Des habitudes. Sora créature d’habitude. C’est rassurant. Que les jours se ressemblent c’est rassurant. L’inconnu l’effraie. Si bien qu’il se complait presque à son sort. Ne cherche plus à s’enfuir. Ne cherche plus à fuir. Triste avenir. Mais il sait. Il sait ce qu’il attend, s’il se reprend à voler sur les ailes de la rébellion. Il sait. Il ne sait que trop bien. Et si à l’époque la douleur était une partie de son quotidien, son absence ne rend pas la sentence plus douce. Au contraire. Elle l’effraie. L’idée qu’ils n’arrêteraient pas leurs coups, leurs tortures parce qu’il ne saurait quand crier grâce. Alors il se complait dans ce qu’il est. Dans la vie qu’il a. Aucune opportunité d’avenir. Et des rêves d’évasions bien gardés là au fond de son cœur. De nouvelles habitudes pourtant. Rendez-vous hebdomadaire dans ce café, si loin de ce quartier. Si loin de New Kabukicho. L’espoir aussi au fond de ses yeux. Que le monde n’est pas si horrible qu’il y a une chance dans la vie, quelque chose d’un peu plus juste. L’espoir au fond de ses yeux parce qu’au final, on ne doit pas forcément enterrer les enfants trop tôt. Ce n’est pas grand chose. Ça change juste ses habitudes, pour rendre sa vie un peu moins triste. Un peu moins grise. Il arpente toujours les rues aux lanternes carmines. Il offre toujours son corps au plus offrant quand vient la nuit et la journée s’affichera le temps de quelques heures aux bras de celles, de ceux qui le paye pour le pavaner comme un nouveau sac de luxe. La nuit est son royaume. Et il se drape dans une veste de velours, un haut trop court en dessous laissant voir son ventre plat. Et il se drape dans celle-ci, ses jambes mises à nuit dans ce short en cuir. Tenue de travail oblige. Qu’importe les marques de ses vêtements, cadeaux de clients, il travaille le soir pour que sa dette s’efface. Mais le regard qui se perd souvent vers l’arrière. Ses plateformes silencieuses, mais l’impression d’entendre des pas. Ses jambes plus lourdes qu’il ne l’aimerait et cette sensation d’un regard épiant le moindre de ses faits et gestes. Dérangeant. Ce n’est pas la première fois ce soir. Non Sora qui a cette sensation certains soirs. Comme une ombre autour de lui. Dérangeante. Dévorante. Une impression qui devient habituelle. Et il n’aime pas ça. Ce n’est pas dans les habitudes qu’il veut avoir. Dans celles détestables. Celles de baisser les yeux, d’accepter les abus et de se taire. Il n’a pas envie de rajouter cette idée d’insécurité dans ses habitudes. New Kabukicho qui lui a toujours offert cette idée d’appartenance. Et la tranquillité de la neutralité du quartier après la disparition du Kyosei-Kai n’est pas quelque chose qu’il veut perdre. La rue qu’il remonte, et la ruelle sombre en objectif. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux à faire. Il se doute. Pourtant il en a assez. De cette ombre inconnue qui semble l’épier. Assez. Et sa main qui s’accroche au col de la première personne qui passe dans cette ruelle. Le temps d’attente trop maîtrisé pour que ce ne soit pas celui qui le suit. « Who … What do you want ? » L’hésitation est claire chez lui. Sora qui ne s’attendait pas à voir quelqu’un de jeune. Quelqu’un de son âge sans doute. Traits juvéniles qui l’intriguent, l’étonnent. Le font hésiter.  

