Le gymnase – énorme bâtisse reléguée au fond d'un cul-de-sac – dans lequel les
Lizzies s'entraînaient embaumait la cire, la sueur et les déodorants bon marché. Les patins claquaient contre le parquet, glissaient et crissaient à chaque nouveau tournant un peu trop sec, et les cris étouffés qui peuplaient l'atmosphère se réverbéraient jusqu'au haut plafond de tôle froissé. Aujourd'hui, point de match. L'équipe de Pya s'entraînait simplement, divisée en deux, adversaires pour le temps de quelques courts jams.
Les
Lizzies appréciaient Pya, de façon indubitable. Toutefois, toutes s'accordaient à dire qu'elle représentait le boulet de l'équipe. Pya ne frappait pas là où il fallait, ne bloquait pas toujours correctement, ne se montrait pas assez agressive. Même en tant que jammeuse, elle n'était pas assez rapide. On l'acceptait parce qu'elle savait vous remonter le moral, même lors des crises les plus graves, même lorsque vous veniez de voir anéanti sous vos yeux tout espoir d'atteindre la finale,
toujours. Cependant, c'était également la raison pour laquelle on lui avait confiée la garde de Nicola Bellandi, lorsque celle-ci s'était présentée, quelques mois plus tôt. Elles avaient tout de suite flairé une aura similaire à celle de Pya, trop douce pour le roller derby, et n'avaient pas voulu s'embarrasser à apprendre une nouvelle fois des règles à quelqu'un qui risquait de ne pas rester parmi elles très longtemps.
Pourtant, Nicola tenait bon, elle s'accrochait, le corps crépitant d'énergie, débordant du besoin vif de se défouler, d'en découdre. Pya l'appréciait pour ce simple fait ; qu'elle continue là où les autres espéraient la voir échouer. Bien évidemment, elle l'appréciait aussi en raison de ses nombreuses autres qualités – sa curiosité, ce désir palpable d'apprendre, de comprendre, sa
sensibilité ; le ton noble qu'elle lui donnait aux traits lorsqu'elle s'en servait pour défendre des causes qui lui tenaient à cœur. Et aussi, cette impression qu'elle donnait, cette force qu'elle dégageait, lorsqu'elle jurait que tout allait bien, quand ce n'était visiblement pas le cas. Si ce qu'elle avait lu dans les livres et vu au cinéma ou à la télévision s'avérait exact, Pya songeait que Nicola Bellandi s'apparentait à une
amie. Sa première. Peut-être la seule. Et l'idée lui procurait toujours une source de chaleur bienfaisante dans le creux du ventre.
Cependant, pour l'heure, la blonde et la brune s'affrontaient, appartenaient à deux clans que seule la victoire intéressait – pas que Pya fasse partie de ceux-là, mais elle voulait se battre pour son équipe. Nicola tenait le poste de jammeuse, tandis que Pya avait le devoir, serrée à trois autres joueuses, de l'empêcher de passer. Casque vissé sur la tête, genoux pliés et coudes en arrière, Pya filait sur la piste, toute son attention braquée sur le météore blond qu'elle devait arrêter.
Et elle l'arrêta. Douze mètres plus loin. Un brin trop
fort.
Sa mince silhouette se heurta à celle de Nicola.
CRAC. La douleur foudroya ses membres, et toutes deux s'écroulèrent dans un enchevêtrement de bras et de jambes. Souffle coupé, pensées absentes, sa vision se parsema de tâches noires. Le trouble s'évapora au bout d'une poignée d'inspirations saccadées. Ses paupières papillonnèrent, ses sens se dégourdirent. Son corps reposait contre celui de la jeune femme. S'en apercevant, elle se redressa aussitôt sur ses avant-bras, un peu tremblante.
« Je-je suis désolée, est-ce que tu vas bien ? ». Ses prunelles dévalèrent les traits gracieux pour essayer d'y déceler des blessures, puis revinrent se porter sur les orbes pâles. Quelques mèches brunes retombaient sur les joues blanches de Nicola. Un sourire retroussa ses lèvres, lorsqu'elle les repoussa machinalement en se redressant.
« J'imagine qu'on ne sera encore pas beaucoup sur le terrain, cette année. », souffla-t-elle dans un murmure amusé.
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