Stand up and see the skies alight ! Fight for a better day !
Le sang coula entre mes doigts. Je regardai ma main, devenue complètement écarlate et poisseuse. Mes vêtements aussi l'étaient. Merde j'en avais même dans la bouche qui s'accumulait si vite que je devais cracher tous les cinq mètres. Ou alors c'était moi qui était trop lent... J'avais du mal à marcher, chaque pression sur ma jambe gauche provoquant une vague de douleur dans l'ensemble de mon flanc, de l'épaule jusqu'au pied. Mais je tenais bon. Je devais. Encore un effort, et je pourrais me reposer. J'apercevais déjà les panneaux lumineux de l'hôpital clignoter non loin.
Comment je m'en étais retrouvé là déjà ? Ah oui. Le centre. Un type avait voulu en découdre avec un autre, je n'avais pas tous les détails. Je m'étais interposé. J'avais réussi à le sortir manu militari de là, mais, à peine dehors, il avait sorti un couteau et m'avait planté à trois reprises. Une dans la jambe et deux dans le ventre. Par chance, il n'avait rien touché de vital, principalement de la viande. Quoi que... si je crachai du sang, c'était peut-être parce qu'il avait eu les tripes. Mais par les dieux qu'est-ce que ça faisait mal ! Mes blessures les plus récentes remontaient encore à mon temps dans l'armée, et mon corps n'était plus habitué. Ça et la marche que j'avais dû faire depuis le quartier industriel, ça n'avait pas dû arranger la chose. Mais je pouvais pas vraiment me payer les services d'une ambulance. Pas avec mes récentes dépenses. Alors j'avais marché. Ou plutôt je m'étais traîné jusque là.
Alors que j'approchai des portes, je sentis mes forces s'évanouir, fondre comme neige au soleil. Mes jambes se dérobèrent sous mon poids, et je n'eus que le temps de demander de l'aide avant de me retrouver au sol. L'impact me fit tout de même lâcher un cri de douleur. Enfin cri... plutôt un mélange entre un grognement et un gémissement. Putain... c'était pas du tout comme ça que j'avais prévu de venir visiter le boulot de Lune... Pas du tout.
Ma vue était trouble. J'entendais mal. Mais pourtant, j'aurais juré apercevoir des silhouettes s'agiter non loin...
Stand up and see the skies alight ! Fight for a better day !
Des gens se penchèrent au-dessus de moi. J'entendis une voix, celle d'une femme je crois, parler. Elle disait des trucs (évidemment, quand on parle...). Elle prit ma main et me demanda de la serrer. J'essayai de baragouiner quelque chose, mais tout ce qui sortit de ma bouche ne fut que quelques glaviots sanglants. Alors je me contentai de la serrer le plus fort possible. Autrement dit, à peine. Mais c'était déjà ça.
J'espérai que ça l'avait rassuré. Parce que de mon côté, c'était pas le cas. Rassuré, je ne l'étais pas. Je ne voulais pas mourir comme ça. J'étais prêt à mourir, depuis longtemps, pour de nombreuses raisons. Mourir au combat, défendant mes idéaux. Mourir pour quelqu'un que j'appréciais. Mourir en protégeant les autres. Mais ça... Mourir à cause d'un putain de bourré qui m'a planté dans une ruelle, c'était vraiment la merde. Et puis, ça ne prouverait même pas à Lune qu'elle avait raison quant à ma mort en martyr... Nan, j'pouvais définitivement pas m'en aller comme ça.
Mon ange gardien m'annonça qu'elle allait me déshabiller. Dans un autre contexte, j'aurais vraiment apprécié et j'aurais même probablement fait une ou deux vannes à ce sujet. Mais là, j'étais pas vraiment en mesure de m'exprimer. Enfin si. Je parvins à hocher la tête, les yeux dans le vague, pour approuver mon strip-tease version SAW. Je réussis même à prononcer quelques mots, entre deux glaires rouges.
Trois... couteaux... Je crachai une nouvelle gerbe de sang. Tripes...
