Balançant les jambes dans le vide, il s’époumone, l'abruti coincé dans sa fenêtre. Avant qu'elles ne reviennent toucher le mur, pour tenter de sortir son (gros) cul de là. Les pieds qui tentent de pousser encore, à leur manière... Mais à part se scier l'estomac, en toute franchise, il n'arrive à rien le boulet. Il a des allures de colis trop épais que le facteur a quand même voulu faire rentrer dans la boîte aux lettres, alors que, clairement, elle pouvait pas faire plus de trois lettres d'épaisseur, la fente. Mais que voulez-vous, il espérait quand même réussir à passer, dans cette si petite fenêtre de salle de bain. Pourquoi par-là ? Parce que c'était la seule qui donnait sur la rue, pardi ! Oui, enfin, on évitera de lui dire qu'il a un double des clés et qu'il aurait très bien pu passer par la porte. Parce que, en fait, il a oublié.
Trahiiiiison ! Quel outraaaaage !
Par contre, notez comme il retient bien la chanson du Roi Lion 2. Quoique, il a raté un passage. Sa gueule se fronce. J'ai oublié quoi encore, moi... ? À peu près tout, chaton. Il avise un passant et d'un coup, son chant funèbre (parce qu'à ce stade-là, on l'enterre bientôt, parce qu'il sera mort de faim et de soif) reprend et il plante un doigt, dans la joue à portée.
L'esprit du maaaaal est marqué sur sa face !
Grand sourire. Pourquoi a-t-il fallu qu'il se souvienne du refrain à ce moment-là, précis ? Il aura eu le mérite de faire arrêter la personne. Et il a toujours son doigt, là, bien enfoncé, qui gigote un peu.
Il n'est que nuisaaaaance depuis sa naissaaaaance !
Il rebat des pieds, avise la personne avant de se fendre d'un rire qui lui fait mal au ventre, vu sa position ô combien douloureuse. Il pourrait s'aider de ses mains, mais il est toujours occupé à tenter de toucher la glotte, au travers de la peau et de ce doigt qui veut encore s'enfoncer, bêtement.
Hey, t'veux pas m'aider ? J'suis un peu coincé ! Il tente de bouger tout seul, sans y parvenir. Ou chante avec moi, au pire !
Milàn marchait d'un pas tranquille dans les rues, profitant du silence après l'agitation du bar qu'il venait de quitter. Il avait passé une soirée avec ses amis de fac, fait assez rare, et était passablement éméché mais heureux d'avoir enfin pu sortir. Ces derniers mois, ses crises de fatigue avaient été nombreuses mais il ne voulait pas se laisser abattre. Il consulta son portable quand l'écho d'une voix lui fit redresser la tête. Il fronça les sourcils ; quelqu'un était en train de chanter. Enfin chanter... plutôt beugler. Un sourire amusé se dessina sur son visage tandis qu'il se dirigeait vers l'origine des cris.
Trahiiiiison, disgrââââce ! Trahiiiiison ! Quel outraaaaage !
En arrivant dans la rue d'où vient la chanson, Milàn ne peut s'empêcher de laisser échapper un éclat de rire. Un type est là, à moitié en dehors d'une minuscule fenêtre, visiblement coincé, à chanter une chanson d'un air désespéré. Le jeune homme s'approche, amusé et s'arrête au niveau du chanteur fou, qui tend le doigt pour venir l'écraser contre sa joue en continuant sa chanson :
« L'esprit du maaaaal est marqué sur sa face ! »
C'est carrément tordant. Milàn se retient de rire, parce qu'il sent bien que la personne, en plus d'être embêtée de se retrouver ainsi coincée, souffre légèrement de sa position.
« Il n'est que nuisaaaaance depuis sa naissaaaaance ! » reprend-t-il néanmoins, en continuant d'enfoncer son doigt dans la mâchoire de Milàn, qui sourit de plus belle. Cette rencontre vient de se hisser dans le top des rencontres les plus improbables de sa vie, et le fait qu'il soit légèrement bourré rajoute à la scène un aspect encore plus comique.
« Hey, t'veux pas m'aider ? J'suis un peu coincé ! Intervient le jeune homme en gigotant de nouveau. Ou chante avec moi, au pire ! »
Milàn sursaute un peu en réalisant que cela doit faire quelques minutes qu'il fixe le prisonnier de fenêtre avec un grand sourire sans rien faire pour l'aider à se libérer.
« Dans quel monde tu as cru que tu pouvais passer par cette fenêtre ? demande-t-il en se rapprochant avec curiosité pour observer l'espace disponible avant de rire de nouveau. Je ne sais même pas comment tu as pu passer tes épaules, sérieusement ! »
Il essaie de passer sa main dans l'interstice entre le rebord et la hanche du jeune homme sans grand succès, avant de se reculer avec une petite moue.
