Il est né dans un orgasme.

Dans les gémissements et dans des râles de plaisir, il est venu au monde une seconde fois. Sa genèse est faite de sueur, du goût du sel sur les lèvres et d’une chaleur intense pleine de promesses. Il a ouvert les yeux en laissant échapper un cri de jouissance alors que que tu avais 16ans. Tu as senti la lumière te traverser, ton corps brûler et cette vague de plaisir te submerger.

Il est né dans ton orgasme solitaire.

Dans les plaisirs d’un enfant qui ne trouvait pas de compagnons à ses amusements. Venu au monde seul, comme dans les légendes. Apparu au firmament, se créant sans l’aide de personne. Exultant sous tes propres mains, ciselant des désirs de tes propres doigts.

Il est né seul, jouissant et fiévreux.
Et 27ans plus tard, il est toujours seul mais maintenant toi, tu es réellement malade.

D’un nouveau mal, plus sombre et bien moins délicieux. Une souffrance palpable lorsque le soir, les lumières s’éteignent et que les larmes de panique remplacent les gémissements extatiques. Une douleur sinueuse, qui a le goût du sang et de la mort. De la honte et de l’abandon. Eros a peur des maux, Luca ne sait plus quoi faire pour les guérir. Car nous avons beau essayé, continuer de vivre avec furiosité, cette maladie, l’Amour ne peut la calmer. Aucun orgasme ne pourrait la supprimer.  Même celui que tu nous offres ce matin mon Amour. Même celui que tu pares de beauté et de vérité.


Les coups de bassin en rythme, les râles qui exultent et perdent de leur silence au fil des minutes. Nos mains redécouvrent ta peau, se brûlent à mesure de jouer sur ton derme comme nos pointes sur le parquet. Ça danse contre toi, ça ondule en toi. Nul besoin de musique quand les corps s’entrechoquent et créés une ritournelle parfaite. Plus de mots, plus d’humain, c’est Eros qui contrôle, Eros qui te possède ce matin Sam.  Et tu le sais parfaitement mais tu n’arrêtes pas. Pourtant, tu le devrais mon Amour, stopper la déflagration divine qui se joue en toi.

Il est né dans mon orgasme solitaire et c’est dans ton silence que je m’en irais Sam.
Car au fond, je sais que l’homme devra un jour se taire. Alors ne t’accroches pas trop Samuel, je suis né seul et c’est seul que je disparaitrais.

Mais le silence n’est pas pour ce matin.
Notre esprit, notre coeur, tout en nous explosent. La carcasse humaine se vide de toute notre énergie et tu es le réceptacle Samuel. Nous serions humain que nous nous serions excusés. Mais lui ne l’est pas, et c’est lui qui a toujours tout contrôlé.
Souffle qui se broie contre ton dos, lèvres qui s’accrochent aux perles de sueur. Nous écoutons ta requête et retrouvons ton visage, tes lèvres, le toucher de tes mains sur nos épaules.

Je ne suis plus là Samuel. Eros se nourrit de cette vague qui lui confère un pouvoir fabuleux. Un don que les hommes nous jalouseraient s’ils le connaissaient. Celui de ne plus exister dans l’espace temps qu’est le nôtre.

Bourdonnement dans les oreilles, corps qui flambe, qui tremble, qui transpire de passion. L’humain s’accroche un peu à toi Samuel. Je les sens tes doigts qui crépitent contre ma joue. Je les aime tes lèvres qui papillonnent contre les miennes lentement et tendrement. Je sens tout ça Sam mais… Ça ne l’importe pas. Ça ne m’importe plus. J’ai pris ce que j’avais à prendre. J’ai dévoré tout ce que tu me donnais, coups de dents sur les hanches, coups de griffes dans le coeur. Chaque goutte de plaisir, je l’ai sucé comme un vampire sur une jugulaire.

Il est moi.
Je suis lui.
Nous ne sommes qu’un.

Je t’ai possédé Samuel.
Et Eros est fier que ton cri de jouissance lui soit destiné.
Eros fanfaronne. Eros danse au creux de mes synapses, s’amusant des mots que tu m’offres encore et encore.

Ne m’aime pas Samuel, je t’en supplie ne fais pas cette erreur… C’est le dieu qui écoute, l’homme est trop faible. L’enveloppe est fatiguée, le coeur est chancelant, l’âme… Tachée d’or et d’argent. L’homme meurt quand le Dieu exulte.

