kill of the night

@kalen giacometti ⊹ @evgenia vesari

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L’air de la nuit est glacial. Les rues plus sombres que l’Enfer, bien qu’étrangement silencieuses. Quand l’Amazone s’y glisse, c’est tel un chat vagabond, son ombre défilant sur les murs noirs, à peine visible. La discrétion n’est pas le principal atout d’Evgenia Vesari. Tout le monde le sait et elle aussi, pourtant, sa formation porte ses fruits ce soir. Les pas sont de velours sur les pavés d’Arcadia, le souffle retenu et la silhouette insaisissable. Parce qu’elle n’a pas le choix. Les militaires qui font des rondes après le couvre-feu l’enverraient tout droit en prison s’ils la découvraient là. Heureusement, l'absence de lumière dans la ville joue pour de bon en sa faveur.  

Sa filature et les informations de son frère l’ont menée jusque là. Dans le quartier des affaires, d’ordinaire animé, aujourd’hui lugubre et désert. Elle peut sans mal se faufiler dans une vaste propriété, des immeubles à la chaîne qui appartiennent à un seul nom : celui d’un promoteur immobilier, lequel intéresserait apparemment son agresseur d’il y a quelques semaines, et surtout ses patrons.

Celui là, l’Amazone ne l’a pas oublié. Sa traque n’aura de fin que lorsqu’elle lui aura mis les tripes à l’air, lorsqu’il l’aura suppliée, et lorsqu’il aura payé de sa vie les coups de lame infligés par surprise à la Guerrière. Elle avait bien failli mourir une deuxième fois à cause de lui, dans la crasse du quartier industriel, sans personne et sans gloire. Elle ne devait sa survie qu’à son collègue de travail, et à son don extraordinaire de thaumaturge. Ce qu’elle ne risquait pas de crier sur les toits, bien sûr.


Ici, sans caméras et sans gardiens pour la freiner dans ses desseins, elle sait qu’elle peut trouver des informations croustillantes à rapporter à son aîné dans l’objectif de renverser la situation. Si ces rivaux sont prêts à tout pour s’assurer le monopole de ce marché, ils ont sous-estimé les Vesari - et surtout leur fureur, dès lors qu’on ose s’en prendre à l’un d’entre eux. D’une façon ou d’une autre, l’Amazone finirait par trouver un moyen d’arranger les affaires d'Alessio, et de mener à bien sa vengeance personnelle. Rien ne l’en empêcherait.


Dans la pénombre des jardins et des préaux, elle continue de s’avancer. Avec la lune pour seul témoin, les manoeuvres lui sont aisées, peut-être trop, et l’absence de vie finit même par la faire douter du succès de sa mission. Qui allait-elle surprendre, suivre ou interroger pour trouver des réponses, s’il n’y avait personne ?

A quelques pas derrière elle, quand un craquement se fait entendre, la Guerrière se sent traversée par un mauvais pressentiment. Une vague de froid la fait frissonner en même temps, mais cette fois-ci, elle refuse catégoriquement de se laisser distraire. Ses prunelles acérées scrutent les ténèbres et ses doigts se referment sur la lame à sa ceinture. Quand l’ombre la percute, elle ne voit rien mais ses réflexes salvateurs l’empêchent de s’écraser au sol et de subir la violence de son assaillant. Celui de la dernière fois.
Elle reconnaît son souffle lourd et son parfum désagréable, de même que sa façon sournoise d’initier le combat. Avait-il un talent pour se fondre dans le décor et la surprendre ainsi à chaque fois ?    