« Rien à faire, je pense que tu vas mourir là. »
Il fouille dans sa veste pour sortir son paquet de cigarettes et en allume une pensivement. Il pourrait essayer de tirer sur ses bras, mais il a peur de lui faire mal. Avec un sourire, il tend sa cigarette à son vis à vis :
« C'est bien le Roi Lion 2 que tu chantes, non ? »
Tu rigoles toute seule de ta robe trop courte, rien à foutre du regard interloqué des passants. Tes collègues et toi, puis d'autres de leurs amis, étaient sortis pour fêter un anniversaire. Lequel ? Aucune idée, la personne ne faisait pas partie de l'équipe de nuit du Kahuna comme toi et tu n'avais pas retenu son nom. De fil en aiguille, les verres s'étaient enchaînés et tu n'avais rien fait pour éviter de tous les consommer. Tu ne te savais pas si insatiable, ça devait être ta séparation récente qui te désinhibait. Ou le fait d'apprendre qu'il y a des dieux qui traînent parmi nous. Ainsi que 'Temperature' de ce cher Sean Paul, sur laquelle tu t'étais déhanché comme tu n'avais plus osé le faire depuis longtemps. Chaude soirée. Tu sens la crise de la quarantaine venir de loin, mais tu la sens. Tes pieds s'emmêlent un peu, tu pestes contre ces gens qui ne savent même pas bâtir des trottoirs droit et tu oses rigoler de ta blague. Tu sais bien que c'est toi qui marche pas droit. Tes pas incertains te mènent jusqu'à un spectacle étrange : un type qui fume, un autre qui s'est semble-t-il coincé en passant par une.. fenêtre. Ils se font face et sont en pleine discussion. En temps normal, la timide Carmen aurait changé de trottoir : trop dur de saluer des inconnus et d'affronter de possibles regards. Mais, la Carmen alcoolisée n'a plus les mêmes peurs. Elle s'avance, sûre d'elle, sur ses talons qu'elle pense la faire rajeunir de dix ans. Et rigole toujours.
_Oh merci, j'en ai vraiment besoin.
Gratifie-tu celui qui tenait sa clope du bout des doigts et t'empresse de tirer dessus. La braise rougit et la fumée part explorer ton palais, ta trachée et tes poumons, puis ressort alors que tu expires de tout ton 'saoul'. Tu la lui rends, un sourire gamin plaqué sur la face.
_Moi aussi, j'aime le Roi Lion.
Tu te tournes vers le brun qui reste suspendu par cette fenêtre dans laquelle même ton chat ne se risquerait pas.
_Et toi, pourquoi tu es là ?
La raison de cette scène t'échappe. Tout comme le fait que de s'incruster pareillement pourrait être impoli. Y a beaucoup de trucs qui t'échappent en ce moment, en fait. T'aurais du continuer ton chemin et aller dormir.
Au moins, il a l'air d'assurer le spectacle. Le public face à lui se compose déjà d'un homme, une femme arrivant au loin et il se marre en l'écoutant, haussant les épaules à sa manière.
Putain, ça vaudra au moins un Darwin Awards, non ?
Clairement, il le mérite s'il crève comme ça. Suspendu à une fenêtre où le monde entier, même avec quelques verres dans le nez pour chacun, semble être plus lucide que lui. Il lorgne sur la dame, sourit encore quand ils donnent le nom de ce qu'il chante.
Aucune idée les gars, ça m'est juste revenu comme ça.
Sans doute qu'il ne l'a pas vu il y a si longtemps que ça avec sa gosse mais qu'il a zappé le moment. Père indigne sur vingt, oui. À se demander comment il avait pu se reproduire. C'était la bonne question, ça. Enfin, pour le coup, on se doute qu'il va finir stérile là, à force de trop bouger, il va se coincer une couille et la laisser accroché là. Si ça lui permet de passer, il consent au sacrifice.
Pourquoi pas ?
Nacre qui éclate dans un sourire qui dévoile tout, avant d'être secoué un rire douloureux, alors qu'il tente de se redresser, retombé tel le flan qu'il est.
J'avais faim, je crois. J'ai oublié. Alors j'ai chanté le premier truc qui me venait en tête !
Il se dandine encore, le dindon, agite le troufion bloqué. Puis il se lance de nouveau dans une nouvelle chanson, soudainement.
Je voudraiiiis déjà être Roiiiii !
Il a définitivement regardé les deux premiers Roi Lion il y a peu. La mémoire inconsciente qui a gardé le tout.
Regardez bien à l'ouest ! La tête qui s'agite dans la direction inverse, alors qu'il dodeline. Regardez bien à l'est ! Encore une fois, c'est de l'autre côté Pablo. On dirait un poisson bientôt mort qui se débat pour la dernière fois. Mon pouvoir saaaaans cooooonteeeeeste et sans frooooontièèèèères ! Il écarte les bras. Il n'aurait pas dû.
