Course-poursuite dans les rues d’une ville déjà à feu et à sang. Elle n’aurait jamais pensé faire partie de tout cela Nesryn. Les mafias, les organisations criminelles, les dieux et autres surnaturels peuplant les environs… Ca la gênait, alors qu’elle-même n’était qu’un monstre aux yeux d’une grande partie de la population, et des divinités mêmes. N’avaient-ils pas raison finalement ? Elle pouvait mettre n’importe lequel à terre, pour peu qu’il ait des choses à se reprocher, et des cadavres dans le placard. Fallait juste que les pupilles se croisent, que le pouvoir se déclenche, et plus rien ne pouvait l’arrêter. Enfin, si elle contrôlait son don, cela se passerait de la sorte, et elle pourrait être un réel danger. Aujourd’hui, tout était tellement aléatoire, qu’elle devait poser régulièrement un tissu sur ses paupières, pour éviter d’attaquer n’importe qui. Il suffisait d’une crise de stress, de la panique dans les veines, et de la peur dans le myocarde pour que tout s’écroule, que les vices explosent dans l’esprit de l’autre, détruisent son âme. Et au même instant, c’était son âme qui se craquelait, son aura qui se noircissait. Et au fur et à mesure, les miroirs étaient de plus en plus à éviter. Sinon, c’était elle qui mourrait.

Mains dans les poches, regard porté autour d’elle, dans le vide, elle continuait d’avancer dans les rues de la ville. Y’avait personne pour la surveiller, en ce début de mois de janvier. La mafia était occupée autre part, et elle se rendait compte que sans leur présence, elle respirait mieux, pouvait à nouveau s’espérer être elle-même. Moins de pression, moins de peur, et la migraine se calmait, les rougeurs aussi. Les pupilles ne brûlaient plus, n’étaient plus pâlottes. Un instant durant, elle redevenait elle-même, laissait le sourire se dessiner sur le bout de ses lèvres, l’insouciance l’envelopper. Ca ne durait jamais longtemps, puisque les voix pernicieuses revenaient en force, lui rappelaient qu’un pas de travers, et c’était la prison, ou la mort qui l’attendait. Chantage usé depuis des années, en passe de devenir inutile. Parce qu’elle allait partir. Y’avait eu une rencontre déterminante, en Décembre. Des mots, des paroles qu’elle se remémorait, qui appuyaient sur une envie qu’elle avait depuis longtemps. Claquer la porte, pour une fois. Et là, elle aurait de l’aide. Avec tous les événements qui ébranlaient la Camorra… C’était une opportunité à se saisir.

Les pas l’embarquaient, yeux rivés dans le vague, s’attardant sur les diverses silhouettes emmitouflées dans leur manteau. Ca ne l’avait jamais dérangé Nesryn, ce froid polaire. Parce qu’elle y avait vécu longtemps. Et Arcadia possédait un climat semblable à celui de la Suède. Doux souvenirs d’enfant remontant à la mémoire… Jusqu’à ce qu’un bruit attire son attention. Une silhouette, une jeune fille qui semblait se débattre avec… peut-être une tierce personne, peut-être elle-même, elle n’en savait trop rien la rousse. Cependant, elle s’approcha, crut percevoir un nouveau calme. L’agresseur était-il parti ? Ou était-ce encore autre chose ? S’agissait-il de membres de la Camorra alors ? Ou s’était-elle défendue seule ? Qu’importait, Nesryn n’allait plus partir maintenant qu’elle était à côté. « Pardonnez-moi, tout va bien ? » Inquiétude palpable, exprimée aussi. A voir comment l’autre réagirait…