Depuis quelques temps déjà, une habitude nouvelle s'était instaurée chez Akira. Ça avait commencé un soir où il rentrait de l'hôpital, fatigué de sa journée, il ne savait toujours pas pourquoi, ni comment, mais c'était arrivé. Il avait croisé cet homme ce soir-là, dans la rue alors qu'il rentrait chez lui. Un homme qui n'avait pas l'air beaucoup plus vieux que lui, et qui attira rapidement son attention. Sa tenue, ses activités, les personnes qu'il côtoyait, il n'y avait pas de raison apparente, pourtant tout le poussait à l'observer. Sans doute essayait-il au fond de comprendre son mode de vie. Mais il y avait plus que ça, il ne savait pas dire quoi, pourtant quelque chose l’obsédait. Bien sûr, si leurs routes ne se croisaient pas, Akira n'allait pas le chercher. Il se contentait de le suivre et de l'observer en silence, le plus discrètement possible, uniquement s'il se trouvait sur son trajet. Cette nuit encore, il l'avait repéré. C'était étrange, il avait l'impression à force de pouvoir sentir sa présence sans avoir à le voir, mais aussi de reconnaître une odeur familière. Pas la sienne, celle d'une autre personne qu'il connaissait, impossible cependant de remettre un visage sur l'odeur pour l'instant. Malgré ses efforts pour rester discret, il semblerait que le jeune homme ait fait trop de bruit cette fois-là, ou alors était-il repéré depuis les fois précédentes ? Quoi qu'il en soit, il se trouvait là, face à cet autre homme qu'il suivait régulièrement, l'objet d'une obsession dont lui-même ignorait la cause. Une main tenant son col, Akira se sentait pris au piège. Les souvenirs de sa vie passée refaisaient surface un à un. Toutes ces fois, tous ces sales types, qui lui avaient agrippé le col pour le fracasser. Il s'était toujours attendu à ces réactions à l'époque. Ici il ne savait pas à quoi s'attendre, il essayait de rester calme malgré cette appréhension qui montait en lui. Il cherchait aussi ses mots, que pouvait-il répondre ? Akira lui-même ne savait pas ce qu'il voulait. Peut-être rien, en fait. « N-nothing. » Son esprit pensait de plus en plus à l’éventualité qu'il se fasse frapper par cet inconnu. Du peu qu'il avait observé, il n'avait jamais décelé de violence dans cette personne, mais pourquoi ne le serait-il pas face à quelqu'un qui le suit ? C'était une réaction légitime, tout comme celle du futur chirurgien, qui paniquait intérieurement. Ses yeux écarquillés cherchaient une échappatoire, en vain tandis que ses jambes le lâchaient. Il tenta alors une forme d'honnêteté, peut-être qu'il s'en sortirait comme ça. « I-I want you.. n-nothing wrong ! » assura-t-il en détournant le regard.

Gentillesse qui s’évapore dans les ombres. Proie qui se veut carnassière, l’inquiétude qui agite son corps et guide ses mouvements. Tranquillité de la neutralité des rues qui se trouve perturbée. Pour Sora. Habitudes qu’il pensait avoir perdues et qu’il retrouve comme de vieilles amies. Habitudes qu’il pensait pouvoir abandonner et qui pourtant restent ses meilleures armes. Le regard en arrière et l’instinct qu’on a aiguisé à la violence. New Kabukicho n’a jamais été aussi calme. Silence presque étonnant lorsque les ombres s’allongent, lorsque la nuit règne. La nuit est sensé être son royaume, mais la couronne est convoitée. Regards qui le suivent, ombres parmi les ombres, et des yeux qu’il ne voit pas. Sent juste. Regard pesant et les vieilles habitudes qu’on pensait enterrer qui se réveillent. S’agitent. Ruelle sombre qu’il aurait fuit normalement qui devient son but, et voilà que le pas de Sora s’allonge malgré les cuissardes. Malgré la tenue plus que gênante. On sait très bien ce qu’il est venu faire sous les lumières d’or et de sang, sous le froid des néons. Mais voilà qu’il s’éloigne de l’artère centrale. Conscient. Oh tristement conscient. Qu’on le suit. Et l’inconnu l’effraie. Plus qu’il ne le dira jamais. Besoin de constance malgré tout. Et ces envies innommées qu’il ne décèle pas derrière ce regard curieux, derrière cette présence de moins en moins dissimulée. Il a besoin de réponses Sora. Il a besoin de savoir, de comprendre. Et pourtant la peur qui anime ses gestes aussi. Prières muettes. Qu’il ne soit pas l’un d’eux. D’un de ceux qui ont droit de vie, droit de mort sur lui. Pitié. Inspiration. Légère. Comme si le temps pouvait se bloquer. Non. Et pourtant, la main agile. Vive. Et voilà qu’il enroule ses doigts autour du col de celui qui le suit. Le dos du garçon qui finit contre le mur. Garçon. Jeune. Son âge. Peut-être moins. Il ne sait pas. Et les interrogations qui se bousculent, agitent sa voix, ses mots, et voilà qu’il bredouille. Question. Ordre. Et le regard qui se fronce délicatement à cette réponse qui ne lui convient pas. Mais l’hésitation qui éclaire toujours ses yeux, enlevant un peu de cette froideur qu’il se donne. Visage inconnu. Il n’est pas avec eux. Non. Il n’est pas du Kyosei-kai. Non. Soulagement. Et ses doigts qui se relâchent légèrement. « Nothing wrong? So why are you following me? » Ton gardé, Sora qui finit par le relâcher. Le rôle du bourreau n’est pas le sien. Plus habitué à être une victime pour ne pas voir. Les tremblements, le regard fuyant, les jambes faibles. « Weird … Are you this kind of boys wanting to play with prostitute? » L’âge qu’il ne devine pas et les suppositions qu’il ne peut que faire. Sora pourtant bon juge. Son instinct qui lui serre de radar. Sora qui ne voit rien. Ni mauvaises intentions. Ni bonnes. Neutralité étonnante et la curiosité qu’il devine. Chez lui comme chez le garçon.