La réaction de Kyan me fait redescendre soudainement. Pourquoi cette sériosité, et pas de joie? Je suis un peu déçue, mais écoute avec attention ses mots solennels.

Sa phrase est bizarre, et je fronce les sourcils d'incompréhension, confuse.

"Qu'est ce que tu veux dire?"

Un officier? Quel rapport avec ma sortie? Ais-je fais quelque chose de mal? Et si...
Nisha...? Je m'écris:

"Ils ont retrouvés Nisha?!"

Avant même d'avoir la réponse, je me lève brusquement, met mon manteau avec maladresse et me rapproche de lui, vérifiant que mes cachets sont là, prudente.

"Allons y alors!"

Son visage si joyeux devient grave soudainement et je le regrette.
Je n'ai pas parlé à Preeti de mes rêves, de cet espoir insensé que j'avais depuis ce matin où je me suis senti changé.
A présent que nous arrivons enfin à LA réponse, je suis épuisé d'avoir tant cru.

Je prend la main de Preeti dans la mienne, je ne veux pas qu'elle se fasse de faux espoirs.

"Je ne sais pas ce qu'ils ont comme nouvelle, ils n'ont pas voulu me le dire. Je sais juste qu'ils veulent te voir de toute urgence."

De joyeuse, je deviens anxieuse, et suis docilement Kyan jusqu'au poste. Comme l'extérieur semble lointain après tout ce temps passé à l'asile.

Le commissariat est toujours le même que quand je suis rentrée, mais me laisse un stress supplémentaire.

l'agent qui nous accueille nous envoie directement vers un de ses collègue dans un bureau, et je reconnait l''un de ceux qui était chez moi la dernière fois que j'étais dehors.

"Madame Sita, comment allez vous? Nous avons quelques informations pour vous, mais tout d'abord j'aimerais m'assurer de votre état de santé..."

Ma pauvre Preeti semble terriblement stressée et mon manque d'enthousiasme a du exacerber cette état. Je laisse donc ma propre nervosité de côté jusqu'à glisser ma main dans la sienne et attraper son regard avec le mien.

"Tout ira bien."

Je ne lâche pas la main quand nous entrons dans le bureau.

"Vous sentez-vous de vivre une vie indépendante après votre séjour à l'hôpital ? Aurez-vous besoin d'assistance ? Je vous assure qu'il n'y a aucun mal à nous le signaler, cela ne changera que la procédure."

Ma main se serre autour de la sienne.

Enfin un signe rassurant. Je donne un regard affectueux à mon chéri, serrant sa main pour me donner du courage, puis, après une inspiration profonde, je répond:

"J'ai perdu mon mari et ma maison, et ma fille a disparu. Je me suis pris un éclair sur la tête. J'ai été hospitalisée, internée. J'ai été mal. Cependant, j'ai avancé. Je suis fragile encore, je l'avoue, mais j'ai du soutien moral et physique, et je me soigne sans difficulté. Je suis stable, je me sens bien... Je vais de l'avant. De quelle procédure parlez vous?"

La réponse de Preeti est parfaite, honnête et touchante. Le policier se détend au fur et à mesure des réponses. Finalement, il se redresse et ouvre un dossier devant lui et sort des photos, celle d'un bébé qu'il tend à Preeti.

"Reconnaissez-vous cet enfant, mademoiselle ?"

Devant lui, d'autres photos d'enfants, plus âgés. Il s'agit très probablement d'un test pour voir si Preeti serait apte à reconnaître aujourd'hui Nisha. J'évite de monter mon impatience.

"Je ne peux pas vous répondre tout de suite. Vous en saurez plus quand l'assistante sociale sera là."

L'agent me donne des papiers glacés, et je me fige: le visage foncés aux yeux profonds du bébé me met les larmes aux yeux avant même de pouvoir prononcer un mot.

"Comment pourrais je ne pas reconnaître mon enfant?"

D'autres photos montrent des jeunes enfants, et je lance un regard perplexe à l'agent. Le but de ce petit jeu m'agace.

"Mon enfant a été kidnappée il y a plus de six mois. J'en souffre,et suis contre la torture psychologique. Ma fille est sur cette photo ci."

Le bracelet et ses yeux ne trompent pas...

Preeti commence à être impatiente et de l'agacement vient teinter ses propos.

Après un moment, le policier soupire et se lève.

"Mademoiselle Sita, ça va être un choc : il y a eu un témoin de l'enlèvement."

Il passe derrière nous et ouvre la porte en nous invitant à le suivre.

"Nous avons retrouvé la coupable, elle est en attente pour son procès. Votre fille est saine et sauve, seulement elle va a probablement avoir du mal pendant un temps."

Le commissaire se place à côté d'une porte et invite d'un geste Preeti à entrer.

L'agent et moi nous restons silencieux un moment, puis j'essaye de contenir l'information qu'il me donne.

Du. Calme.

"Un témoin? Est ce que je peux le voir?"

Mieux que ça: une coupable... ça voudrait dire que...?

