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I wake up feeling like you won’t play right [Clyde ♥]

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I wake up feeling like you won’t play right [Clyde ♥] - Dim 11 Nov - 13:23



Son père le lui a très tôt appris : le Diable se trouve dans les détails. Il s’est toujours fait un jeu de cette étrange propension, suffocante chez les autres, mais rafraîchissante chez lui, à passer en revue tout ce qui aurait pu se dérouler autrement s’il avait plutôt fait ceci ou agi comme cela ; avant de réorganiser l’ensemble avec une souplesse insolente de démiurge afin de ne pas être relégué au rang de simple jouet du sort.

Lili, elle, sait comment se jeter d’une falaise, mais peine encore à retomber sur ses pattes, à ne pas se laisser assommer par le maillet de ses propres mauvais choix. Il lui arrive encore de ne pas soupçonner ce qu’une circonstance anodine peut comporter de dommages potentiels, voire de catastrophes. Par exemple, l’issue de la journée aurait-elle été moins désastreuse si elle ne s’était pas mise en peine d’arriver à l’heure au parc où ils devaient composer le tableau d’une heureuse et indivisible famille ?

Elle l’aime encore, elle l’aime à la fureur, aussi n’a-t-elle toujours pas la sècheresse de se dire, tout au contraire : l’issue de la journée n’aurait-elle pas été moins désastreuse si ce crétin trop joli cœur avait eu la décence de ne pas arriver en retard ?

Se promener au parc, cela n’engage à rien, pense-t-elle innocemment en refermant l’énorme livre de botanique qu’elle a emprunté il y a quelques jours à la bibliothèque de l’université. Elle se lève sans que les gazouillements de Billie, paisible entre ses jouets, ne lui soient une torture, sans que ses bras et ses petites mains potelées, qui l’accueillent aussitôt pour s’agripper tendrement à elle, ne lui fassent songer à de petites pinces acérées. Le nez doux et rond qu’elle égare dans la mousse de ses cheveux, généreuse cajolerie d’enfant, la fait sourire affectueusement, et non pas grimacer comme sous l’effet d’une intrusion. Ces moments-là lui paraissent importants. Il lui semble indispensable d’abandonner un instant son travail pour se consacrer au bonheur de celle qui est censée compter plus encore que sa vie. Dehors, un froid sec brûle de les mordre ; Billie gigote avec enthousiasme sur le lit, retire malicieusement l’une des chaussettes grises à pois roses que sa maman vient de lui enfiler, roule sur le ventre et tente de s’échapper vers les oreillers avec toute l’agilité que son petit corps rond lui permet de déployer. La main que Lili referme autour de son pied est d’une infinie douceur et la manière dont elle la fait aussitôt glisser vers elle, avant-goût des manèges qu’elle devrait connaître plus tard, lui arrache un gloussement de bonheur. Sa maman comprend, du reste. Elle préfère les chaussettes bleues à boulons blancs, comme elle préfèrera emporter sa clé à molette en peluche plutôt que cet immonde lapin rose dont Lili se demande encore comment il a pu atterrir parmi ses nombreux jouets.

La grâce de ce moment lui fait battre le cœur un peu plus fort, tout à coup. C’est qu’en dépit de son obstination à marcher hors des sentiers battus, la normalité a toujours eu un attrait inavouable à ses yeux : plus jeune, elle aurait aimé pouvoir rentrer chez elle sans avoir à se soucier des étrangers alors susceptibles de s’y trouver, apprécier la chaleur d’un petit-déjeuner ou d’un dîner en famille sans que les yeux des personnes attablées ne pèsent sur son front d’une insoutenable surveillance. Elle estime que sa fille n’a pas à être concernée, pour l’heure, par les frasques plus ou moins légales auxquelles elle se livre quotidiennement ; elle voudrait considérer pareillement qu’elle n’a pas à subir les conséquences de l’agacement qu’elle éprouve de plus en plus cuisamment à l’encontre de son père.