Être égoïste pouvait sauver des vies. Sauver sa propre vie en l’occurrence. Pourtant, Nesryn avait décidé de continuer à s’intéresser aux autres, à tendre la main par instants. C’était l’altruisme enseigné par sa mère qui ressortait, dont elle cherchait à se débarrasser, ou à développer. La frayeur faisait pencher la balance dans un sens ou dans l’autre, déséquilibre constant, fil sur lequel elle se tenait, qu’elle cherchait à traverser sans jamais chuter. Néanmoins, un jour, tout ceci s’effondrerait, comme son passé. Elle avait tant combattu, tant voulu s’en sortir ces dernières semaines, qu’elle avait tout plaqué. L’argent s’était envolé, la sécurité aussi, et maintenant, elle pourrait se faire tuer à tout moment. C’était pour cela que la suédoise évitait de s’arrêter trop longtemps, d’aider son prochain. Quand on était effrayé pour sa vie en permanence, il devenait complexe d’être là pour les autres. Parfois, il fallait accepter de se choisir soi, au-dessus de tous ceux l’entourant. Mais aujourd’hui n’était pas un de ces jours où elle était raisonnable. Car, quand son regard s’était posé sur cette silhouette, non loin, elle s’était rapprochée, avait parlé, là où une part d’elle lui hurlait de fuir avant qu’il ne soit trop tard. Part qu’elle raisonnait autant que possible, en rappelant qu’emmitouflée dans sa tenue de la sorte, elle n’était pas repérable par son ancienne mafia.

Un sourire se posa sur ses lèvres. Elle se voulait rassurante dans son comportement, quand la peur la tétanisait tout autant. Douloureux équilibre à maintenir, surtout quand l’autre jeune femme réagit enfin à ses propos, plutôt violemment. Un sourcil s’arqua, les doigts s’enfoncèrent dans les poches de son manteau, tâches de sang qu’elle lancerait sur le tissu pour s’être trop enfoncé les ongles dans la chair. « Je… Vous aviez l’air en conflit avec quelqu’un. » Le regard se porta sur les environs, s’échappa avant de déclencher un quelconque pouvoir. Le stress avait toujours eu un mauvais effet sur elle, et encore plus depuis sa fuite. Un rien suffisait à enflammer l’esprit, et le jugement répondait à cette instabilité. C’était ainsi que la Camorra l’avait formatée, pour ne pas qu’elle puisse servir d’autres êtres. Vulgaires jeux de pouvoir et d’autorité, mais qui la rendaient allergique à tout cela désormais. Plus personne ne pourrait l’anéantir. « Mais il n’y a personne. J’ai dû me tromper. » Excuse sur le bout des lèvres, et elle osa enfin reposer les iris dans celles de son interlocutrice. « Vous… Vous êtes sûre que vous allez bien, que personne ne s’en est pris à vous ? »

Y’avait quelque chose qui la dérangeait. Un détail qu’elle percevait, ressentait, et les signaux d’alarme dans son esprit ne faisaient qu’accentuer tout cela. Et tant qu’elle ne saurait pas de quoi il en retournait réellement, Nesryn serait capable de s’accrocher et de suivre cette jeune femme à la trace…

Les yeux se heurtaient, cherchaient derrière les silhouettes la raison de cette sensation si étrange. Pour un peu, elle se penserait en compagnie d’un dieu, d’une divinité. Y’a quelque chose qui la dérangeait, mais finalement, il s’agissait d’une émotion différente. Néanmoins, Nesryn n’était pas une médecin, une psychiatre, et elle serait bien incapable de comprendre les personnalités qui s’affrontaient. En fait, dans les rares connaissances qu’elle possédait, cela ne devrait pas être aussi fracturé, ni aussi clair. Et la suédoise n’allait pas faire ou penser quelque chose qui lui apparaissait comme impossible. Réalité dure, mais vérité complète. Au pire, l’autre n’aurait qu’à se faire soigner, ou à prendre une dose du pouvoir qui dansait dans les iris de la jeune femme. toujours sous contrôle, elle se demandait néanmoins combien de temps elle y parviendrait.

