Son invitation me fait énormément plaisir, même si je n'ai absolument pas l'habitude de sortir le soir.

Placé au premier rang, j'attends le début du spectacle impatiemment, d'une part parce que j'ai très envie de voir Preeti et d'autres part, parce que je ne suis pas du tout à l'aise, seul, au milieu de ces inconnus.

Pendant un instant, je me demande s'il est bien moral de venir voir danser une femme. Seulement, j'ai aussi du mal à réaliser que cette femme en question est ma compagne.

Les lumières s'éteignent.


@Preeti Sita

l'invitation avait été trop tentante, et puis, il fallait se le dire: Je voulais vraiment partager mon métier avec l'homme que mes sentiments avaient choisis.

Les lumières extérieures s'éteignent, les miennes s'allument, faisant briller les piécettes de mes hanches, tandis que mon corps se met en mouvement dans la musique.

Je ne vois pas l'homme que j'attends, les projecteurs dirigeant la lumière sur moi, m'éblouissant juste assez pour brouiller ma vision, pas assez pour me faire froncer les yeux.

Les notes s'intensifient, mes mouvements suivent, jusqu'à ce que le final retentisse.

Quand la musique retentit, je regarde le corps de Preeti se mouvoir. Après avoir été séduit par son esprit, voilà son que son corps tente de me captiver.

Le processus est long mais terriblement efficace et je me sens presque envoûté quand la musique s'arrête.

Je me lève pour applaudir jusqu'à ce nos regards se rencontrent enfin.
Elle est sur scène, devant tout le monde et à cet instant, c'est moi qui me sens totalement mis à nu sous ses yeux.

Je rejoins mon amour dans les coulisses et, en venant lui prendre les mains, je lui dit :

"Tu as été parfaite. Félicitation !"

Les lumières se tamisent sur la scène tandis que la salle s'éclaire proportionnellement, et je vois enfin avec soulagement que mon invité est là.
Je salue la foule mais mon sourire est pour lui seul, avant que je ne descende, passant en coulisse.

Son compliment me fait rougir, et je l'embrasse doucement:

"Merci trésor, j'étais curieuse de savoir ce que tu en pensais! Après tout, c'est la première fois que tu me vois travailler, en scène..."

Je me demande un instant si un jour j'irais voir Kyan travailler, mais me rétracte: notre histoire est secrète...

Notre baiser se prolonge jusqu'à l'arrivée d'une personne derrière nous.

"C'est particulier, c'est un spectacle auquel je n'ai pas l'habitude. Merci beaucoup de m'avoir invité !"

Malgré l'endroit public, une certaine intimité nous submerge. Cela a le don de me rendre assez mal à l'aise. Sans lâcher pour autant les mains de Preeti, je m'éloigne sensiblement d'elle à mesure que la salle se remplit.

"Tu voulais aller manger ? Tu veux aller directement chez toi ou tu as une autre envie ? J'ai tout mon temps pour toi ce soir."

C'est particulier? J'ai peur de lui demander si ce "Particulier" est positif ou non, alors je garde la remarque pour moi.

"Allons manger, j'ai une faim de loup! On peux manger chez moi, ça préservera notre couple secret... A moins que tu ne veuilles qu'on sorte?"

Le fait qu'il me dise qu'il a tout son temps pour moi me fait rougir, et je murmure:

"Tu dois rentrer à quelle heure?"

Des idées me trotte dans la tête, mais je n'ose pas les mettre en mots.

"Tu me laisse me changer et on sort?"

"Fort bien. Allons chez toi."

Preeti semble être étonnamment troublée par mon affirmation. Je réfléchis et finalement déclare :

"Je n'ai aucune obligation avant 10h demain matin. Pas d'inquiétude."

J'acquiesce à sa demande, c'est certain qu'un costume de danse n'était pas la meilleure tenue pour la rue le soir.

D'ailleurs, dehors le temps commence à se couvrir et il n'y a aucun doute qu'il se mette à pleuvoir dans la prochaine demi-heure.

Je remarque le paravent légèrement transparent. Aussi, je reste silencieux et évite à tout prix de regarder.

Le ton presque formel me surprend, mais je n'en dit rien.
Je suis par contre très contente de son indication, et souris en rajoutant:

"Parfait, on a tout le temps alors! Tu pourrais rester plus longtemps!"

Je pars me changer derrière mon paravent, allume la lumière et commence à me dépêtre de mon costume de scène contre mon sari, et l'affaire terminé je reviens voler un baiser à l'homme de mon cœur en lui disant malicieusement:

"Je t'ai manqué?"

Je finis par mettre mon manteau et nous nous dirigeons vers la sortie pour notre soirée privée.