Le répit dure un instant de plus : elle n’a pas à l’insulter indirectement à travers la résistance des mécanismes capricieux de la poussette, qu’il a pris le soin d’assouplir – tout en souhaitant secrètement pouvoir en faire de même avec elle, sans doute.

Dehors, Billie s’agite, cramponnée à son garde-corps, les joues mordues par le froid mais incapable de le mordre en retour. Le trajet risque d’être éprouvant, mais aucune d’elles ne manifeste le moindre signe d’impatience, toutes deux absorbées par la contemplation d’un paysage qui ne tardera pas à changer : leur île n’a de fait rien de commun avec le quartier écologique, et Billie n’est pas encore en âge d’être sensible à la poétique des ruines. Elle-même l'est beaucoup plus depuis que la lourde chevelure de Médée lui étreint le cœur à la manière d'une forêt de ronces.

Elle s'en aperçoit à peine, ne veut entendre que les petits hoquets émerveillés de sa fille face au spectacle des grandes étendues jalonnées de verdure, réchauffées par le soleil déclinant de seize heures. Lili aurait pu se laisser aller à la même émotion en s’installant sur le banc où ils ont l’habitude de se rejoindre, où il lui a promis d’arriver à l’heure, si la première minute de retard n’avait pas déjà été une aiguille plantée dans la grande baudruche de ses attentes.



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I wake up feeling like you won’t play right [Clyde ♥] - Sam 24 Nov - 14:06



Son cœur est une pochette surprise et ses exhalaisons sont des confettis.

L’horloge indique dix minutes de retard déjà.

Sa main transpire autour de la lanière en cuir, l’œil vivace sur les désirs inavouables qu’on lui offre. C’est presque pénible cette légèreté, c’est insupportable ce besoin d’étreindre et d’assimiler. Ce n’est même pas son cœur qui tremble, c’est sa peau qui ne semble pas savoir quoi faire d’autre. Qui ne sait pas quoi faire d’autre. Le désir en papillotes partout hurle, bat la chamade. Il attend les sirènes, dangereuses et séductrices, il les convoite comme un nouveau-né qui s’empare avidement du moindre objet, afin de le mettre à la bouche sans même regarder ce que c’est, sans même s’en soucier véritablement.

Jason enjôle et Clyde s’y plie dans un mouvement rêveur.

Il est en retard et la route défile sous ses yeux, l’asphalte brûlant des journées déjà froides d’un hiver dépérissant.

Arcadia n’est pas ce qu’il a envisagé, l’amertume en brume alcaline qui vous mange les poumons. Le soleil de Gibraltar lui manque, ses étendues rayonnantes de mer calme aussi. Elle n’a jamais vu l’Europe et ses névroses, la folie sage qui se cache derrière leurs ruines millénaires. Il aimerait les y emporter mais ils sont en exil tout deux, la peau de chagrin réduite à des parcelles de terre sèches et dévastées. Il se demande si Lili en pense de même, si elle sent la tragédie poindre sous la forme d’un nuage bas et menaçant. Il lui parle moins ces derniers temps, les mots saturés de nitroglycérine entre eux. Elle emplit son espace pourtant, pupilles noires, bouche rose et le souffle si chaud qu’il semble exhaler l’Enfer et ses promesses à son oreille.

Clyde repousse ses boucles blondes en arrière, les pas fermes, le visage fermé et le sac lourd d’un matériel cliquetant à l’épaule, tandis que la rue se fait plus dense. Il accélère un peu maintenant, l’incompréhension en glas fatal sous la semelle de ses chaussures. Lili est irréelle, de feu et d’air et il y a toujours une pointe d’angoisse éperdue, de peurs ancestrales quand il s’en approche.

Il coule, tel Jonas dans le ventre de la baleine.
Il se noie mais dans son arrogance toute masculine, cette assurance tacite que les étoiles ne sont que pierres de rêves autour de lui, l’orbite aussi éclatant que taciturne, Clyde se croit discret. Il oublie les murmures diaphanes ivres d’amour entre eux. Il oublie qu'elle sait toujours plus, qu'elle le connait mieux que quiconque.
Qu'elle reste la meilleure partie de lui-même.

