Je hausse un sourcil, curieuse de choses qui ne me concerne pas, et demande quand même:

"Des relations interdites? Pourquoi cela?"

Et mes pensées éclairent ma lanterne, et je m'écris:

"Vous êtes un homme de Dieu?"

Et dire que je le complimentais mentalement à l'instant! Je suis rouge de honte et m'incline confusément:

"Je ne voulais pas vous mettre dans l'embarras!"

Je réfléchis et espère:

"Demain au plus tôt je dirais..."

Et d'ailleurs le médecin reviens.

"Mademoiselle Sita, comment vous sentez vous?"

Il a pris en compte mon avis!

"Je vais plutôt bien, secouée surtout..."

"Quelle perspicacité, je suis impressionné !"

Quand Preeti s'empourpre, je me précipite pour la rassurer

"Il n'y a aucun problème, je vous assure. C'était juste très étonnant mais absolument pas désagréable. Et puis vous ne pouviez pas savoir..."

Déjà demain ? Je prie silencieusement pour que tout se passe bien pour elle dans sa vie future.

Finalement, le médecin revient pour poser des questions à Preeti. Il note et ne semble pas le moins du monde surpris par le bien-être apparent de la jeune femme. Serait-ce un secret, sa souffrance intérieure ?

"Ce n'était pas très difficile, peu de gens reçoivent ce genre d'exigences..."

Le médecin me pose deux ou trois questions, puis me demande pour m'ausculter. Je remarque alors ma blouse, moi qui suis habitué au sari, et baisse docilement le haut. Après tout, le médecin voyait des poitrines tous les jours, et l'homme de Dieu ne devait pas en vouloir.

"C'est parfait. Je suis stupéfait de votre forme, après l'éclair qui vous est tombé dessus et le reste... Tout est parfait, 24 heures de surveillance pour vous pourrez sortir."

Parfait, la liberté m'attend!

Alors Preeti a véritablement été frappée par la foudre ?
Je pensais qu'il s'agissait d'un jargon médical...

Après son verdict, le médecin s'approche de moi, son visage se renfrogne. Je ne suis pas une jeune et jolie indienne danseuse, sincèrement désolé.

Il m'ausculte et je ravale la totalité de mes grimaces de douleur et feint même l'ennui. Je ne supporte plus d'être ici.

"Il faudra surveiller cette épaule... monsieur Skoro.

"J'aimerai signer la décharge et sortir demain aussi, s'il vous plait."

Le médecin hausse les sourcils et acquiesce

"On verra ...

Le médecin part, et je me rhabille tranquillement.

"Pourquoi tenez vous à partir alors que vous souffrez?"

Question indiscrète, mais réelle: La douleur, je la voyais, et je n'étais pas médecin...
Je me rallonge dans mon lit, et détaille mon voisin:
Yeux fascinant, plutôt grand, fin, l'allure calme malgré le matériel hospitalier. La profession de foi lui allait certainement comme un gant.

"Depuis quand êtes vous prêtre?"

Sa discussion éloignait la peur et les images flambantes, et me raccrochait à ce constat comme à une bouée de sauvetage dans une mer déchainée. Je suis loin d'être marine...

"Quitte à souffrir, autant que je me rende utile. Et puis la douleur est suggestive, non ?"

Le fait qu'elle s'intéresse à moi est positif même si je ne suis pas certain d'être un excellent sujet de conversation.

"J'ai prononcé mes vœux vers l'âge de 12 ans... donc ça fait..."

Je calcule rapidement.

"16 ans... le temps passe vite quand on s'amuse."

Je regarde Preeti enfin habillée en souriant.

"Et vous ? Qu'est-ce qui vous a mis sur la voie de la danse ?"

Je sais, question banale mais je n'en ai pas d'autres.

"Vous rendre utile? En restant estropié d'une épaule je ne pense pas que vous seriez si utile que ça. Attendez que votre bras se rétablisse au moins..."

Et bien ...

"Vous avez pour ainsi dire donné votre vie à votre Dieu... Moi aussi, dans un sens... J'ai dansé pour leur plaire depuis mon plus jeune âge."

Bon, peut être aussi poussée par ma matriarche aussi... Mais c'était la seule chose que j'aimais profondément...Jusqu'à maintenant.

"Mais je ne sais pas si je danserais de nouveau... ça me semble si loin, tout ça, ce futur écourté..."

Sa sollicitude me touche mais je ne démordrais pas de ma décision.

"Mademoiselle Preeti, je ne suis pas un danseur professionnel. Que je sois assis, allongé ou debout ne change rien pour mon épaule et je peux continuer à me mettre au service des gens plutôt que de rester ici."

Ce qu'elle dit, je trouve cela magnifique. Nous avions, en un sens, le même métier, cette idée me fait sourire. Danser par dévotion devait être quelque chose de très singulier à vivre et très apaisant.

"Si je peux me permettre, vous devriez recommencer dès que vous vous en sentirez capable."