Je souris quand ses lèvres viennent contre les miennes sans crier gare.

"Bien plus que jamais je n'oserai te l'avouer, mon amour." Je lui murmure.

Heureusement, nous sommes seuls dans la rue et même si quelques goûtes menacent déjà, il semble que nous serons chez elle avant le déluge. Je passe mon bras autour du sien avant de lui prendre tendrement la main essayant de lutter contre mon instinct de la lâcher dès qu'une ombre se profile dans la rue.

"Tu voudra qu'on se fasse quoi à manger ? Et tu voudras faire quoi après ?"

Le temps est maussade, mais cela ne dérange pas les veilleurs postés devant le casino non loin, occupant le silence de la rue par leur cris avinés.

Nous longeons la ruelle opposée, et je répond distinctement à Kyan par dessus le bruit ambiant:

"Je ne sais pas, j'imagine que ça dépendra de notre faim! Et après..."

Une voix masculine venant de derrière nous me coupe, et je me retourne vers un visage inconnu.

"Vous êtes la danseuse, je vous ait reconnu! Vous êtes vraiment bandante, ça vous dirait qu'on se voit plus tard? Après le prêtre bien entendu!"

Preeti n'a pas le temps de finir sa phrase qu'elle se fait couper par un homme. Je me retourne à mon tour.

Devant la phrase, je reste totalement interdit. Je ne sais absolument pas comment réagir d'autant que la question ne m'est pas directement adressée. Quelque chose me dit que je ne peux pas rester sans rien faire pour autant.

"Monsieur, s'il vous plaît, laissez la tranquille. Rentrez chez vous et dessoulez."

Je fais face à l'homme auquel je ne souhaite ressembler pour rien au monde. J'en fais le serment, jamais je ne tomberai aussi bas que lui.

Je reste interdite devant la remarque complètement déplacée, et inconsciemment me poste derrière Kyan, muette, agrippant discrètement sa manche.

La remarque ne semble pas inciter l'homme à partir, et il ajoute en pointant un index furieux:

" Ce n'est pas à toi que je parle, mon père, je parlais à la dame. Je suis un client régulier du bar, je la vois souvent, alors j'ai le droit à un peu de reconnaissance pour avoir déboursé mon pognon dans sa boîte non?"

Je n'ose pas réagir, mortifiée par le début de colère de cet inconnu qui me terrifie.

"Non. Ce que vous mériteriez vraiment, je ne peux malheureusement pas vous le donner car j'ai fait vœu de non-violence."

... Ce qu'à cet instant précis, je suis presque en train de regretter.

Sur ce, je prend le bras de Preeti pour continuer notre route en espérant qu'il n'aura pas la stupidité de nous suivre ou de continuer sur sa lancée de remarques graveleuses.

"Tout va bien Preeti ? Ce genre de choses t'arrive souvent ?" Je demande à ma chère et tendre, véritablement inquiet de la savoir à la portée de ce genre de personne tous les soirs.

Hésitant, l'aviné finit par s'éloigner en insultant la terre entière, et je m'autorise enfin à respirer.
Nous nous éloignons rapidement, l'esprit toujours muet de stupeur, tente de répondre bon gré mal gré:

"ça va, je crois... ça peut arriver de temps en temps, mais ça ne dure pas. C'est des choses qui arrive quand on travaille de nuit. ça ne m'empêche pas d'aimer mon métier, chaque vocation a ses défauts..."

Comme la sienne de nous tenir dans une union secrète et de mettre un fossé entre nous... Je garde cette pensée pour moi.

Tandis que nous marchons, je médite un moment sur sa phrase. Ma vocation à moi doit peser beaucoup plus sur Preeti que le contraire.
Son image de danseuse revient dans mon esprit et je me dis que beaucoup d'hommes doivent avoir envie de lui sauter dessus.
Je baisse la tête à cette pensée.

Quand nous passons silencieusement le pas de sa porte, je prend Preeti dans mes bras pour l'embrasser tendrement et longuement, laissant la porte se refermer derrière nous.

"Je t'aime." je murmure dans son oreille. "Et oui, je retire mes chaussures"

Je reste pensive pendant un petit temps tandis que nous marchons silencieusement vers la maison, mais je ne veux pas rester sur cette note négative et lui souris en lui prenant discrètement la mains du bout des doigts:

"Mais ça ne s'est pas mal passé, et nous sommes ensemble, alors cela aussi passera, profitons de notre soirée, tu veux bien?"

La porte à peine ouverte, Kyan m'enserre amoureusement et accompagne le geste avec un baiser doux qui enlève toutes mes mauvaises pensées pour de bon, répondant en murmurant:

"Moi aussi je t'aime, et merci pour les chaussures..."