Il est en retard et le monde s’habille de secrets parfumés de sauge et de myrrhe, les langues serpentines prêtes à chuchoter des paroles remplies de péchés et de peau. C’est quand il voit leurs silhouettes à toute deux qu’il s’arrête, le front constellé de quelques gouttes de sudation qu’il écarte d’un revers de manche. Il a envie d’elle et l’idée traverse l’esprit comme le venin se répand dans le sang : avec rapidité et implacable dans sa mise à mort. Le pas se fait lourd, presque défiant. Il est en retard mais peu importe, sa présence se suffit à elle-même pense-t-il crânement. L'intrépide prudence ourle le coin des lèvres en un sourire criblé d’admiration silencieuse. La vision de Billie passe un voile blanc sur ses désirs sombres et il dépose un baiser erratique sur les joues rondes. « Comment vont mes chéries ? » Les paroles sont enduites de pollen, l’énergie erratique qui dérive paresseusement en gestes aériens. Il enroule un bras autour de la taille de l’épouse, abaisse ses lèvres sur les siennes les yeux grands ouverts, le regard qui coagule en électricité savoureuse. Il y a des mises à mort au fond des grands yeux noirs et il esquive, vient déposer un autre baiser derrière l’oreille, murmure un caprice enchanteur qui sent les gouffres de l’idiotie. « Vous attendez depuis longtemps ? » Clyde s’écarte sans croiser le jugement qu’il devine et prend dans ses bras sa fille à la gourmandise papillonnante. « Il est spécial ce parc, tu ne trouves pas ? Trop neuf, ça doit être pour ça. » La peau crépite.

La peau ne fait que ça.



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I wake up feeling like you won’t play right [Clyde ♥] - Dim 16 Déc - 16:48



Lili déglutit péniblement, comme pour avaler une couleuvre. Deux minutes. Il peut se passer tant de choses, en deux minutes. Il n'a par exemple fallu que deux minutes, si ce n’est moins, pour qu’il tombe irrémédiablement amoureux d’elle. Deux petites minutes pour unir sa vie à la sienne sans même le savoir, comme les dieux auraient scellé un destin tragique.

Trois minutes. Ses joues s’empourprent de colère et deviennent progressivement insensibles à la morsure du froid. Trois minutes, c’est le temps qu’a mis Billie à s’endormir, la première fois qu’il l’a prise dans ses bras. Elle se souvient encore du bercement, aussi maladroit que tendre, qu’il a imprimé à son petit corps insouciant. Elle voit encore l’émerveillement inquiet qu’il a eu dans les yeux lorsque sa respiration est devenue plus paisible, puis le soulagement de ne pas l’entendre s’arrêter.

Quatre minutes. Elle déglutit encore, considère les promeneurs en se demandant s’ils vont tromper quelqu’un, aujourd’hui, s’ils vont mentir, trahir, à quel point. Quatre minutes, c’est le temps qu’il met à discipliner ses boucles et à tailler sa barbe le matin, avant de frotter sa joue contre la sienne, dans l’attente de son verdict. Il a trouvé tant d’autres manières d’être irritant, songe-t-elle avec un pli amer au coin de la bouche.

Cinq minutes. C’est généralement le temps que durent ses étreintes lorsqu’il n’a pas trouvé les mots justes pour la réconforter, lorsqu’il sait que la raison et le baume de sa voix ne lui seront d’aucun secours face à l’univers intérieur silencieux qui se creuse parfois en elle comme une tombe.

Six minutes. C’est le temps qu’ont duré les plus longs pleurs de Billie. Une otite, se rappelle-t-elle. Elle voit encore son désespoir de père mécanicien, sonné de ne pouvoir réparer le petit corps de sa fille avec une clé à molette, son indignation face à l’ampleur de ses souffrances, à la brisure déchirante de sa voix. Elle l’entend encore se jurer que son bébé ne pleurerait jamais plus aussi longtemps.