Espérons que ça lui soit d'une quelconque utilité. J'essayai par la suite de me concentrer sur ma respiration. Je voulais l'aider, je voulais tout faire pour qu'elle puisse me réparer et me remettre sur pied dans les meilleures conditions. Mais je ne savais pas quoi faire. Je jetai un regard vers elle, distinguant un peu plus ses cheveux d'or et son visage fin. En un éclair, l'espace d'un bref instant, le dieu en moi sembla se souvenir de quelque chose et lâcha.
Sif ?...
Mes yeux se révulsèrent et m’entraînèrent dans les ténèbres.
Stand up and see the skies alight ! Fight for a better day !
D'étranges rêves m'assaillirent durant cette période d'inconscience. Des visions passées. Etait-ce le mien ? Ou celui du dieu ? Aucune idée. J'y vis une femme blonde. Impossible de dire s'il s'agissait de Sif ou de Julie. Je vis des champs de batailles, impossibles à différencier entre l'Afghanistan ou bien ceux de Jötunheim. Le bruit de la guerre, du sang et de la douleur. L'odeur de la chair carbonisée, des tripes à l'air libre et de la mort un peu partout. Les cris et râles des gisants, les suppliques des agonisants... Tout n'était qu'un chaos confus. Et puis vint la lumière.
J'ouvris les yeux dans une chambre d'hôpital. J'entendis des voix qui parlait, des bruits de pas qui s'éloignaient. Le blanc des maisons de soins m'avait toujours énervé. Si on voulait que les gens se sentent mieux, il fallait mieux mettre de la couleur. Sous les couvertures, ma main passa sur les points douloureux de mon corps. Je sentis des points de suture. Merde... C'était pas un rêve bourré. En même temps, vu la douleur qui en émanait, ça aurait été un rêve bien réaliste.
Une toubib entra dans la pièce. Mon regard s'arrêta sur sa chevelure dorée. Serait-ce elle que mon inconscient m'avait montré ? Impossible à dire. Déjà, les images de mes rêves se troublaient. Et puis, vu l'état dans lequel j'étais arrivé, je n'aurais reconnu personne. La preuve étant, elle m'annonça indirectement qu'elle avait été parmi ceux qui m'avait ramassé devant l'hôpital. Je grognai en me redressant, tout en répondant.
Désolé pour ça...
Elle me demanda l'autorisation pour me poser quelques questions. Je me contentai de hocher la tête en guise de réponse. C'était ton boulot doc', alors fais ton office. Elle commença par les questions de base, ce qui me rassura presque. Le monde continuait de tourner rond et m'attendait toujours avant de partir en nouilles. Au moins je n'étais pas resté inconscient trop longtemps. Avant de répondre, je lui demandai, d'une voix bien trop faible à mon goût.
De l'eau...
En attendant, je pris quelques inspirations et me mis à répondre, le plus lentement possible à cause d'une respiration pas encore au top.
Hadrien Einarsson... Je me grattai la tête qui tournait encore. J'avais visiblement pas encore reconstitué toutes mes réserves de sang. Y'a... Y'a quelqu'un... au service médico-légal. Lune... Mais... lui dites pas... On s'est frité et j'voudrais pas que la première chose de moi qu'elle voit soit ma tronche dans cet état.
Déjà que je l'avais vexé, je ne voulais pas l'inquiéter encore plus si elle me voyait dans cet état. Je lâchai une quinte de toux grasse avant de réussir à demander.
C'est dans quel état ? Sale ? J'suis resté K.O. longtemps ?
De vieux réflexes militaires. Il était bon de voir qu'ils étaient encore fonctionnels. C'était toujours ça de gardé.
Stand up and see the skies alight ! Fight for a better day !
Sa première réponse me parut quelque peu... dépitée. Etait-elle déjà tant blasée que ça par son job ? Ou par la situation d'Arcadia ? Bordel, on aurait dit un vieil officier qui ne croyait plus en ce pour quoi il avait signé en s'engageant, et qui ne continuait son boulot que parce qu'il ne savait rien faire d'autre et qu'il avait besoin des chèques. J'ignorais son âge, mais au sien, j'avais encore des idéaux qui tenaient la route. Merde, encore maintenant j'en ai !
