"Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit." [Khalil Gibran]
L'appartement est vide, froid de toute présence. La vaisselle est restée en l'état, accumulée dans l'évier. Le linge est sec sur ses cordes depuis longtemps. La poussière s'est accumulée, plusieurs semaines durant. L'absence a pris toute la place. Marisol erre de pièce en pièce, hagarde. Elle caresse les objets, effleure l'arrête des meubles, respire les vêtements qui traînent ça et là. Ce parfum de lilas qui imprègne le tissus, est une madeleine de Proust qui la ramène invariablement à l'enfance. Il avait beau s'être oxydé de naphtaline et de désinfectant, il signifiait "la Maison". Jamais plus, elle ne le respirera. Tel un automate, la jeune femme s'éprend de rangement. Elle lave, ordonne, trie, récure. Elle s'y casse les ongles, s'y coupe un doigt, s'y égratigne le cœur. Les yeux s'embuent, mais les larmes ne coulent pas. L'esprit s'occupe, s'emplie de préoccupations ménagères. Elle aimerait ouvrir les rideaux, laisser entrer l'air frais et le soleil. Cela n'est plus sans risque, aussi se couvrent-t-elle de la tête aux pieds pour simplement déplier les volets. Après plusieurs heures harassantes de labeur, la douche est une bénédiction. Elle plie soigneusement les affaires prêtées par Lucjan. Elle se fait la promesse de les lui rendre au plus vite. Sans lui, elle ne sait pas si elle aurait survécu aux derniers événements qui ont chamboulé sa vie.
Deux pertes. Un gain. Rien ne sera plus comme avant.
La voilà désormais habillée d'un chandail simple et d'un jean, pieds nus sur le parquet fraîchement ciré. Elle contourne la table basse où trône son téléphone portable. Elle ne l'avait pas sur elle au moment des "faits". L'écran est bourré à craquer de notifications. Elle s'assoie, finalement, mâchonnant nerveusement l'ongle de son pouce. Il va falloir affronter la suite, petite Marisoleil. Prouve-moi que je ne me suis pas trompée sur ton compte. La gamine prend une inspiration et attrape finalement le cellulaire. Elle a eu le temps de mûrir un alibi. Le nombre d'appel en absence de Stanford lui fend l'âme. Cependant, ce n'est pas le moment de flancher. Elle presse le bouton de rappel et ferme les yeux.
- Allo, Stan ? C'est Marisol. Chais bien qu'tu m'as appelé plein de fois mais avec la mort de Mama j'ai...
La voix qui la coupe est jeune et masculine. Elle s'était préparée à ne pas entendre le timbre bourru et rocailleux de ce bon vieux Pride. Quand bien même, la blessure suppure.