Sept minutes. Lili referme les bras autour de sa fille, pour se convaincre qu’elle ne lui veut aucun mal. Sept minutes. Sept minutes et dix secondes. C’est le temps que dure Riders on the Storm, chanson qu’il connait par cœur et qu’il a chantée un nombre incalculable de fois, son dos en sueur vibrant contre son ventre tandis qu’ils traversaient péniblement le Nevada. Médée, quant à elle, aurait sans doute préféré découvrir la Danse Macabre de Saint-Saëns. Sept minutes de notes litaniques ponctuées de stridences pétrifiantes.

Huit minutes. C’est le temps qu’il a mis pour changer Billie la toute première fois. Elle s’est débattue furieusement, roulant sur le dos, puis sur le ventre, puis sur le flanc, agitant frénétiquement ses petites jambes potelées lorsqu’il s'est obstiné à lui enfiler cette satanée couche, piaillant chaque fois qu’il a essayé de boutonner les pressions de son body rose imprimé bananes, le forçant à s’y reprendre à de nombreuses reprises.

Neuf minutes. Dans ses bras, Billie interrompt un instant ses gazouillements, comme à l’écoute des bourrasques intérieures de sa mère. Neuf minutes, pense-t-elle en caressant les bulles bouclées qui auréolent le visage rond de sa fille, c’est le temps qu’a duré son silence lorsqu’il l’a embarquée derrière lui pour commencer leur longue cavale. Neuf minutes de vrombissements et de rumeurs urbaines. Neuf minutes de prudence et d’interrogations muettes. Neuf minutes de soutien inconditionnel et d’amour indéfectible.

Dix minutes. Billie commence à se débattre un peu dans ses bras. Elle serre trop fort, s’aperçoit-elle, mais n’adoucit pas pour autant son étreinte. Pas encore. Dix minutes, c’est le temps qu’il prenait tout récemment encore, chaque soir, pour lui susurrer le moindre de ses secrets sur l’oreiller. Dix minutes auraient probablement été suffisantes pour s’emparer de ce même oreiller et l’asphyxier avec. Billie émet une plainte et la repousse. Lili abdique, l’apaise d’une caresse.

Onze minutes. Un couple de coureurs la dépasse en haletant. Sans doute halète-t-il, lui aussi, à ce même instant, pour de tout autres raisons. Onze minutes, cela suffit bien à terminer son affaire. Il a les bras assez habiles et puissants pour n’avoir qu’à soulever et prendre dans la seconde. Il n’a pas même besoin de l’appui d’un mur, il suffit d’un rempart aussi facile et engageant qu’une jupe. Elle le sait. C’est qu’il s’est déjà mis au défi de se rassasier d’elle en onze minutes. Il n’a pas réussi. Clyde, alors, n’était pas de ces hommes qui se satisfont de l’amour en coup de vent, de l’amour sur post-it.

Douze minutes, que sa pensée ulcérée transforme en autant de coups de couteau – dans son corps à lui ou dans son crâne à elle pour mettre un terme au flot infernal de sa suspicion, elle ne sait pas. Douze minutes, c’est le temps qu’il la retient au lit, chaque matin, quand il s’éveille avant ou en même temps qu’elle. C’est le retard qu’il la force à prendre, le mensonge qu’il la force à construire, quelquefois, pour s’excuser auprès de ses obligations. Depuis quand est-elle celle à qui l’on ment ?

Treize minutes. Billie suit avec ravissement le vol d’un merle, tend ses petites mains vers lui, avant de chercher le même enthousiasme dans son regard. Mais ses yeux, à elle, sont de plus en plus orageux. L’attente lui est insupportable. Treize minutes, c’est le temps qu’il a pris pour lui expliquer et lui montrer comment vérifier et changer les injecteurs d’une voiture lorsqu’ils sont tombés en panne sur la route 66. Une éternité n’a pas suffi à Jason pour venir à bout de la mécanique de Médée.