Elle me donna un verre d'eau, à moitié remplie, que j'engloutis d'une traite. Ma gorge irritée me démangeait et m'énervait, et la descente du liquide dans l'oesophage soulagea légèrement la sensation. Elle accéda à ma demande de ne pas prévenir Lune, sauf si la situation l'imposait. Bon en même temps c'était normal j'avais envie de dire. Mais j'avais juste à espérer que la situation ne l'imposerait pas.
Oh ça, les rencontres fortuites à la limite, ce sera pas le pire.
Elle m'énonça ensuite quelques détails sur mon hospitalisation. Sept heures ? Une bonne nuit de sommeil quoi. Bien. Au moins, je n'allais pas être complètement déphasé. Par contre, il était vrai que j'avais eu de la chance au niveau des plaies. Rien de vital n'avait été touché. En même temps, si ça avait été le cas, depuis le quartier indus, je n'aurais jamais pu me traîner jusqu'ici. J'allais tout de même en garder de magnifiques cicatrices. Tant mieux. Ça en ferait des belles à ajouter à mon tableau de chasse.
Ah ! Chanceux j'sais pas. J'ai connu pire durant mon temps à l'armée fanfaronnai-je.
Mais il était vrai que, face aux Jötunns, je m'étais tout de même fait embroché sur un morceau de fer forgé. Il avait traversé mon flanc de part en part, là aussi sans transpercer quoi que ce soit de vital. Mais j'en portais toujours la marque, qu'on pouvait confondre avec une ancienne plaie par balle.
Ma toubib m'annonça ensuite que j'allais devoir rester quelques jours encore en observation. Là par contre, je tiquai. Si j'acceptais de me reposer chez moi, rester dans un hôpital, sans assurance, allait me revenir à y vendre mes reins sur place pour payer les frais. Et ça, je refusais. Je me redressai légèrement sur le lit et déclarai, du ton le plus confiant dont j'étais capable.
Ah nan désolé mais ça va pas l'faire. A moins que l'assurance maladie universelle n'ait été déclarée pendant mon sommeil, j'vais pas avoir les moyens de rester longtemps.
Même si je sentais toutes les fibres de mon corps me hurler de rester coucher, je tentai de bouger mes jambes pour m'asseoir sur le bord du lit. Opération longue et fastidieuse en perspective.
Ecoutez doc'. J'ai connu pire quand j'étais dans l'armée, et j'suis solide comme un dieu. Sérieusement ? J'avais osé la faire ? Donnez moi une canne et la liste des médocs à acheter et j'prendrais un taxi pour rentrer chez moi et m'y reposer.
Ça me reviendrait cent fois moins cher que de dormir deux jours dans cet endroit.
Stand up and see the skies alight ! Fight for a better day !
Je trouvais toujours ça insultant de dire ça ou de le penser, mais je devais avouer que la toubib m'amusait. Ou me rassurait. Sa conscience professionnelle était une belle chose à voir et me changeait de mes souvenirs des médecins de l'armée ou des services de sécurité, qui te renvoyait au turbin avec un shot de morphine et une lampée de vodka pour que tu tiennes le coup. Bon, les conditions n'étaient pas du tout les mêmes en réalité.
Je rebondis sur sa remarque divine.
Ah ! Que voulez-vous. On a toujours des hauts et des bas. Et puis, les dieux sont mortels eux-aussi.
Précision pour elle et rappel nécessaire pour moi. Surtout dans cette situation-là où c'était à cause d'un type complètement défoncé. Je serais mort vraiment bêtement si ça avait été le cas.
Elle accéda à ma demande. intérieurement, je me sentis soulagé de ne pas avoir à m'endetter sur trois générations juste pour dormir deux jours ici. Et puis, mon lit était bien plus confortable. Soulagé de me savoir autorisé à sortir, je frémis tout de même face au regard qu'elle me lança concernant le repos (et la non responsabilité de l'hôpital). Aussi, mes vieilles habitudes militaires revinrent et ma réponse fut un franc et sincère.