L'homme nous emmène jusqu'à une salle où je m'avance, mortifiée. Une dame tient ma petite, rassurante. Un pieu dans mon cœur, mais je ne veux pas heurter mon enfant.

"Nisha?"

Les yeux ne répondent pas à ma voix. Elle ne se rappelle pas de son prénom? Je souffre... Puis demande son prénom qu'on lui a donné.

Quand elle formule sa demande, l'agent ne peut s'empêcher de me regarder.

La porte s'ouvre et alors je vois la fille de Preeti pour la toute première fois, adorable petite calme dans les bras de l'assistante sociale, celle-ci dit d'une voix rassurante en donnant l'enfant à sa mère.

"La femme l'avait prénommée Déva, mais je vous conseille de garder son nom d'origine. Ne vous inquiétez pas, votre lien se fera à nouveau, il vous faudra du temps."

Je pose une main sur l'épaule de Preeti.

"Pouvez-vous nous laisser seuls ?"

Avant que je ne l'ai vu venir, la petite se retrouve dans mes bras. J'ai soudainement peur qu'elle ne me reconnaisse pas (après tout, elle avait autant vu sa kidnappeuse que moi...), qu'elle me rejette...
Mais elle me regarde fixement, muette.

Nous sommes dans une bulle imperméable au reste du monde, et il faut que je me connecte à elle.
Que faire?
Lentement, mes genoux me lâchent, et je nous assoient sur le sol, contemplatives l'une de l'autre.

Et finalement, une chanson me reviens, lui montrant nos bracelets.

"Munna Bara pyaara ammi ka dulaara..."

"Il nous faudrait juste un numéro de téléphone et l'adresse où elle vont habiter."

"Est-ce qu'on peut voir ça plus tard ?"

"Bien sûr"

Et nous voilà enfin seuls.

Je m'assois à côté d'elles, la tête en arrière contre le mur à écouter religieusement la chanson. Mes yeux brûlent atrocement et deux larmes en jaillissent quand je les ferme. Je suis épuisé autant que soulagé, et par dessus tout, je me demande ce qui va advenir à présent. Preeti voudra-t-elle de moi dans sa vie maintenant ?

"Est-ce que tout va bien, Sanam ?"

Nisha pleure, et je pleure avec elle. La chanson est courte, ma voix tremble, et ce n'est que quand elle s'arrête que la petite pose sa petite main contre la mienne avant de se blottir.
Pas une phrase, mais juste une acceptation.

Je lui murmure des mots doux en hindi, caressant doucement son bras, gardant une distance pour ne pas m'effondrer ou secouer Nisha.

Ma Nisha...

Kyan s'adresse à moi, et je me tourne vers lui brusquement. Je suis encore dans le choc...

"Kyan chéri... C'est trop pour les mots. Merci de m'avoir prévenue..."

Quand son regard rejoint le mien, j'essuie vite fait mes larmes.

"Je t'en prie, Preeti."

Comment douter du lien de parenté à présent que je les vois les deux réunies ? Je détourne le regard, de nouvelles larmes font leur apparition.

"Si tu ne sais pas où dormir, j'ai mon frère qui me laisse son appartement pour les prochains mois."

C'est ça, Kyan, retrouve ton côté pragmatique pour éviter d'être émotif...

"Et il faudra qu'on aille faire quelques courses, le logement n'est pas baby proof."

En espérant que cette histoire de témoin ne revienne pas sur le tapis, je tend la main à Preeti.

Kyan me montre son soutien, et je remarque ses yeux vitreux. Il est aussi ému que moi, et je comprend que la distance qu'il met entre nous est pour me laisser le temps avec ma fille.

Je lui glisse deux mots à l'oreille, et elle dépose ses yeux sur l'homme dans la pièce.

"C'est très gentil mon chéri, tu remercieras ton frère. Je lui payerais un loyer, s'il le faut, et me trouverais un appartement bientôt. Et... Est ce que tu accepterais de vivre avec nous? Après tout, tu es toujours avec moi à présent..."

Elle accepte l'invitation et cela me rassure beaucoup.
Quand elle me pose sa question, je ne peux m'empêcher mon regard d'être sincèrement reconnaissant.
Bien sur, je pourrais me convaincre que c'est par conviction, ce sera pour l'aider avec les crises, mais ce serait du pur mensonge.

Je l'aime et j'ai envie d'être avec elle.
Avec elles.

"Avec plaisir. Je ne sais pas vraiment m'occuper d'un bébé par contre mais je ferai de mon mieux."

Je quitte Preeti un instant pour donner les derniers renseignements avant de la rejoindre à nouveau.

"Nous pouvons y aller quand tu veux."

J'arrive enfin à sourire lorsqu'il accepte. Enfin: nous allons vivre ensemble pour de vrai.

"ça n'est pas opposé à ta religion? à ton métier?"

Je me retrouve seule avec Nisha un instant, et nous faisons un calin doucement, en silence. Pour l'instant, mon bébé n'a toujours pas dit un mot. Normal? Ou inquiétant?

