J'ouvre les yeux sur un monde blanc
Une silhouette se trouve à mes côtés
Je sens une main qui se glisse dans la mienne

"Je suis avec un ange ..."

Un rire vient à moi de bien plus loin. Des bribes de conversations.

"Ce type est un vrai miraculé. Deux fois qu'il échappe à la mort ! Merci de nous avoir prévenu, mademoiselle ... ?"

"...Preeti..."

Une voix blanche, ma vue se précise, elle est à côté de moi et semble extraordinairement loin à la fois.

La pièce se vide et une femme en blouse blanche tend la porte afin que la femme sorte.

L'infirmière m'attend une seconde, mais je ne bouge pas de mon siège et elle finit par partir. Je ne veux pas sortir. Je connaît cette chambre d'hôpital, et rien ne me fait réfléchir au passé.

Ne reste de respirant que l'homme à mes côté.

Un accident de la route, heureusement: je n'aurais pas supporté que ce soit ...

Les flammes hantent encore mon esprit, les sanglots me prennent à la gorge pendant que je me recroqueville, impuissante face à la réminiscence.

Je ne dois pas y penser. Je ne dois pas... Ce n'est pas réel...

La femme reste et les autres s'en vont finalement.

Elle est presque transparente et tranche pourtant dans ce décor blanc et gris.

Ma vision se précise alors que son regard se pert. Je la détaille, je ne la connais pas. Une patiente aussi vraisemblablement...

"Est-ce que tout va bien, mademoiselle ?"

À dire vrai, je ne sais pas moi-même ce que je fais ici ni d'où je viens. Comme un réflexe étrange, mes yeux cherchant son regard, je demande le plus doucement que je peux :

"Il y a-t-il quelque chose que je puisses faire pour vous ?"

La voix tranche dans la chambre à la lumière crue, au silence assourdissant.

Je ne sais pas si ça me fait peur ou si ça me rassure...

Mais le fond de sa question me fait prendre un rire.
Un rire incontrôlable,
Viscérale...
Un rire démentiel

"Si quelque chose va bien? Rien ne va, ni pour vous, ni pour moi!"

Je dodeline de la tête devant sa proposition.

"Rien. Vous n'êtes pas dieu..."

Je me renferme sur moi même encore un moment, pensant au Hiranyagarbha, oeuf matrice de toute choses:

Reprenez moi, réincarnez moi sans tarder...

Je ne supporte plus.

J'aurais tellement de questions à poser...
Que s'est il passé ?
Qu'est-ce que cette femme fait ici ?
Pourquoi a-t-on dit que j'étais mort une seconde fois ?

Mais la fragilité apparente de cette femme me cloue au silence sur mes interrogations.

Je me redresse afin de me retrouver assis.

"Je ne suis pas Dieu. Mais je peux être une oreille."

J'ai du mal à être spectateur de la tristesse de quelqu'un sans essayer de faire quelque chose.

"Dites moi tout ce qui vous ronge. Je suis là pour ça. "

Je ne comprend pas: L'homme vient de mourir pour sa deuxième fois, et il veut vraiment discuter de mes problèmes?

"écoutez, je ne sais pas ce que vous voulez savoir, mais je ne dirais pas pourquoi je suis ici."

Le silence s'installe, inconfortable, et je finis par m'excuser pour briser le silence:

"Je suis désolée. Je ne me sent juste pas en paix avec mes soucis, et je ne veux surtout pas les revivre en en parlant. Et vous? La mort n'a pas l'air de vous vouloir..."

Je me recouche dans mon lit, plus agréable.

"Aucun problème. Si vous souhaitez parler, je serai juste là."

L'idée que la mort ne veuille pas de moi me laisse songeur un instant et j'ai besoin de réfléchir un instant à la question.

"Je... Je ne sais pas. Les pompiers ont dit que j'étais resté mort pendant plusieurs minutes sur le bitume et que je me suis éveillé ensuite. Après, on m'a dit que c'était certainement une erreur de jugement. Et là, tout de suite, qu'est-ce qui m'est arrivé ?"

Malgré tout, je ne peux m'empêcher de rester perplexe.

Je reste pensive un moment, avant de répondre ce que je savais à son sujet.

"Les machines ont commencés à hurler, j'ai paniqué et appelé les infirmières. Et finalement vous revoilà parmi nous. Je n'aurais surement pas supporté d'être avec un mort de plus dans mon existence, même si vous n'êtes que mon voisin de chambre."

Les mots résonnent de nouveaux dans mon esprit malgré moi.
Il a été assassiné...
Il n'y avait que lui a l'intérieur...
Que lui a l'intérieur...

Je serre mes paumes contre mes oreilles, essayant d'oublier...

"Je vous dois donc la vie ... Merci du fond du cœur"

Depuis mon éveil, je me sens étrangement différent.
Il paraît que c'est du aux nécroses dans mon cerveau mais je n'y crois pas un seul instant.
Peut-être que cette mort-là réglera le problème.

