Il ne savait pas l'heure, juste que celle-ci était encore décente. Jan leva la tête d'un dossier plutôt épais pour regarder l'horloge puis soupira avant de se rappeler que cela ne servait à rien : Jules était elle-même en déplacement alors elle ne viendrait pas le gratter derrière l'oreille pour voir ce qui ne convenait pas au lion.
(en vérité il avait envie d'un café même si cela n'était pas dans le rôle de son associée de l'amener).

L'homme se leva donc tout seul comme un grand, la chemise à peine froissée et l'air aimable (non) comme toujours. Il sortit de son bureau personnel pour aller dans la cuisine commune et commença à remplir la cafetière après la mise en place d'un nouveau filtre. Dehors, le jour encore. Oui, l'heure était tout aussi humaine que décente et la journée de travail, pas encore terminée. Jan compilait les dossiers des affaires classées pour leurs archives, un travail long, fastidieux, abrutissant parfois. Il avait les narines emplies de l'odeur de poussière, de papier, et d'encre sèche. D'ici quelques heures, le Lion en oublierait jusqu'au parfum délicieux d'un rôti sortant du four, monde de merde...

Quelqu'un entra, la porte ne grinça pas puisque Jan l'avait huilé la semaine dernière. Bien, une bonne chose, cet effort avait donc servi à quelque chose. L'homme se retourna, tasse vide à la main, pour faire face à un inconnu. Rien de transcendant : son métier l'amenait à faire face à des gens qu'il ne connaissait pas après tout et le lion n'avait pas le caractère timide de quelqu'un pouvant vite être effarouché.
Il catalogua néanmoins ses souvenirs : avait-il déjà croisé ce garçon quelque part? Non, lui disait sa mémoire. Généralement, celle-ci se montrait fiable mais personne n'était à l'abri d'un faux pas.

”Bonjour.” Oui, Jules avait réussi à lui faire entrer dans le crâne qu'une interaction sociale commençait bien plus facilement avec ce mot. ”Je peux vous aider?”

Il se saisit de la cafetière néanmoins pour enfin se verser une tasse. ”Enfin après mon café, bien entendu...”

Parce que Jan avait des priorités et assez mauvais caractère pour se le permettre (non encore une fois).
La première gorgée fut un délice, il regarda le garçon et le relança.

”Alors, vous avez besoin de quelque chose?”

En silence, Jan écouta le jeune homme. Les seuls gestes que semblaient avoir l'homme étaient ceux de lever sa tasse, de boire. Du café, rien que du café, le Lion ne correspondait pas au cliché du détective rajoutant toujours quelques litres de whisky ou d'alcool fort dans chacune de ses boissons. Un instant, Jan eut le regard dans le vague, entre deux explications de Calix comme s'l regardait quelque chose de soudain par trop lointain.
Il reposa la tasse vide sur le comptoir finalement, s'il portait un grognement en lui celui-ci ne prit pas la peine d'éclore.

”Je vois...”

La voix rauque ne laissait rien transparaître au premier abord alors qu'il tournait finalement la tête pour planter ses yeux à nouveau dans ceux de son cadet. Certains prédateurs clouaient sur place leurs proies ainsi, parfois...
Il ne haussa pas le ton, cela n'était pas la peine. Hurler de rage, Jan le faisait peu, on pensait à lui comme à un gentleman de la vieille école, à l'opposé des frasques d'un dandy. Quelque chose d'un autre temps, d'un autre lieu.

”Vous avez dû lire la plaque de l'agence : j'ai déjà un associé. Qui plus est nous ne prenons pas de stagiaire, quand bien même je doute que cette position vous intéresse.”

Et Calix demandait à apprendre de la ville, terrain de chasse du Lion qui y menait ses propres enquêtes, lieu de vie également du peu de personnes qu'il considérait comme proches à ses yeux. Cela sentait le conflit territorial à plein nez quand bien même Calix ne désirait nulle bagarre.

”Qu'est-ce que vous attendez de ce métier, jeune homme? Si vous n'êtes pas là pour me faire perdre mon temps, allez aux informations essentielles. Je n'ai toujours pas votre nom d'ailleurs.”

Un demi sourire comme pour retrousser les babines, montrer les crocs un peu, juste un peu. Il ne semblait pas à Jan voir autre chose en Calix, une aura capable d'attirer son regard, faire comprendre au Lion que l'inconnu pouvait posséder un autre visage encore. Cela n'empêchait pas une certaine méfiance d'être...

”Et avez vous déjà pratiqué, avec ous sans licence?”

Lui-même après ses années au barreau et la décision de tout plaquer avait eu le tutelage d'un vieux connard sur le départ. C'était à lui que Jan avait racheté les locaux d'ailleurs, pas forcément quelqu'un de pourri mais de la vieille école, inapte à toute modernité. Depuis, il avait pris sa retraite avant de partir pour la Floride et de commencer une nouvelle vie là bas en se mariant avec une femme plus jeune de vingt ans. Comme quoi, les miracles...
Chaque année, Jan recevait une carte de sa part pour les fêtes.

Calix pouvait mal prendre les questions du lion, penser que Jan doutait de sa compétence dans le métier. Parce que Jan les lançait avec la brutalité d'une morsure comme à son habitude... Il questionnait juste cependant : Calix était détective, que cela lui plaise ou non, reconnu donc par l'état et avec une carte officielle. Quant à savoir quel visage humain se cachait derrière ce métier...