La file d’attente ne dissuade absolument pas Dmitri. La jeunesse plus ou moins dorée qui trépigne d’impatience à l’idée d’entrer dans l’établissement lui tire un léger sourire. L’époque où il sortait lui-même entre amis est si lointaine…
« C’est vraiment ce que tu veux ? »
Le fantôme qui l’accompagne acquiesce avec excitation. Il sautille sur place depuis l’instant où l’ex-caporal a accepté de l’emmener au Carmine. On dirait un enfant. Rectification : c’est un enfant. L’homme soupire. Mais au fond de lui, il serait presque content. Le silence accusateur de Roann a duré une longue semaine. Une bien trop longue semaine. Pour une pipelette comme lui, cela relevait surtout du miracle qu’il parvienne à se taire si longtemps. Leur réconciliation n’avait qu’une condition : Dmitri devait permettre à Roann de vivre tout ce qu’il avait manqué de son vivant. Des œillades curieuses lui brûlait la nuque tant elles se faisaient insistantes, privées de toute retenue. Il faut dire qu’il faisait sans doute un peu tâche au milieu de cette jeunesse. Lui avec sa presque cinquantaine… Il demeurait toutefois plutôt très bien conservé, il faut l’avouer. On s’accordait souvent à lui enlever cinq bonnes années. Et l’armée lui avait fourni un corps exemplaire, taillé dans le muscle. Il se savait plutôt bel homme et aimait en jouer autrefois. Ici nul besoin de cela. Ni même d’attendre pour entrer dans le club. Il se dirige d’un pas engageant vers l’entrée, passant ainsi devant tout le monde. Une personne se permet de protester en lui attrapant le bras. Une seule. Le regard que lui renvoie l’ancien militaire suffit amplement à lui faire lâcher prise. Il acquiesce devant la docilité du révolutionnaire et salue silencieusement le videur.
Une poignée de secondes plus tard, Roann et lui sont au cœur de la boite de nuit. Il y fait sombre et sans doute que la musique doit battre son plein.
« C’est débile. Comment veux-tu que je danse ? Je n’entends même pas »
« C’est l’histoire d’un sourd dans une boite de nuit ». On dirait une mauvaise blague… Bougonnant, il rajuste sa chemise blanche qui épouse à merveille son torse et cherche du regard de quoi se désaltérer.
« Tu entendrais si tu me laissais te posséder… »
« On en a déjà parlé. Fini les possessions. »
« Tu me dois bien ça. »
Bam. En plein cœur. Comme à chaque fois. Ce chantage ne va-t-il jamais finir ? Dmitri s’accoude au bar et commande un whisky pur malt. Il prend garde à ne pas se tourner avec trop d’évidence vers Roann. Il est le seul à le voir et s’il pouvait garder un semblant de dignité et ne pas passer pour un fou… ce serait plutôt cool.
« Juste une danse… » Supplie le garçon.
Le quarantenaire l’écoute à peine. Son regard bleu vient de tomber dans celui envoûtant d’une jeune femme. Il sentait depuis un moment une attention sur lui. Voire même une intention. Si jusqu’ici il n’avait réussi à percevoir qui, il ne faisait à présent aucun doute qu’il s’agissait de cette jolie brune. Elle l’avait totalement happé. D’une simple œillade. Verre suspendu en main, lèvres entrouvertes, il lui semble impossible de ne pas aller à elle. Et pourtant son corps ne répond pas.