Immédiatement quand le contact se fait, mon pouvoir très aiguisé se réveille.

Non, pas celui avec les phéromones, l'autre.

Mon cœur se met à battre plus vite quand je vois sa respiration qui devient plus lente. Pour elle, cela ne doit durer que quelques secondes, pour moi, les minutes s’égrènent et je profite.

Je nous revois tous les deux, à chaque contact, chaque étreinte. Je revis absolument tout dans les moindre détails. Mon corps reprend vie et la réalité, douloureuse, revient.

Au fond de moi, Kyan se remet à pulser de plus en plus.

"Bonne nuit, Déesse..."

Les enfants sont encore endormis lorsque l'avion se pose sur la piste poussiéreuse.

"Nous sommes arrivés mes poussins!"

La chaleur nous souffle au visage, et nous descendons rapidement. Les enfants n'ont pas eu la chance de venir souvent, et je sais que des deux, c'est Kiran qui supporte le mieux la chaleur.

Nevena est complétement à plat, et je la porte déjà tandis que son frère court partout. Bientôt nous montons dans la jeep du guide. Le voyage n'est pas terminé.

Ce n'est qu'après de longues heures qu'enfin nous voyons les premières fleurs.

Une fois dans l'avion, je n'ai rien d'autre à faire qu'à me laisser porter. Derrière moi, j'ai absolument tout laissé : de mon identité à mon passé, malgré la souffrance, au moins cela nous mettra à l'abri et nous serons libre de vivre.

A peine posé, je prend un billet de train pour Alleppey. Non seulement on m'annonce plus de quatre jours de voyage, mais en plus, on me dit qu'il y aura certainement du retard. Je me décide alors pour m'arrêter dans la première grande ville sur le trajet : Ahmedabad.

De là, je verrai.

Nous nous installons dans un hôtel tranquille tandis que je commandite mes premières visites de maisons.

Nevena s'est endormie sur le lit, et Kiran l'a rejointe, soudain fatigué par son punch naturel.

Après avoir préparé nos visites, je les rejoint pour enfin pouvoir me reposer, et envoie un message à Kyan.

-Nous sommes arrivés, Je suis curieuse de savoir où tu en es! Les enfants sont épuisés, je te laisse, Preet' -

Pelotonnée près d'eux, je m'endors à mon tour.

C'est Kiran qui me réveille plusieurs heures après. Il est temps de visiter notre future maison!

Arrivé à  ma destination, je reprends immédiatement un train pour Bombay.

C'est à cet instant que je reçois un message du seul numéro de tout mon répertoire. J'essaie de rappeler immédiatement mais sans succès.

La ville est étouffante et le train n'ira pas plus loin aujourd'hui. Au guichet d'une enseigne de location, on m'apprend qu'il n'y a plus de voitures disponibles.

"Il nous reste une mobylette, monsieur." je souris et signe.

Avant de repartir, j'essaie à nouveau d'appeler Preeti.

"Allo ? Déesse ? Tu vas bien ? Je quitte Bombay..."

[color:c620=009900]"La maison vous convient? Elle est loin de tout, je sais, mais..."

"ça va. Je la prend."

Le type est stupéfait, et je le comprend: la maison est au milieu des champs de thé, et il n'y a rien d'autres à l'horizon.
Mais je signe les papiers en les lisant attentivement, et me retrouve avec les clefs de notre nouveau chez nous. L'odeur du théier est partout.

Mon téléphone sonne, et je répond rapidement.

"Je vais bien, les enfants aussi. Tu es encore loin, mais c'est mieux que rien! Nous t'attendons de pied ferme!"

"Je sais. Il y a eu un soucis avec le train...je me suis retrouvé bloqué. Mais je suis déjà à mi-trajet, j'ai hâte de te voir."

Cela me fait du bien d'entendre sa voix et je ne sais pas comment finir cette conversation. Finalement, j'opte pour un simple et sincère :

"Embrasse les enfants pour moi. Je t'aime."

Finalement, bien installé sur le deux-roues, je file vers le sud pour Goa. Il me reste encore plusieurs heures de trajet et j'espère que quand je tomberai épuisé, je pourrais reprendre le train.

Un soucis avec le train?
Mais c'est le quotidien!
J'en ris largement, puis répond:

"ça, ça ne m'étonne pas! Au moins tu es à mi-trajet, c'est déjà ça!"

Je finis pas stopper mon hilarité, et dis d'un ton plus doux:

"J'ai hâte de te voir aussi. Fais bon voyage..."

Sa dernière phrase me stupéfie, et je reste coite un moment avant de murmurer:

"Je le ferais. Je t'aime aussi..."

Lorsque je décroche, les enfants sont dehors, courant dans les allées de théier du champs voisin. Un début de vie enfantine ordinaire, enfin...

Son silence me refroidit et ses mots me brûlent d'un coup. À peine raccroché, j'ai envie de rappeler immédiatement et je me retiens avec peine.

