discussion, alors je m'étale dans le canapé, les yeux vers le jardin que j'ai laissé mourir, étouffé dans les mauvaises herbes et humeurs.

"Pourquoi tu es revenu?" Dis-je au bout de longues minutes où seule la bouilloire formait son lot de paroles. "Je ne sais que croire..."

J'entends Preeti revenir mais elle s'arrête avant. Son pas est plus calme et plus régulier.

Armé de sa théière et de de deux tasses, je vais la rejoindre.

"J'ai changé de métier plein de fois pour me faire oublier. Celui-ci m'a fait revenir ici. J'ai beaucoup hésité avant d'accepter."

À sa seconde phrase presque désespérée, je répond  :

"Alors crois en toi-même... tu avais caché des choses à Kyan aussi. Tes crises que tu ne voulais pas qu'il voit...."

Je dis ça sans animosité, juste de la sympathie afin de remettre les choses dans le contexte.

Bientôt Kyan amène le thé, et je le remercie doucement, l'œil toujours porté sur mon terrain vague.

"Tu as hésité puis accepté. Pourquoi?"

Si je l'ai revu, c'était tout à fait un hasard: J'avais perdu mon travail bien des années auparavant, et n'y mettais plus les pieds que pour voir les anciens collègues... ou les verres remplis.
Comme beaucoup d'autres finalement.

Kyan à la troisième personne?

"Je ne voulais pas, mais je n'ai jamais menti à ce sujet. J'ai eu de la chance qu'il ne les voient pas, c'est tout."

Je regarde cette femme que j'ai du mal à reconnaître. Triste et le visage émacié, voilà ce que j'ai fais d'elle.

"Preeti, quoi que tu puisses penser de moi ou me dire, sache que tu ne pourras jamais être plus sévère que moi. Je m'en veux atrocement."

Pourquoi ai-je accepté ? Bonne question.

"L'espoir fou de te revoir, je suppose."

Le mensonge par omission, donc. Ça ne changeait rien.

"J'étais vraiment perdu. Je ne supportais pas les pensées de Sheitan envers toi et encore moins le fait que Kyan ne veuille pas te mêler à ça avant d'avoir totalement compris."