A vos ordres Doc.
Par contre la suite ne m'arrangeait pas du tout. Mais alors pas le moins du monde. Déjà parce que je ne voulais pas que Lune ne me revoie dans cet état. Et surtout parce qu'elle m'en voulait sans doute encore pour la dernière fois. Ou alors elle avait oublié et mon état la ferait me prendre en pitié mais c'était bien trop compter sur sa potentielle empathie.
Je suis pas sûr que ce soit possible ça par contre Doc. Déjà parce qu'elle est probablement encore en train de dormir à cette heure-ci. Et ensuite parce qu'elle est aveugle. Elle pourra pas vraiment prendre la voiture pour me raccompagner et elle ne connait pas le trajet jusqu'à chez moi.
Je me redressai un peu plus, tout en douceur, toujours assis au bord du lit, avant de continuer.
Collez-moi dans un taxi et ce sera bon. Je peux vous assurer que dès que j'aurais franchi la porte de l'hosto, toutes les merdes qui me tomberaient éventuellement dessus seraient à ma charge. En espérant que ça n'arriverait pas, j'avais pas envie de faire demi-tour aussitôt sorti. Aidez-moi juste à descendre. Ou demandez à un infirmier, j'veux pas non plus vous déranger plus que ça dans votre travail. Vous en avez déjà fait beaucoup.
En posant un pied à terre, celui de la jambe abîmée, je le sentis particulièrement faible et il était peu probable qu'il me soutienne sans assistance. Aussi, je demandai une dernière chose.
Stand up and see the skies alight ! Fight for a better day !
Son haussement de sourcil face à ma remarque me fit comprendre qu'elle ne croyait pas un mot de ce que je disais. J'hésitai un instant à me lancer dans un long débat sur la mort de Baldr, sur Ragnarök ou encore le nombre de dieux celtes ou aztèques qui s'étaient entre-tués au fil des légendes et des sagas. Mais je me retins. Pas la peine de l'ennuyer avec ça.
Elle se montra cependant inflexible, inébranlable face à mes arguments. Encore une fois, j'admirais cette dévotion dans le travail. Néanmoins, ça ne m'arrangeait pas du tout. Pourtant, je sentis pertinemment qu'il ne servirait à rien de continuer de lutter. Tant pis. Le savon allait être pour ma poire. Bah, quand j'y repensai, ça ne pouvait pas être pire que trois coups de couteau. En fait, j'aurais juste à faire semblant de dormir le long du trajet et j'éviterais ainsi les réprimandes de Lune. Ça sonnait comme un plan.
Je me rassis sur le lit, constatant que je ne sortirai pas avant un petit moment et levai les mains en geste de capitulation (qu'elle s'en souvienne, c'était pas souvent que je cédais) et dis.
Vous l'emportez Doc, je vais attendre. Il faudra juste contacter Lune Leogrimm à la morgue pour qu'elle puisse venir me récupérer.
Prudemment, je me rallongeai, soufflant non sans satisfaction de la détente de ma jambe. C'était bien mieux comme ça en fait. J'allais devoir appeler la scierie, et le centre d'aide aussi, pour leur dire que je serai absent pendant un moment. Je clignai des yeux à plusieurs reprises avant de demander.
Dites Doc... vous pensez réellement qu'on peut changer cette ville ? Lui donner un nouveau souffle, loin de la corruption qui la gangrène ? Ou bien on ne peut qu'essayer de panser les plaies et soulager un peu la douleur.
Ma question était sincère et ma voix trahissait une certaine inquiétude. Le type qui m'avait agressé... il était venu dans un lieu où on aidait tout le monde, sans distinction. Tous les malchanceux, les délaissés, les oubliés... Il aurait eu sa place, un endroit chaud où se réconforter, un repas pour lui remplir le ventre, des rires et du soutien au travers des adversités de la vie. Alors pourquoi l'attaquer ? Cette ville pouvait elle vraiment être sauvée ? Je voulais y croire. Mais plus le temps passait, moins j'en voyais de signes.