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Il faisait nuit déjà. Kalen, cigarette allumée et dos appuyé contre le mur, profitait d'un instant de calme, une pause bien méritée après une journée chargée. Dans cette petite cour intérieure, là, derrière le restaurant dans lequel il venait de dîner avec deux collègues. Il était ici chez lui, en terrain conquis, dans le royaume Giacometti. Ces pavés et ces murs lui appartenaient et avec eux le restaurant et tous ceux qui y mettaient les pieds. Sans le savoir peut-être, mais Kalen connaissait assez le monde des affaires pour dire que celui qui a l'argent possède les clés. En terrain conquis, donc. Il faisait sombre, la lune n'éclairant que très peu. La seule lumière provenait de la porte du restaurant laissée ouverte pour qu'il puisse retourner à l'intérieur une fois sa clope terminée. Il n'avait pas hâte, aimait la nuit et la solitude qu'elle lui procurait. L'impression d'être à sa place et maître de son univers. Mais il fallait passer à autre chose. Il écrasa la cigarette dans le cendrier et retourna dans la salle. Sous-éclairée elle aussi, vide si ce n'était pour lui et ses compagnons. Leurs cafés venaient d'être servis, il revenait pile au bon moment. En quelques gorgées, se brûlant langue et œsophage par la même occasion, il vida la tasse. Lorsqu'ils sortirent du restaurant, se retrouvant sur le trottoir entre les immeubles qui chatouillaient le ciel, Kalen n'était pas surpris de ne voir personne. Il connaissait ces rues comme sa poche. Parfois, elles vivaient. Le plus souvent ne s'y trouvaient que des gens qui avaient réellement quelque chose à y faire. Une raison bien valable et motivée de les arpenter. A cette heure-ci, ces passants étaient rares. Il salua ses collègues, leur glissant encore quelques mots, quelques rappels, concernant les missions qu'il venait de leur confier. Puis il s'enfonça dans les veines sombres d'Arcadia, mains dans les poches de son pantalon. Malgré la chaleur de l'été, il y avait un vent frais, froid presque, auquel il ne s'était pas attendu. Il regrettait presque de ne pas avoir pris de veste. La ruelle dans laquelle il se trouvait débouchait sur une petite place, un parc minuscule, coincé entre quatre gratte-ciels. Avant même d'y arriver, il crut entendre un bruit, quelque chose, quelqu'un. Et puis, au-delà de l'ouïe, c'était l'instinct. Il ne ralentit pas son pas pour autant. L'instinct n'avait pas menti, car arrivé à l'embouchure, il la vit plantée là. Comme à l'affût. Elle avait tout d'une chasseuse, un seul coup d’œil suffisait à le remarquer. Si elle n'avait pas été si occupée par son adversaire du moment, elle aurait probablement remarqué la présence de Kalen, pourtant à des mètres de là. Mais occupée elle était. Il voyait bien que quelque chose, quelqu'un, lui tournait autour. Cherchait à l'éviter et en même temps, à jouer avec elle comme un morceau de viande. L'attaquant semblait disparaître et revenir sans arrêt, à croire qu'il n'était qu'une extension de l'obscurité. Kalen aurait pu continuer sa route, contourner le parc pour ne pas être dérangé, et rentrer chez lui. C'était sans compter sur son goût du combat. Son besoin de se mêler de ce qui ne le regardait pas, l'envie d'écraser de la chair adverse contre ses poings. Le rush d'adrénaline lui montait à la simple idée d'avancer vers le champ de bataille. L'instant suivant, il s'y trouvait. Débarqué sans hésitation et sans s'annoncer. De sa position extérieure et armé de l'effet de surprise, il parvint à serrer sa main autour du cou de l'assaillant, saisissant l'ombre et l'immobilisant. Ombre prise à son propre jeu et désormais incapable d'aller se cacher. Elle tenta de se dégager, il se contenta de lui claquer le visage contre le tronc le plus proche. Une fois, une deuxième pour lui faire comprendre qu'il fallait être sage à présent. Quant à son regard, il s'orienta vers la jeune femme. Visage sans expression, peu gêné par l'idée d'avoir un homme au bout du bras, entre ses serres. La jeune femme était plus intéressante, tout compte fait. Il haussa un sourcil, ses pupilles braquées sur elle avec le focus d'un fusil de précision. Elle était belle, le genre de beauté qui viendrait te trancher la gorge en plein sommeil. Il avait l'impression de l'avoir déjà vue. D'avoir déjà croisé ce regard. Ce n'était pas un souvenir mais quelque chose de viscéral. Il la fixa longuement, assez pour presque en oublier l'autre. A force de se tortiller, il était à deux doigts de la liberté. Un coup bien placé fit faiblir Kalen, qui après une rapide analyse de la situation, serra sa main un peu plus fort, puis envoya l'homme d'un geste violent en direction de l'inconnue. « Tiens » il lâcha, comme il aurait pu lui dire cadeau. Il voulait voir ce qu'elle allait en faire, il était curieux et joueur comme ça, Kalen. Et il resta là, comme au spectacle, à attendre qu'elle dévoile sa nature.   