Le soir se couche alors que je pars plein sud en longeant les côtes. La température semble hésiter entre être plus accablante ou plus clémente.

Arrivé à Goa, je fais une halte pour me reposer, faire le plein et consulter mon téléphone.

La région est magnifique et c'est un véritable enchantement pour les yeux. Je deplie alors la brochure que m'a donnée Preeti, en espérant y voir un indice.

Les cueilleurs de thé sont déjà au travail depuis des heures, profitant des heures moins ensoleillées et donc plus clémentes. Tandis que Nevena pose ses questions en hindi, Kiran rapporte de l'eau du puit pour un enfant de leur âge. En comprenant qu'il travaille, lui aussi, les enfants propose de l'aider, et se mette à la tâche. Je souris en les voyant, si volontaire, et prend par à l'activité.

avant de m'y mettre à fond, j'envoie un message:

-Le temps est aux cueillettes pour nous, et toi, pas trop mal dormi sur la route?-

Arrivé au pied de la cascade indiquée par la brochure, je remarque une personne avec un panneau où figure mon ancien prénom. Je m'approche, intrigué et pas vraiment rassuré. Ce dernier me délivre un message. Je m'empresse de demander des explications au guide mais celui-ci s'éloigne. Je sors des billets et il s'approche à nouveau.

"Pouvez-vous me dire où a été prise cette photo, s'il vous plaît ?"

De toutes façons, je ne pourrai plus dormir. Dans le pire des cas, j'essayerai d'appeler la cousine de Preeti pour lui demander conseils... et ce que Sanam signifie.

La journée passe, et nous rentrons à la maison après un peu de courses au porte à porte chez les fermes du coin.

Kiran passe la porte, et me demande calmement:

"Quand est-ce qu'il arrive Apa?"

La question me fait stopper au pas de la porte, et devant les yeux interrogateurs.

"Je ne sais pas encore. Bientôt, j'espère!"

"C'est le monsieur qu'on a vu ?"

Nevena et sa franchise naturelle.

"Oui ma chérie. Mais il ne le savait pas... Il doit être le meilleur papa pour vous. C'est pour ça qu'il viendra nous chercher"

Après avoir conduit toute la nuit sans spécialement respecter ni les routes, ni les limitations de vitesse, le soleil se lève pour m'accueillir beaucoup trop tôt à mon goût.

Alors que je m'arrête pour déjeuner, je regarde machinalement mon portable et sourit en y découvrant le message de Preeti. Ayant peu l'habitude des SMS, j'y repond maladroitement :

Je n'ai pas pris le temps de me reposer encore, j'ai vraiment trop besoin de toi. Et toi, pas trop dur de m'attendre sans essayer de venir me chercher pour me ramener par les cornes ?

Je reprends la route jusqu'à mon objectif : ce fameux guide.

-Pour moi ça va, après trois ans, quelques jours ne serons rien!-

Kiran s'est endormi dans mes bras, et Nevi demande:

"Pourquoi il n'était pas là avant, Papa?"

"Parce qu'il a disparu avant qu'il ne sache que vous étiez là."

"Pourquoi il est parti?"

"Parce qu'on s'est disputés."

Elle me regarde alors avec des yeux sérieux.

"Maman, ne te dispute pas avec Papa, après il disparaît et on ne le voit jamais. Je veux le voir!"

Je la serre alors contre mon cœur.

"Tu le verra vite, je te le promet."

Kottayam ! Enfin !

Je prend un instant pour me reposer. J'ai du mal à conduire aux heures les plus chaudes. Je me demande un instant où je pourrais trouver un peu de fraîcheur quand mon regard trouve une réponse inattendue...

M'approchant de l'église chrétienne, j'hésite entre le rire nerveux et la déférence religieuse. J'entre et demande de l'eau et si je peux me reposer.

Ici, l'ambiance amène à la réflexion. Voilà un autre pent de ma vie que j'avais aussi abandonné. Je baisse les yeux, indigne.

Es-ce qu'on peut s'appeler ? J'ai besoin d'entendre ta voix.

-D'accord, appelons nous!-

Nevi me regarde bizarrement, et commence à sauter sur mes genoux lorsqu'elle comprend, super enthousiaste. Tant que je relâche son frère encore dans les bras de Morphée dans son petit lit pour ne pas le réveiller.

C'est donc sa petite voix qui répond au téléphone, mi-émue et curieuse, mi-excitée, et je m'attendris de ses petits doigts sur le téléphone, agrippé avec une ferveur si touchante...

Après la tonalité d'usage, la petite n'attend pas plus et s'exclame:

"Allo Apa? C'est Nevena... Tu viens nous chercher bientôt?"

Je souffle quand je reçois sa réponse. J'allais entendre sa voix, tout ce qu'il me fallait pour me convaincre. Tout en composant le numéro, je sens que mon cœur s'emballe et est sur le point d'exploser quand j’entends que l'on décroche.

D'un coup, la tension prend une dimension nouvelle quand une petite voix me répond immédiatement. Je fais ce que je peux pour que mes larmes ne s'entendent pas dans ma voix.