Pourquoi j'essaye de le dissuader si virulemment?
J'essaye de trouver de nouveaux arguments, mais n'en trouve aucun et finir par rester muette, les yeux fixés sur cet homme beaucoup trop têtu.

Son sourire me donne envie de sourire aussi, mais est ce une raison suffisante? Sa suggestion me freine, et je répond simplement en déplaçant mon regard vers la fenêtre aux volets tirés:

"Pourquoi faire? Je n'ai aucune raison et aucune envie de danser. Mes Dieux ne doivent pas me voir dans ce maudit pays..."

Je n'aurais jamais dû quitter les miens, ni mon pays...

Son regard redevient triste et me fuit même pour aller se porter bien au delà de cette chambre.
Ses mots sont péremptoires et presque blessants.

"Pourquoi faire ? Pour vous apaiser, déjà. Et pour vous sortir de cette réalité qui semble être trop dure à supporter pour vous, pour le moment."

Je ne connais pas ses dieux mais ils m'ont l'air sévère pour ne pas accepter sa présence dans un pays étranger au sien.

"Vous venez d'où, si ce n'est pas indiscret ?"

La température entre nous s'est légèrement refroidit.

M'apaiser? Comme si je pouvait ressentir de la paix...
Sa remarque me blesse autant qu'elle me met dans une colère incompréhensible, soudain et méconnaissable:

"Je crois que vous surestimez mes compétences. Je peux danser, pas faire des miracles. La paix a disparue de mon esprit, et la seule chose qui me reste c'est mon pays qui m'a trop attendu."

La question me calme un peu et je murmure:

"L'Inde. Mon teint de peau et mon accent particulier aurait pu vous éclairer sur le sujet...Mais peut être ne faites vous pas attention à ce détail."

Je lève les mains en défensive.
Sujet à nouveau sensible, c'est noté.

"Je suis désolé. Je ne voulais vraiment pas vous blesser."

Le ton pris par la suite est plus calme mais toujours teinté d'une certaine agressivité. La dernière remarque est limite vexante. Je prend sur moi cependant.

"Bien sur, j'avais remarqué. Mais je préfère demander directement que de préjuger. Vous auriez pu vous revendiquer d'un autre pays que celui de votre origine. Moi aussi j'ai l'impression d'être étranger partout, y compris dans mon pays de naissance."

Je souris cependant, compatissant.

Je prend du recul, souffle un coup, et me rend compte que mon agressivité est inutile et gratuite. Je me tourne alors vers mon voisin de chambre, cet homme si patient à mon égard, et murmure:

"Excusez moi...Je crois que j'ai besoin de repos... Je n'arrive pas à me faire à l'idée que j'ai tout perdu. Vous me pardonnerez mon écart, je l'espère..."

Il est étranger? Qui l'eut cru?

"Je pensais que vous étiez américain. Comme quoi... D'où venez vous? Vous n'avez pas d'accent pourtant... Vous êtes ici depuis longtemps?"

"Il n'y a aucun soucis, je peux comprendre. Je vous l'ai dit, je suis là pour ça. Si vous avez besoin d'une oreille attentive, vous savez où me trouver."

Tout perdu ? Tant de questions me viennent. Cette femme est blessée de l'intérieur autant que moi de l'extérieur. Ces blessures sont plus douloureuses et infiniment plus dures à soigner.

De l'Amérique, j'en ai la nationalité, à peu près au même moment que je suis entré dans les ordres. Du coup, un peu plus d'une demie-vie pour moi... Quant à où, essayez de deviner."

Devrais-je lui en parler? Après tout, peut être que son "oreille attentive" pourrait faire sortir les visions que je revis chaque instants...

"Savez vous gardez un secret? Je suis sûre que le commun des mortels vous donnent les leurs mais je ne veux pas que celui ci tombe dans l'oreille d'aucune autre personne, y compris de votre clergé. Je peux compter sur vous?"

Je réfléchis un moment seule avant de demander:

"Ai je droit de vous demander de parler votre langue originelle, si vous la parlez évidemment?"

Europe sans nul doute, mais pour le reste... Nord? Est?

La conversation devient sérieuse.

"Bien sur, jamais je ne trahirais votre confiance, dites moi tout." je dis en baissant la voix.

Je souris à sa demande, étant donné que je n'avais plus mon accent, c'était très fair play même si officiellement, c'est une langue qui n'existe plus.

"Nadam se da će zlo koje jede na vas nestati... Preeti"

C'est tellement étonnant de parler à nouveau cette langue qui semble venir d'outre tombe pour moi. Un mélange de mélancolie et de paix m'assaille.
Je dois rester focalisé sur son bien-être.

Je plonge mes yeux dans ses yeux pour n'y lire que de l’honnêteté. La boule au ventre, et me rallonge, fermant les yeux, énonçant comme elles viennent les images qui me hantent.

"Il y a des gens dans la rue. La scène est orange. Ma maison est en flammes, et les pompiers peinent à éteindre l'incendie.
Il y a un corps, un seul...
Il n'y a pas Nisha.
Nisha a disparu...
Elle n'était pas dans la maison..."

