Le réveil sonna.
Cacophonie.
Ma main glissa hors des draps et s’empara du téléphone ; d’un geste malhabile, mes doigts glissèrent sur l’écran afin de faire taire l’appareil. Il chut aussitôt. J’étouffai un grognement dans mon oreiller, forçant mes paupières à rester ouvertes tandis que s’enfonçaient dans le matelas mes doigts déjà emplis d’une colère sourde.
Le téléphone sonna une seconde fois, injonction me sortant du lit. Du pied, je le poussai alors que je baillai.
Le carrelage était froid, un frisson parcourut mon échine. Neuf heure sonnait au loin. Les coudes sur les genoux, j’allumai une cigarette afin d’essayer de me réveiller. A l’accoutumée, je m’étais couché tard, bien trop tard, après avoir fait la fermeture du Teddy Beer. Il était près de trois heures quand je sortais de la douche avant de m’affaler dans le lit, et de ne point m’endormir, à l’accoutumée.
Je vis mon visage sur le reflet de la vitre ; des cernes jonchaient mes yeux, mes cheveux emmêlés et mon regard brumeux me paraissaient être un portrait des plus conventionnels, des plus routiniers. Nul sourire ne vint saluer mon propre mirage.
De l’eau froide vint électriser ma peau.
Du café brûlant vint couler dans mon gosier.
Veines tentatives afin de me réveiller.
Une seconde cigarette, un second café. Et deux bricoles oubliés dans le frigos avalées.
La routine militaire s’installa aussitôt ; nettoyage, rangement et habillage, tout au cordeau, tout au millimètre prêt et en un temps record. Il ne me restait qu’à faire des courses afin de remplir mon placard et, peu après le repas de midi, aller nettoyer le Teddy des bières renversées et des vomis de la veille.
Rien d’autre qu’une journée normale.
Dans la routine et le calme.
Sans anicroche ni surnaturel.
Un calme que j’appréciais bien plus qu’il n’y paraissait derrière mon visage de marbre. Je fermai les fenêtres de mon appartement désormais glacé, ne fumant plus, je ne craignais une crise d’angoisse à la vision des fumerolles toxiques de mes quelques cigarettes.
La porte se verrouilla derrière et, enfin, j’avalai les marches vers la sortie. Mais, alors que la fatigue emplissait mes sens, je ne vis une forme absconse dans l’escalier ; un chat crus-je deviner après, qui gambada entre mes jambes sans sommation et me fit tomber à quelques mètres du rez-de-chaussée.
La douleur frappa mon crâne.
Le sang coula de ma tempe.
La Brume envahit le corridor.
Aussitôt, je vis son visage. Et mes dents se serrèrent. Et mes poings cognèrent le sol. J’inspirai, maudissant le félin d’avoir causé ma chute autant que mon inattention afin de faire fuir la colère grondante.
Il me scrutait. Je devais fuir son regard débordant de souvenirs, de tendresse désormais endeuillée, d’écho du passée capable de faire pleurer les plus beaux sourires.
Je me relevai et avalai un anti-douleurs. Déjà, de si bon matin. Ma main essuya la cascade carmine coulant le long de mon visage, je ne craignais le regard de la foule à l’extérieur mais ils risquaient de me parler, de me demander pourquoi je saignais.
Et désormais, je n’avais envie de dire quoi que ce soit.
Lorsqu’enfin je sortis, je ne reconnu la rue. Le bitume semblait plus noir, plus sombre, qu’à l’accoutumée ; nulle voiture demeurait garée ici, comme désertant l’avenue. Les immeubles voisins, comme le mien, s’étaient mus en rocher de jais et de magma refroidissant tandis que le flot continuel de véhicule n’avait de flot que le nom. Une rivière, réelle et lointaine, qui définissait la seule ligne de fuite à ce décor sans perspective, me paraissait pourtant hors de l’horizon.
Il n’y avait que deux passants, deux barbus, et nos regards se croisèrent, incrédules si l’on pouvait nommer mes émotions affables.
Je me demandais si mon pouvoir avait autant affecté l’environnement, serti d’illusion la rue et le monde. Je n’étais habitué à ce genre de pendrionnages et de mise en scène de la part de cette Brume si honnie. Pourtant, j’y étais habitué, malgré moi, à ces regards ectoplasmiques par dessus l’épaule, et je détestais cela, avoir un boulet fantomatique accroché à mon âme, le poids de mes souvenirs, de mon passé.
J’aimerai tant être surpris à chaque fois.
Le barbu, ourlé d’azur pâle, émit quelques sons à l’aide de sa bouche. Naturellement, il semblait perdu, à être coincé dans ma Brume si particulière cette fois-ci.
Attendre que ça se dissipe, grognai-je.
La douleur à ma tête tambourinait, répandent l’affliction dans tout mon corps. Je savais, intérieurement, que jamais la Brume se dissiperait tant que la douleur à mon crâne demeurait. Il fallait attendre, en somme, que les opiacées agissent.
Et ne pas regarder les fantômes.Surtout, ne pas les fixer. Comme des pièges à mouche, ils volaient l’âme des personnes prises dans les filets du Brouillard, empoisonnant la joie et gangrenant les sourires. Et je ne savais comment les libérer.