Kyan revient, et j’acquiesce. Plus vite nous serons dans un environnement normal et stimulant, plus vite Nisha sera épanouie. Une famille sans problème, c'est ma seule demande.

Je me sens un peu perdue, mais avec l'envie d'avancer ensemble.

Ma religion et mon métier ? Bien sûr ! Aucune règle n'acceptait que je vive avec une femme. Gêné, je me gratte l'arrière de la tête.

"C'est qu'avec mon manque d'assiduité ces derniers mois, j'ai été dépossédé de mon devoir de prêtre..."

Je souris à Preeti avec une grande sincérité.

"Mais ça valait le coup, Sanam. À présent, je ne suis là que pour toi."

Pas autant qu'elle était là pour moi. Que serais-je devenu si elle ne m'avait pas canalisé ?

"Allons y. Une journée d'achat bébé nous attends."

Je fais des yeux ronds.

"Mais... Pourquoi tu me l'a pas dis?"

Il a perdu son travail... à cause de moi. Je me sens coupable...

"Depuis quand ? Tu ne veux pas demander à une autre paroisse de te prendre? ça ne te manque pas?"

Penser que ça puisse être le cas me fais très peur, mais je me dis que maintenant que Nisha est là, rien n'est impossible.

Nous nous rendons donc dans un magasin pour les affaires de ma chérie, qui se met à babiller après une ou deux heures en notre compagnie, retrouvant sa place familiale.

"Ce n'est pas ta faute. C'est par choix."

Nous achetons le nécessaire pour accueillir Nisha dans le logement dans de bonnes conditions. Enfin, nous découvrons le grand appartement ...

Nisha endormie, je prend Preeti par la taille.

"Embrasse-moi, Preeti."

Quelque part, dans les tréfonds de mon subconscient, quelque chose me disait que cette demande n'a rien de nouveau.

"Qu'est-ce que tu m'as fait, Sanam ?"

Et à présent ? Que va-t-il se passer ? Je suis prêt absolument à tout à condition que c'est avec toi.

L'appartement est parfait pour une nouvelle vie, et, le lit provisoire déplié, Je dépose ma précieuse endormie à l'intérieure, encore choquée qu'elle soit enfin dans mes bras.

Je me blottie dans les bras de Kyan, mais sa demande me fige. Est ce qu'il est conscient?

Mais finalement, avec une fébrilité nouvelle, je dépose mes lèvres sur ses lèvres, avant de prendre un petit recul pour voir sa réaction.

"Je suis désolée, quoi que j'ai pu te faire, mon Ange. J'espère ... Que tu ne m'en veux pas."

Tant que tu veux encore de moi...

J'ai un sourire en coin. Elle m'a embrassé ! Me voilà aux anges.

"Pourquoi tu t'excuses ? Je veux juste savoir ce que tu m'as fait... ou ce je t'ai fait..."

Confusément, je sais que quelque chose à déclenché ces souvenirs. Pendant un long moment, j'ai essayé de me convaincre que ce n'était que mon sommeil enfin retrouvé mais définitivement c'est passé par ... elle.

Comme pour m'en convaincre, je prend les devants et embrasse doucement Preeti.
Oui, quelque chose s'était définitivement passé.

Bon sang, ce que je peux aimer cette femme...

Ce que j'ai fait? Ce qu'il a fait?
Je ne comprend pas vraiment ce qu'il attend de moi...

J'attends quelques secondes avant de lui poser la question tellement bête que mon esprit m'impose:

"C'est la première fois qu'on s'embrasse?"

Et s'il n'était comme ça que lorsqu'il sommeille à moitié? Si finalement tout ce que je pensais être notre couple n'était qu'un rêve pour lui?
Je regarde Nisha posée dans son lit. Pas un bonheur sans une part de tristesse, c'est ça?

J'aimerais qu'il sache...

"Pour moi, oui, mais ce me semble que ce n'est pas le cas pour toi."

Tellement de choses ont échappées à mon contrôle ces derniers temps. Je suis ravi que ce soit le cas pour ça aussi.

Quelque chose trouble le regard de Preeti qui se tourne un instant vers son enfant. Je passe une main sur sa joue pour remettre une mèche derrière son oreille.
Ne veut-elle plus de moi finalement ? C'est ce que je commence à craindre. A présent que je suis devenu ... ce que je suis devenu, aurait-elle des regrets ?

"Qu'est-ce qui te chagrine ? J'aimerai comprendre..."

Peur approuvée.

Je scrute sa réaction, mais il n'a pas l'air surpris, ou en colère de cette question, alors je lui avoue:

"Chaque nuit que les dieux nous ont donné ensemble, nous avons été un couple. On a pas... Enfin, tu vois ce que je veux dire, mais nous avons dormi dans les bras l'un de l'autre, nous nous sommes câlinés, embrassés... ça m'attriste qu'il n'y ait que moi pour m'en souvenir..."

Mes aveux ne le feront pas fuir, j'espère...
J'en serais vraiment malheureuse, je le sais, je le sens...