Des propos, qui lui firent détourner les pupilles un instant. « A qui parlez-vous ? » La question était directe, mais Nesryn n’avait jamais été connue pour sa diplomatie. En fait, elle se teintait d’une maladresse normale vu qu’elle avait grandi protégée du monde, puis enfermée par la Camorra. Une tour dorée dont elle s’était enfuie, certes, mais qui restait toujours en vue.

L’autre cherchait à la rassurer, à lui dire que tout allait bien. Son agresseur était parti, pourtant, ça ne retirait pas les sensations étranges qu’elle gardait. Alors, elle tenta, certainement trop directe, d’orienter la conversation. « Vous êtes certaine que vous ne souhaitez pas que j’appelle une ambulance ou les pompiers ? » Beaucoup de formes pour pas grand-chose, mais peut-être s’était-elle aussi pris un coup sur la tête ? Cela pourrait expliquer quelques propos incohérents, quitte à faire passer Nesryn pour une folle. Ou quelqu’un qui se préoccupait d’affaires ne la concernant pas. Comme quoi, être gentille pouvait facilement se retourner contre soi.

Un bruit, léger, lointain, un regard comme posé sur eux… « Il faudrait peut-être qu’on aille ailleurs. » Elle s’inquiétait, paranoïaque depuis son départ oui. Elle s’inquiétait, peut-être plus pour elle que pour l’autre finalement….

Faisait-elle bien de rester ici ?

La question lui traversait l’esprit depuis un bon moment, plus l’autre parlait, reculait, évoquait des voix, des personnes qui ne semblaient pas exister. Un instant, Nesryn se demanda s’il ne s’agissait pas de son pouvoir à elle, du jugement qui inconsciemment avait altéré la conscience de l’autre. Et la peur la bouffe. Crise d’angoisse l’empêchant de respirer correctement, la poussant à détourner le regard, puis le visage, quelques instants. Le temps de réguler, le temps de masquer, alors que la chair la démangeait. Elle voulait gratter, mais la jeune femme lui parlait, évoquait des amis. Nouveau regard, quelque peu perdu. Amis invisibles donc. Aucun souci, tant qu’ils ne l’attaquaient pas, Nesryn s’en moquait un peu. « Très bien, ils sont sympathiques ? » Oui, autant changer cela en discussion tout ce qu’il y avait de plus normal. De toute manière, rien n’était commun à Arcadia. Entre les dieux, les créatures, les mortels dont les dons étaient parfois plus puissants encore… Parler à des formes inexistantes ne lui apparaissait même pas étrange.

« D’accord, pas la police, pas les pompiers si vous ne voulez pas. Mais il faut partir quand même. » Partir, maintenant. Tant pis pour les soins, l’aide que l’autre ne voulait pas. Cependant, elle ne pouvait pas la laisser alors que des hommes de la Camorra traînaient potentiellement dans les environs. Il était possible qu’une divinité apparaisse, perçoive un quelconque pouvoir en cette inconnue. Si jamais cela s’avérait exact, comment la suédoise pourrait-elle vivre en sachant que c’était à cause d’elle qu’une fille avait fini à nouveau dans leurs griffes ? Ah, fieffée empathie, que ne ferais-je pas sans toi ? Nesryn refusait de laisser quelqu’un tomber dans la mafia, ou dans une autre organisation. Elle avait mis tant de temps à en sortir, et aujourd’hui, la voilà traquée, à jamais. Même partir à l’autre bout du monde ne serait pas suffisant pour leur échapper. La mafia italienne était présente partout dans le monde, et si on y ajoutait ces histoires de dieux, il était possible que toutes les branches soient liées d’une manière ou d’une autre.

On attrapa son bras, et la course commença. De longues minutes, jusqu’à ce que le souffle ne suive plus. Elle finit par ralentir, poussant l’autre à en faire de même. « Attends… » Deux profondes inspirations, et une quinte de toux incontrôlable. « Pourquoi tu fuis la Police ? » Etait-elle à ce point corrompue ? Si oui, l’avenir s’annonçait bien plus noir que prévu…