Je regarde ma voisine perdue dans ses pensées. Elle n'est branchée à aucune machine contrairement à moi, dans notre aile, cela signifie que son problème est plus spirituel que physique. Je me redresse encore et grimace quand mon épaule se heurte à la tête du lit.

Ne sachant que faire, je me met à chanter

Je hoche la tête à mon interlocuteur et me décide à le regarder plus franchement:
Sa blouse cache les blessures qu'il a pu avoir, mais il n'est pas salement amoché...pour un accident de voiture. Des égratignures, beaucoup, et quelques bandages de ci de là.
Mais lorsqu'il essaye de se redresser, la douleur me décide à l'aider.

"Ne bougez pas, vous aller aggraver le tout! Je vais monter votre tête de lit, ça vous va?"

Je connais ce qu'il chante, et au bout d'un moment je prend la deuxième voix, plus aiguë, en duo insolite.

"Merci beaucoup, vous n'êtes pas obligé de faire ça. Je pense que j'ai eu une épaule broyée dans l'accident."

Quand elle chante à son tour, cela me fait frissonner.
A la base, je chante surtout pour apaiser les corps et les cœurs mais sa voix à elle est capable de me transporter bien au delà d'un bien être neutre.
Il me semble, avec de l'observation, que cette femme n'a pas reçu de visite. Comme moi.

"Vous avez une très jolie voix." dis-je une fois la chanson finie. "Vous vous appelez Preeti, c'est ça ? Je prononce bien ?"

"Je ne me sens obligée de rien... Vous souffrez inutilement, c'est tout."

Je redresse le lit jusqu'à ce qu'il soit presque assis, puis laisse la télécommande à sa portée pour qu'il soit maître de son lit.

Nos voix s’emmêlent et se croisent un moment jusqu'à ce que la chanson se termine. La musique, autant que la danse, était un bon échappatoire contre les entraves que ma condition me laissait, et j'étais plus sereine à présent.

"Merci, vous chantez admirablement bien de même! C'est bien ça, Preeti, et vous quel est le votre?"

"Merci ! Habituellement, je ne chante jamais pour personne à part pour moi. Je suis Kyan, enchanté !"

Je tend la main à la charmante personne à mes côtés pour la saluer de manière conventionnelle.
Cette femme semble aller mieux à mesure qu'elle s'occupe des autres personnes, c'est une chose que je peux parfaitement comprendre mais ce déséquilibre en ma faveur me gêne.

La tristesse semble se lire dans ses yeux et je veux respecter sa décision de ne pas parler de ce qui l'amène ici. Mais la conversation me manque...

"Vous êtes là depuis longtemps ?"

"Je crois qu'on a chanté pour nous-même, mais je suis heureuse du résultat, ça rendait bien... Enchantée"

Kyan... Un très beau prénom pour un garçon.
J'arrête mes pensées immédiatement lorsque le visage souriant de Nisha me reviens dans la figure.

Heureusement, l'homme est bavard:
"Je suis arrivée en même temps que vous...Nous n'étions pas éloigné géographiquement lors de nos...accidents respectifs."

Accidents.
Comme si mon bébé perdu en était un.
Comme si mon mari assassiné en était un.
La seule chose, c'était l'arc électrique qui s'est effondré sur mon propre désespoir.

"Effectivement, nous formons un bon duo. Naturellement, je n'avais jamais chanté avec personne auparavant."

Le visage de Preeti se couvre d'un voile de tristesse à nouveau. J'aurai tellement de questions à lui poser pour savoir comment la soulager de ses maux. Il faut que je trouve un autre sujet afin d'orienter la conversation loin de sa tristesse mais elle a l'air de toucher énormément de facettes de sa vie.

"La musique a l'air d'avoir une importance capitale pour vous. En avez-vous fait votre métier ?"

Je me tourne vers elle au maximum

"Alors, me voilà honorée, pour une première fois, c'est pas si mal!"

La mienne étais avec Indira et sa voix d'or, lorsque nous nous baladions dans les rues poussiéreuses de la ville qui m'avait vu naître puis grandir...puis me marier, et faire naître ma fille..
Tous les chemins de ma mémoire me ramène à ici, et maintenant...
à ce et ceux que j'ai perdu.

"Non, je ne chante pas. Mais c'est flatteur. Par contre, je danse."

Je me lève et fais quelques pas avant d'en rire et de me rassoir. ça semblait... dérisoire.

"Vous danser professionnellement ?"

Je ne sais pas de quel danse il s'agit mais vu son physique, je n'aurai sans doute pas du poser la question, et je ne vais certainement pas lui demander de danser pour moi ici et maintenant. Quand elle se lève, je me redresse en ravalant ma douleur.

"Peut-être souhaitez-vous aller faire un tour, je pense que ça vous fera du bien. Permettez-moi de vous accompagner."