Mon corps se crispe. Je ne respire plus...! Et malgré cela...
Mes lèvres sifflent:

"Ne leur dites pas..."

Sa révélation est trop forte. Confusément, je comprend qu'elle a perdu quelqu'un et que son enfant manque à l'appel. C'était terriblement prétentieux de ma part de croire que j'aurais pu la soulager.

Sans même y penser, je me suis levé et me suis agenouillé près de son lit. Je n'ai même pas ressenti la douleur. Je prend la voix la plus calme et douce possible.

"Calmez-vous, regardez-moi. Je ne dirai rien..."

J'ai l'impression qu'il faut que cette histoire sorte.

"Que s'est-il passé ensuite ? La foudre ?"

Le manque d'air me pousse à m'asseoir, cherchant vainement les molécules d'oxygène que mon corps refuse de prendre.

J'ai peur, et prend vivement le poignet de Kyan, tandis que mes lèvres qui se cyanosent peu à peu tentent toujours de lui passer le message de ne rien dire.
Tant pis: Je mourrais et rejoindrais les miens avec le soulagement de ne plus avoir ses pensées dévastatrices.

Et au bout de quelques minutes, mon corps lâche, et mon esprit s’éteint: un malaise nécessaire pour faire lâcher l'esprit, tandis que mon cerveau reptilien me refais respirer...

Voyant Preeti prise de convulsions, je sonne les médecins avec le bouton d'urgence.

Ne les voyants pas arriver, je palpe son poignet à la recherche de son pouls que je trouve terriblement rapide et arythmique.

Puis, d'un coup, son corps se détend, sa respiration se calme. A ce moment là, les médecins arrivent, me voyant hors de mon lit, pratiquement couché sur ma voisine de chambre.

"Que s'est-il passé ?"

Ne rien dire ...

"Je crois qu'elle s'est évanouie d'épuisement. Pardon, j'ai eu peur..."

Les médecins l'examinent et s'assurent qu'il n'y a rien en me passant un savon.

"Mademoiselle?"

J'étouffe un grognement devant la lumière du jour: qui a ouvert les rideaux?

"Je suis réveillée."

"Il semblerait que vous ayez fait un malaise hier d'après votre voisin. Est ce que vous vous sentez bien?"

Je regarde le lit d'à côté. Aurait-il rompu sa promesse?

"Je me sens très bien, je me suis assoupie sans m'en rendre compte... J'étais exténuée."

Sourire de façade. Ce n'est pas nature de mentir aussi bien, mais je ferais tout pour partir...

"Je vois. Et bien je suppose que vous pouvez partir aujourd'hui en ce cas!"

J'attends que le médecin d'en aille avant de glisser discrètement à ma voisine

"Je suppose qu'il est inutile que j'essaye de vous convaincre de rester mais vous m'avez fait peur hier."

Soulevant une main comme pour la saluer, je montre à Preeti mon entrave qui a été placée afin que "je n'embête plus mes voisins de chambre". Et visiblement, être prêtre ne suffit pas à convaincre que mon geste n'avait rien de sexuel.

"Comment vous vous sentez réellement, aujourd'hui ?"

Véritablement, je m'en fais pour cette femme.

La voix soudaine me fait sursauter.

"Je vous croyais endormi. Je suis contente que vous ayez gardé votre promesse."

Comment je vais? J'ai peur, je suis épuisée, j'ai tout perdu... Ce n'est pas suffisant?

"J'ai envie de rentrer en Inde plus que tout autre sentiment. Et vous? Désolée que vous soyez entravé par ma faute...Je leur dirais quand ils reviendront que vous n'êtes pas dangereux pour moi."

Je lui en suis vraiment reconnaissante de n'avoir rien dit quitte à être cloué au lit. Mais si je part, ça ne durera pas très longtemps...

"Je garde toujours mes promesses, vous aviez l'air de tenir tout particulièrement à celle-ci."

Mon corps entier semble lourd, l'entrave ne m'a pas aidé à dormir. Sa proposition me fait avoir un sourire amer.

"Vous ne comprenez pas, ils pensent que je vous ai agressé sexuellement. Peu importe ce que vous allez leur dire."

Je tourne la tête vers Preeti, un sourire las aux lèvres d'avoir du m'expliquer et me battre toute la nuit.

"J'ai cru comprendre que vous partirez vers midi. Je vous souhaite un excellent retour en Inde."

Je suis atterrée en comprenant ses paroles: ils pensent qu'il a profité de mon inconscience pour...?

La sidération fait place à la colère: cet homme avait protégé mon secret et payait un prix qu'il n'avait pas mérité. J'appelle donc l'infirmière, et lorsque le médecin arrive je dis de but en blanc:

"Je veux un examen gynécologique attestant que mon voisin ne m'a fait aucun mal. J'atteste ne ressentir aucun mal venant de lui, ni physique, ni mentale, et je ne supporterais pas qu'on le prive de sa liberté pour une présomption ridicule."