Quatorze minutes. Sa fille, vaincue par le froid et le passage monotone des promeneurs, s’assoupit un peu sur son sein. Quatorze minutes, c’est le temps qu’elle a compté, la dernière fois, avant de s’endormir à ses côtés. Depuis quelques semaines, il semble mettre un point d’honneur à ne jamais s’abandonner au sommeil avant elle. Intimement, elle sait pourquoi. Il aurait tout aussi bien pu se coucher auprès d’une vipère.

Quinze minutes. Elle cille. Qu’a-t-il fait en quinze minutes ? se demande-t-elle pour tromper la fureur. Mais oui, quinze minutes, c’est le temps qu’il a pris pour monter le premier lit de Billie, sitôt qu’ils se sont installés à Wild Island. Il ne lui en faudrait sans doute pas davantage pour assembler les pièces de son cercueil. Du reste, quinze minutes, c’est maintenant le temps qu’elle prend pour se demander, chaque soir, ce qu’il a bien pu toucher de plus qu’elle pendant ces trop longues journées où elle n’est pas en mesure de garder les yeux sur lui et ses défaillances. Sa peau s’ennuie quelquefois, elle le sait, comme un estomac peut s’ennuyer, éprouver le besoin de s’emplir quand bien même il n’a pas faim.

Seize minutes. C’est aujourd’hui le retard qu’il ne consent plus à prendre sur son travail pour rester un peu plus dans ses bras. C’est le nombre de piqûres qu’elle se sent au coin de l’œil quand il apparaît enfin au bout de l’allée. Seize minutes, pense-t-elle, seize minutes ne seraient pas suffisantes pour lui faire subir, avec une application d’orfèvre, tout ce qu’elle aimerait lui infliger. Elle tourne lentement la tête vers lui. Son front luit de l’effort qu’il a fourni pour les rejoindre – et d’autre chose encore, peut-être. Il est insolemment beau, et ses indélicatesses ne l’enlaidissent pas. N’a-t-il pas un visage et des boucles qui semblent avoir été découpés dans le soleil lui-même ? Lili inspire profondément, se demande combien de ces boucles ont été meurtries par des mains qui ne lui appartiennent pas, combien ont servi à prévenir temporairement la chute dans l’abîme du plaisir. Il approche, avec une prudence qui flatte la bête en elle et lui fait horreur tout à la fois. Elle l’aime jusqu’à la douleur, et il lui fait l’offense de ne pas se montrer à la hauteur. Elle lui aurait sauté à la gorge. Après avoir tordu celle de Billie sous ses yeux, ne peut-elle s'empêcher d'ajouter intérieurement.

Lili voudrait secouer la tête pour reprendre ses esprits, diluer le poison qu’y injecte perfidement Médée. Mais tous ses efforts consistent à ne pas ensanglanter l’estampe de leurs retrouvailles. Il s’enroule autour de sa taille, qui se rigidifie ostensiblement dans l’étreinte ; sa bouche ne prend pas la langueur de l’amante qui s’abandonne à l’amour et ses paupières s’abaissent orgueilleusement sur l’ersatz de baiser qu’il lui donne. Lili voit l’ouverture suspecte de ses yeux. N’est-on pas censés s’embrasser les yeux fermés ? Depuis quand ne plonge-t-il plus systématiquement entre ses lèvres comme dans un puits sans fond ? Depuis quand a-t-il peur ? Il a toujours eu peur, lui susurre Médée, aimer n’est rien d’autre que trembler.

Lili déglutit encore, et il lui semble avaler une lame. Elle ne répond pas à sa question, estime que son silence est assez éloquent. Pourtant il aurait fallu un éclat, songe-t-elle en se blâmant de trouver une forme d’apaisement dans le deuxième baiser qu’il dépose derrière son oreille – traître. Dans la douce chaleur de son haleine, elle entrevoit à nouveau la gamme ascendante de leurs bonheurs ; mais sa deuxième interrogation lui presse à nouveau la joue contre les braises crépitantes de sa colère. Il fuit son regard, remarque-t-elle avec douleur, et Médée lui fait voir le lâche qui a corrompu son époux, aux épaules toujours si solides, aux regards toujours si sûrs en dépit de ses doutes. Elle lui cède Billie avec un soulagement inavouable, la regarde se blottir dans ses bras, contre son corps échauffé par la marche qu’il n’a peut-être jamais daigné transformer en course pour les retrouver plus vite, pour les faire attendre moins.