Je tend le bras pour appeler l'infirmière afin qu'elle me débranche de toutes les machines. Moi-même, je deviens fou à rester enfermer ici inutilement.

"Oui, c'est mon métier et ma passion. Enfin...Pour l'instant je n'en ai aucune envie de toute évidence..."

Qu'est ce qui me donnait envie? Rien. Et ça me faisait peur... La danse avait toujours été là... Et elle avait disparue avec les cendres de ma vie.

Il ne restait rien de moi en dehors de l'hôpital.

Faire un tour? Je redresse la tête pour regarder Kyan essayer de se redresser péniblement, et m'exclame:

"Je ne suis pas sûre que vous ayez le droit de faire ça... J'ai peur de l'extérieur. Inutile donc..."

J'acquiesce sans insister mais mon inquiétude est toujours là. Le traumatisme de cette femme a l'air à vif et tellement profond que c'est comme contempler une personne à l'agonie.

Me coupant dans mes réflexions, un médecin arrive et me dit sans ambages

"Vous êtes vous lever monsieur Skoro ? Vous avez besoin du bassin ?"

"Le ... bassin ?"

Il lève les yeux au ciel et me répond comme si j'avais 4 ans.

"Avez vous envie de faire pipi ?"

Ah tiens, après l'embarras et la honte de ne pas pouvoir aider, voilà la gêne.

J'entends la poignée de la porte et chuchote, affolée:

"Ne dites rien pour moi je vous en prie!"

Je me repose dans mon lit, fige un sourire tout à fait fictif sur mon visage et prend mon visage innocent. Je ne veux pas qu'on sache, et pour cela, tous les moyens sont bons.

Mais lorsque le médecin s'approche de Kyan pour lui poser des questions indiscrètes je m'éclipse dans la salle de bain, et ce jusqu'à ce que leur discussion s'arrête.

"Alors madame Anja, comment-"

"Mademoiselle Sita, je vous prie."

Le médecin reste coit.

Le médecin note quelques trucs dans son calepin avant de sortir enfin.

J'attends quelques secondes avant de demander :

"Qu'est-ce que vous voulez cacher aux médecins ?"

Je me redresse franchement mais cette fois, la douleur ne m'atteind même pas. Je ne veux plus être inutile et être autonome le plus vite possible quitte à exagérer sur ma guérison.

"C'est dommage que l'extérieur vous fasse peur, sinon, je vous aurais bien proposé de vous enfuir avec moi cette nuit."

Je souris à Preeti pour bien souligner ma plaisanterie...
Ce que je déteste les hôpitaux !

J'ai du le déconcentrer, puisqu'il sort sans même une question pour moi, et je souffle, ôtant le faux sourire que j'ai essayé de garder autant que faire ce peux.

"Si vous ne le savez pas, c'est encore mieux, ainsi vous ne pourrez rien en dire..."

Je regarde mon voisin de chambre, surprise, avant de rire franchement.

"Vous êtes un charmeur né, non? Je compte bien sortir, d'ailleurs si je me débrouille bien je le pourrais rapidement!"

Et je retournerais en Inde, planter mon deuil là bas, et oublier ce pan de ma vie à jamais...

"Je comprends ..."

Quand elle rit à ma petite suggestion, je ressens une fierté indicible. Je l'avais au moins faite rire ! Mais par sa remarque, c'est moi qui éclate de rire à mon tour. Un vrai rire, le premier depuis véritablement très longtemps.

"Un charmeur-né ? On ne me l'avait jamais faite celle-là ... Non, rassurez-vous, vous n'avez rien à craindre de ce côté là."

Le fait qu'elle puisse sortir me rend heureux pour elle autant que triste pour moi.
Pour une fois que j'ai de la compagnie que je peux apprécier.

Kyan rit à son tour, et je fronce les sourcils.

"je ne comprend pas pourquoi. Vous êtes plutôt de bonne compagnie...Et vous n'êtes désagréable en aucun cas..."

Ni moralement ni physiquement d'ailleurs, mais je ne me permettrais pas de le dire. Je suis veuve désormais, mon regard sur un autre homme si rapidement serait indécent, même si on avait pas d'amour entre nous...
Oh Pavel, qu'est ce que tu as fait pour que cela se produise?

"Et vous, quand est ce que vous sortez? Vous en savez quelque chose? J'espère que vous sortirez bientôt!"

Je secoue la tête pour préciser

"Toute relation m'est interdite. Du coup, le fait de me recevoir ce compliment est assez déstabilisant. Je voulais juste vous voir sourire, m’enorgueillir du fait que je vous aurait fait aller mieux au moins pendant un petit moment."

"Pas désagréable" ? Voilà un autre compliment propre à me faire sourire. Au moins avec elle à mes côtés, j'en avais momentanément oublié mes propres soucis.

"Je ne sais pas quand je sortirai, probablement le plus vite possible ! Enfin, à votre instar, je l'espère. Et vous ?

Pas trop vite quand même ...