Luca t’aime Samuel.
Mais Luca n’en peut plus.

Mon visage atterrit contre ton cou, ton odeur éveille un peu l’humain qui s’est laissé dériver sous la vague divine. L’humain s’accroche à la flagrance, à ce souffle, à ces doigts qui crépitent sur la peau.

« Je sais…

Que tu m’aimes.
Et je t’aime aussi.
Comme Eros aime le monde entier tant que le monde entier vibre sous lui.

« Tout le monde m’aime… Tout le monde…

Et se laisser envelopper par la fatigue, par la maladie qui au moindre éclat de passion, se réveille dans les instants qui suivent.

Là est ta malédiction Luca.
Aimer à en mourir.

C’est comme avoir l’impression de se noyer. Que l’eau emporte tout, empêche de voir ce qui se trame à la surface. Sentir seulement le liquide, le courant, le froid. Et le néant. Entendre des voix, des sons, des syllabes mais ne pas les lier ensemble. Sentir une main qui s’accroche, qui tremble, sans être capable de comprendre qui et pourquoi.

Puis un crépitement.
Un unique et infime crépitement qui suffit à éloigner les ténèbres et le vide.

Ressentir à nouveau les braises de la jouissance, les muscles se détendre sous l’orgasme, le coeur reprendre ses palpitations, lente litanie qui petit à petit redevient furieuse.

Boum. Boum. Boum boum. Boum.

Et ouvrir les prunelles pour retrouver la vue.
Faire des sons, des bruits.
Des mains, une…

Absence.

Où… Tourner la tête, regarder à droite. Es… Se relever, avoir l’impression d’être passé sous un trois tonnes. Tu… Se mettre sur ses deux pieds, chassant la fatigue et la douleur en un claquement de jambes.

Où es-tu.
Ne pas comprendre.
Froncer les sourcils.
Rester à demi-nu sans savoir où est l’amant.
Où es l’ami.

Où et-tu ?

Et se souvenir.
De la vague.
Des vagues.
D’Eros.
De la violence.
De la puissance.
Des mots.

De mes mots.

Chanceler légèrement, baisser la tête. Ne plus savoir… Ne plus. Non, pas lui, pas… Non. Bouger, à droite à gauche. Entendre l’eau de la douche. Foncer vers le couloir et s’arrête brusquement.

De mes mots.
De ma voix.
De ce que j’ai dis, de ce que j’ai fais.

Le souffle est bruyant, le coeur tambourinne, échauffe le corps, le brûle tout entier.

De mes mots.
De ma voix.
De ce que j’ai laissé faire.

Reboutonner mon pantalon, attraper une veste qui trône sur une chaise du salon et se stopper brutalement en regardant le canapé.

De mes…

Sortir d’ici. J’peux pas. J’peux… J’ouvre la porte de l’appartement et dégueule après trois pas, un mélange de bile et de honte. De haine viscérale et d’amour poison.

« Mr Salducci…

La voix de Michael, l’un des agents de sécurité qui s’avance vers moi et que je stoppe net d’un geste.

« Ne me touchez pas.

Deuxième vague, qui brûle la gorge, le corps, le coeur. A bout de souffle Luca, incapable d’arrêter. Quelques minutes de calme, de répit au creux des boyaux alors que le coeur lui, ne s’arrête plus.
Et se relever.

« Je…Sa…
« Monsieur ?
« Faites venir un déménageur et… Sortez moi ce … Balancez ce putain de canapé aux ordures.
« Mr Salducci, vous devriez…
« Balancez le !

Jamais autant de haine avait glissé de mes lèvres. Jamais autant de colère, jamais autant de honte.

« Balancez le et… Laissez moi.

Ce qui ne signifie ne me suivez pas dans le langage de la sécurité.

Un pied devant l’autre Luca.
Droite, gauche, droite, gauche.

Comme les valves d’un coeur, qui fonctionnent en binaire, les pieds fonctionnent par deux.

Droite.
Gauche.

Mais comment faire quand un coeur a été scindé ?
Quand une valve ne fonctionne plus ?

Droite.
Droite.

Toi, tu réussis bien à marcher avec une jambe déficiente.
Mais moi je ne suis pas toi.


J’serais pas capable de continuer avec un coeur qui est défaillant.