"Oui, bien sur ma chérie, j'arrive le plus vite possible. Tu peux dire à Ama que je suis arrivé à Kottayam ?"

Nevi me regarde avec des étincelles dans les yeux, et je lui souris: Le premier contact réellement père-fille à l'air de se passer sans heurt.

Elle me dit les informations et je lui souffle celles que j'ai dans l'oreille

"Tu as vu la rivière rose?"

Elle fronce alors les sourcils et me regarde, méfiante.

"Pourquoi tu dis que les rivières sont roses? Elles sont bleues les rivières!"

Je ris de sa candeur, et la laisse expliquer que les rivières sont bleues mais que j'ai dit rose et qu'il fallait pas qu'il se trompe.

La rivière rose, celle des nénuphars, je souris puis ris quand le complément d'information m'arrive.

"Non, pas encore. Je prend quelques minutes pour souffler un peu. Ma chère Nevena, peux-tu me rendre un petit service ?"

J'explique en détail ce que j'attends d'elle avant d'enfin d'oser demander ce qui me tient à cœur.

"Puis-je parler à ta maman, s'il te plaît ?"

Je patiente un peu avant d'entendre le téléphone qui change de main.

"Comment tu vas ? Je tombe de fatigue pour ma part... Est-ce que tout va bien pour toi ?"

La discussion prend un petit temps, puis Nevena change de tête, et, boudeuse me tend le téléphone avant de partir se coucher avec son frère. Je l'embrasse doucement, et me tourne au téléphone:

"Allo? Je vais bien, Nevi était contente de t'entendre. Kiran dort, la chaleur l'a assommé! Reposes-toi, on ne bouge pas, on t'attend... Du coup tu as trouvé ce que tu cherchais?"

Malgré mes mots, j'ai hâte de le revoir: c'est vrai que le soir où nous nous sommes vus, je n'avais pas percuté, mais maintenant....
Son retour me manque.

Kiran ? Le prénom de mon enfant, je le connais enfin... Tel père tel fils, moi aussi j'aimerais m'enfouir dans des draps propres et frais.

La voix de Preeti a légèrement changée. Moins informative et une petite touche d'émotion est venue s'inviter et cela me fait froncer les sourcils sur l'instant, aurait-elle des regrets ?

"Pas encore, je viens d'arriver. J'y vais tout de suite..."

Pour me donner un semblant d'intimité à ma conversation, je prend mon courage à deux mains avant de demander.

"Preeti ? As-tu des doutes sur moi ?"

Je laisse un temps de silence s'installer sur le fil, avant de dire à mi-mots:

"Des doutes sur quoi, Kyan? Je te sais capable du meilleur...comme du pire. J'ai de l'espoir pour notre famille. Et ... Pour nous aussi."

Ne pas trop en dévoiler, Preeti. Tu as été si fragilisée par sa disparition, et tu as tant souffert... Attend qu'il soit là.

[color=#0099ff]"Mais je suis contente que tu sois bien arrivé en si peu de temps. Prend quand même le temps de dormir, manger et te laver. Histoire de faire bonne impression lors des présentations!"[color]

Sa voix est rassurante mais absolument pas péremptoire. Preeti a réfléchi à la question et il va me falloir du temps pour gagner sa confiance.

"Je ne partirai plus, Preeti... Mais tu as raison : je vais m'arrêter pour cette nuit, ce ne serait pas prudent de continuer. Tu me manques, Sanam"

Je passe la nuit avec mes collègues indiens et repars avant les toutes premières lueurs de l'aube.

Le soleil qui se lève paresseusement sur le champ de nénuphar est magnifique...

Mes yeux sondent cet endroit à la recherche de mon nouveau guide, j'espère ne plus être loin de mon but.

Je frissonne à ce surnom. Sanam... C'est rassurant autant que déstabilisant.

"Tu me manque aussi Kyan. Reposes toi bien, et trouve le guide demain."

Cette nuit là, les enfants chuchotent et j'entends Kiran râler de l'appel qu'il a raté, et de l'injustice du monde. Je souris dans le noir: demain, ce sera à lui de répondre à l'appel de son père.

Le lendemain, nous partons à la ville la plus proche, et dénichons des vélos, de la nourriture en quantité, et nous achetons quelques poules: rien de mieux en campagne pour les œufs frais!

Je reconnais l'homme qui me salue et s'éclipse rapidement.
Le jeu est facile, je reconnais l'église catholique sur la carte. Le moment ne pouvait pas être mieux choisi pour rencontrer mon Dieu et faire connaissance avec les siens.

Enfourchant ma mobylette, je me dirige vers Kanjirappalli pour l'église de la sainte croix.

Je me mêle avec déférence aux pèlerins et écoute la messe à laquelle je ne comprend que les mots latins et anglais. Par la suite, je fais la connaissance de Ganesh, Meenakshi, et beaucoup d'autres ...

En début d'après-midi, je me remet à la recherche de la suite de mon guide.