Il y a comme un spectre entre eux. C’est cruel. Et intolérable. Lili aurait aimé pouvoir se blottir contre lui à son tour, respirer son odeur sans que cela n’attise la géhenne qu’elle porte en elle, et où elle voudrait le précipiter pour toujours. Sa remarque au sujet du parc lui arrache un sourire amer. « J’ai eu le temps de m’y habituer, répond-elle d’une voix à la douceur trompeuse, avec tes exactement seize minutes et quarante secondes de retard. » Elle feint de considérer les impressionnantes constructions qui donnent à l’espace vert un aspect futuriste. « Mais tu ne devrais sans doute pas dénigrer ce qui va te permettre de fuir encore mon regard l’air de rien. » Et comme pour le défier de lui donner tort, elle lui refait face, cherchant ses yeux avec une insistance mauvaise. « Dis-moi donc, Amour : quelle distraction a pu te sembler assez importante pour t’insuffler l’orgueil de faire attendre ton épouse et ta fille seize minutes et quarante secondes ? »



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I wake up feeling like you won’t play right [Clyde ♥] - Mer 26 Déc - 16:23



Le souffle se fait horloge. Le compte à rebours a des relents d’hémoglobine. Seize minutes et quarante secondes. Il sourit comme ces capitaines aux proues des navires valeureux, la mer au murmure inquiétant en étendard sous ses pieds. Ça tangue délicatement, l’adrénaline frémissante jusque dans ses vertèbres. Elle n’est pas mignonne dans ses remarques mais elle ne l’a jamais été dans l’intimité, le cœur en marteau et les lèvres en lames tranchantes alors, il balaye ses remarques, les cils perclus d’une superbe mascarade, le sourire bardé de naïveté insolente. Et alors ? semble-t-il tonner dans un haussement d'épaule imaginaire. Après tout, il la choisit un peu plus chaque jour en se perdant ailleurs.

Lili est resplendissante dans sa fureur sous cloche, la douceur hypnotique dans le miel de la voix. Des pièges qu’il ne voit pas. Il n’a jamais été bon pour ça, il a toujours cru qu’il pouvait s’en tirer dans un mouvement d’épaule et dans un geste trop plein de bravade et de courage. N’était-ce pas déjà ainsi sur les ponts inférieurs des navires écossais ? Les précisions ne sont nécessaires qu’en cas de tempête et il ne voit pas encore les typhons qui se préparent dans la poitrine appétissante de sa dulcinée. Jason se fond dans les prunelles grises. Le héros n'en a jamais été un et a toujours dû lutter quelque part. Les astres se sont toujours montrés moins clément à son égard, il en est sûr. Ses protections – si déterminantes, il les a payées croit-il. Les toisons d’or se sont revêtus d'une odeur ferrugineuse et son navire a échoué quelque part dans les déserts étincelants des confins du monde. C’est injuste, voilà tout. Les dieux, le monde et même surtout, Lili et ses reproches.