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L’Ombre est là. Immobile, sournoise. Et alors que la Guerrière l’attend, elle s’élance malgré tout et l’avale, tout d’un coup, sonnant l’heure du combat. Véloce et puissance, elle s’allonge sous les arbres et percute l'Amazone. Premier coup bien porté à sa gorge, qui la fait chanceler puis, d'un appui maîtrisé, s'aplatir sur le sol. Elle esquive le deuxième - sa nature l'avantage, et envoie valdinguer l'assaillant à son tour dans un pan d'herbe fraîche. La colère monte du fond de ses entrailles mais le goût de la lutte reste plus fort que tout le reste. Evgenia se redresse, crache à terre sans élégance, et fanfaronne ; « Bien tenté. Je t’ai manqué ? » Tout est contraste avec elle ; beauté froide qui s'enflamme aussi vite qu'on craque une allumette, l'allure posée alors qu'elle est tornade, des vices et des manières de femme quand elle porte pourtant la rudesse et la bestialité des mâles.

Pas de réponse. L'homme est à peine reconnaissable. Aucune aura n'est diffusée autour de lui ; aucun indice ne permet de savoir de qui l'humain est le logeur, ou à quel panthéon il appartient. Il est pourtant surnaturel, comme elle, ou peut-être plus fort ; un dieu qui se fond dans les ombres et s'en sert comme d'une arme...

La sienne est toujours dans ses doigts, lame à l'acier rutilant qu'elle brandit vers l'intrus. « Approche ». Sans crainte, elle l'invite à reprendre où il s'est arrêté. La rage de vaincre a conquis l'Amazone ; même si elle veut jouer encore, elle s'impatiente à l'idée de pouvoir se venger. Pourtant, elle sait puisqu'ils sont seuls qu'elle va devoir trouver des solutions, et vite. Pas le tuer, non. Le capturer, le faire parler. L'emmener loin d'ici sans que les militaires débarquent et les fassent tous les deux prisonniers.

Son corps se crise comme dans ses souvenirs pour accuser le choc ; comme si elle portait son armure. En appui sur ses jambes, bien ancrées dans le sol, Evgenia se prépare à heurter la silhouette et à lui rendre sa force au centuple. Si l'un des deux doit rendre son dernier soupir ce soir, ce ne sera pas la Vesari.

Pourtant, voilà qu'ils sont interrompus. Et tandis qu'elle voit l'autre voler son butin, son myocarde se fige. Comme une horloge s'arrête, son corps entier s'éteint. Une seconde, elle a l'impression d'étouffer, de sombrer dans le vide ; et tout à coup, plus rien. Il y a quelque chose chez cet autre qui l'immobilise. Un vent d'air frais qui la traverse et la sensation inédite d'observer un fantôme...

Achille...

Le nom soufflé pourtant ne trouve aucun écho. Parce qu'elle ne s'attend pas à le croiser cette nuit, et parce qu'elle ne voit qu'un indésirable, importun à l'audace de lui piquer sa proie et de prétendre lui sauver la mise... Elle voudrait se reprendre mais il la paralyse ; chacun des coups imprègne sa rétine et vient chatouiller sa mémoire. Il y a des flashs, des souvenirs trop vieux et des cauchemars qui défilent sous ses yeux bleu-glacé.

Achille, veut lui dire son esprit. Mais l’Amazone est pétrie de colère. De cette ire aveuglante qui tout à coup lui brûle les veines, en particulier quand l’autre lui fait une offrande, et que sa prise est mise à terre.
Evgenia la contemple, interdite, et se laisse finalement distraire par le pourpre qui entoure la silhouette du jeune homme. L’Ombre en profite alors pour s’échapper. Elle file si vite que la Guerrière la perd de vue en une seconde. « Ta faute... » ; elle accuse l’italien, le regard acéré.

Achille.

Le cerveau embrumé confond ses objectifs ; et alors qu’ils pourraient s’élancer tous les deux et rattraper le type en fuite, c’est l’autre qui devient sa cible. Penthésilée bondit et renverse le héros qui l’a privée de vie il y a bien trop longtemps. Un gamin aux traits doux, à la mâchoire carrée et aux gestes précis, comme son bourreau autrefois. Dans la pénombre, alors qu’elle le chevauche comme un étalon à dompter, l’Amazone est désarmée encore. Ses lèvres écument sa fureur maladive et voilà qu’elle resserre ses doigts pâles autour du cou de l’importun.