Clyde penche son visage, le soupçon roulant en vagues discrètes dans les iris clairs. Elle n’est pas contente. Et pour quoi ? Quelques minutes de retard ? C’est injuste. La culpabilité se cache dans des recoins écrasants intérieurs. Il oublie sournoisement les parfums qu’il a respiré, les regards enfouis dans l’arrondi de peaux diverses. « Mais tu ne devrais sans doute pas dénigrer ce qui va te permettre de fuir encore mon regard l’air de rien. » Le soupir se fait impatient et lourd, une mise en garde tacite dans la façon dont il caresse les bouclettes de sa fille. Il rajuste son sac, le bruit des outils en oraison funèbre. Il a un bras tendu, le toucher nécessaire pour créer un lien généreux. Les doigts passent dans les cheveux puis sur les joues rondes plein de babillements joyeux. Sa fille ne lui en veut pas, elle. Les enfants pardonnent avec tant de complaisance. « Ta maman n’est pas commode. » La vulgarité placide d’une vérité morne. Il lève les yeux vers le visage en cœur, l’acide perlant au bout de la langue. Un instant il songe qu’il aimerait y goûter avant que les mots ne jaillissent en mur glacé entre eux. « Dis-moi donc, Amour : quelle distraction a pu te sembler assez importante pour t’insuffler l’orgueil de faire attendre ton épouse et ta fille seize minutes et quarante secondes ? » Il grogne, quitte les bulles pleine d'affection émerveillée de sa gamine pour le gel temporaire de sa femme. Il a le torse qui s'emplit d'inconnu, le magnétisme si fort qu'il en devient étourdissant. Clyde se penche à nouveau sur les lèvres douces qui crachent des inepties - oui. Jason a l’égoïsme cavalier et l'en dote sans vergogne. Il frôle la pulpe de velours recouvrant les dents acérées. Il sait mieux que de la mettre en garde, gage qu’il parviendra à l'astreindre sous des caresses fondantes. Les cheveux blonds tombent sur le visage de son épouse comme autant de cordes instables. Elle refuse de se taire, de complaire, de plier. Il ne tire pas de douleur lancinante de ces refus, ne l’a jamais vraiment fait en vérité. Leur mariage est étrange et l’a toujours été, les désirs infinis étirant leurs âmes trop étroites en guise de traîne nuptial pour l’un et l’autre. Le souffle est court et marque l'agacement. Il mâche ses mots. Elle mord.

(Il se souvient de la façon dont elle l’a embrassé sur la route désertique avant qu'ils ne parviennent à Arcadia: le gout du sable, de la chasse et de la liberté. Il n’y a pas de comparaison possible.)

« Tu sais ce que c’est, le travail, les demandes… » Les corps et les trahisons. Un relent de bile lui gratte la gorge. Il veut ne plus être là tout à coup, se tient éloigné de celle qui doit rester à ses côtés pour toujours. Son sang s’éperonne dans ses veines et il recule, mécontent, impuissant. Il voulait lu offrir une vie d’abondance et de désir, mais le premier point semble inatteignable et le second est trop intense pour se voir contenir tout entier. Le doigt glisse sur le visage fin qu’il contemple dans un froissement de sourcils. « Ce n’est rien seize minutes et des poussières. » La tension noueuse et épaisse se répand. « Je ne suis pas un enfant, pas besoin de chronométrer quoi que ce soit. » Elle a parlé d’orgueil et s’en est. Il est retors et scintillant, amer en bouche. « Tu aurais pu partir si tu ne voulais pas attendre, je ne t’en aurai pas voulu. » Les yeux disent précisément le contraire pourtant, l’attache brûlante muette, un crochet invisible entre leurs nombrils écarlates. « Je vous aurai rejoint plus loin. » conclut-il d’un ton désinvolte, les lèvres marinées dans de la paresse chaude. Il la veut agréable, à l’écoute de ses moindres désirs, comme du beurre facilement tartinable sur un morceau de pain frais et elle l’est quelque part, souple et enchanteresse, le verbe captivant et l’attrait insondable mais il y a autre chose maintenant, de plus dangereux, de plus rampant sous l’aspect implacable d’une silhouette sinueuse. L’occulte a prit place entre ses caresses et donne l’impression à Clyde que sa précieuse Lili lui arrache la peau et la lui remet à l’envers.

Il imagine qu’ils sont incompréhensibles pour des yeux étrangers. Peu importe. Il ne comprend pas toujours non plus lui-même.

Il lui sourit, piqué comme un radis dans un bocal de vinaigre. « Je suis là maintenant, non ? Allons-y ! » Les traces d’aigreur glissent en sillon sous les rouages de la poussette. « Vous êtes venu ici directement ? » Il passe les doigts autour du col dans un geste absent, comme pour en effacer les mensonges cachées et coupables.



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