"Tu as raison" je dis en souriant.

Arrivés dans l'appartement, je suis enfin libéré du poids du regard des autres et de leur jugement.
Furtivement, quelques images me viennent de Preeti sur scène et je lui coupe presque la parole en volant ses lèvres de nouveau. Sans cesser de l'embrasser, je vire mes chaussures de deux coups de pieds avant de les placer à peu près correctement devant la porte.

Quand je suis rassasié de sa bouche, je m'écarte légèrement de son corps et demande joyeusement :

"Je peux t'aider à faire à manger ?"

Ses gestes si tendres démontre un empressement que je prend du désir, qui réveille le mien, et je me presse contre les lèvres de mon aimé, assoiffée d'en prendre plus.
Sa façon de se débarrasser de ses chaussures me confirment ce que je pense, et j'enlace son cou tendrement, avide de ce à quoi j'aspire.

Pourtant, ça question me fait froncer le nez. Peut être qu'il a faim mais qu'on fera... plus tard? Je hoche la tête, perplexe et pantelante, et nous nous dirigeons à la cuisine.

"Qu'est ce que tu veux manger?"

Moi...?

Une légère vague de déception semble voiler le visage de ma belle un instant après ma question.
Pourtant, n'avait-elle pas dit qu'elle avait faim ?
C'était furtif et c'est déjà parti.
Sa question me fait oublier ce léger doute.

"Je ne sais pas, ce que tu as ... Quelque chose de rapide, non ?"

Je suis Preeti dans la cuisine encore plongée dans le noir et pose ma main juste dans son cou avant d'en embrasser l'autre côté avant de finalement allumer la lumière ce qui me fait cligner des yeux.

"Que dois-je vous faire, mademoiselle ?"

Je regarde le frigo, inspecte les ingrédients puis finis par proposer:

"Je peux faire un curry de crevette au lait de coco, c'est rapide à faire. ça te va? Tu veux me seconder?"

Le contact de ses phalanges contre ma nuque me fait frissonner, et de nouvelles idées s'insinuent dans mes pensées lorsque sa bouche se dépose doucement.

Mais la lumière éblouissante me fait perdre le fil, et sa suggestion me laisse pantoise:

"Et bien je propose que nous fassions la cuisine, puis que nous passions à table, et nous entamerons le dessert après, qu'en dis-tu?"

Je me redresse et souris comme un enfant.

"Il y a du dessert ? Je te remercie, Preeti ! Pour le reste, cela me va tout à fait. J'aime tellement ta cuisine ... Alors, dis moi ce que je dois faire !"

Je commence à sortir ce qu'il faut : poêle, lait de coco et crevettes que je commence à décortiquer méthodiquement.

"Je te remercie encore de m'avoir invité ce soir. Je ne pensais pas que te voir danser me ferait autant d'effet mais maintenant que je t'ai vu travailler, je te connais d'autant plus et j'en suis d'autant plus conquis."

Sa réaction me laisse en plein désarroi: Il a tellement d'innocence que j'ai presque honte d'avoir de telles pensées envers lui.
Je n'avais plus qu'à m'assoir sur mon désir incompris... Et a faire un dessert.

Nous faisons la préparation en un rien de temps, puis laissons le tout cuire avant de mettre la table dans le salon.

"Je suis contente que tu ais du temps pour moi! Autant d'effet? Quels effets?"

Une lueur d'espoir?

"Je suis flattée! J'aimerais te voir travailler aussi, je viendrais surement un jour!"

Surement dans la semaine...

Je suis en train de mettre les assiettes quand sa question me fait lever les yeux vers elle.

"J'imagine que beaucoup de monde s'enorgueillirait d'avoir une compagne qui sache aussi bien danser et qui en fait sa profession."

Et rapport à l'homme de tout à l'heure, j'imagine que beaucoup fantasment sur elle, et je trouve cette idée particulièrement inconfortable. Je secoue la tête pour chasser ces mauvaises idées de mon esprit.

"Mon travail ? Je doute que tu le trouve très intéressant... Tu peux venir après-demain, j'ai l'orchestre, je finirai vers midi."

Je m'engouffre dans l'église pour me débarrasser de la pluie d'enfer battant dehors.
Après avoir constatée que je suis trempée de la tête aux pieds et qu'il fait toujours aussi froid à l'intérieur de l'édifice, je prend le temps de détailler l'immense salle. Il ne semble y avoir personne, pourtant l'écho apporte des voix, que je suis donc.

Un chœur se dessine au fond de l'église et je m'assois sur une place au fond pour ne perturber personne.

Quand le prêtre se retourne, je lui fais un petit signe, souriante.

L'équipe a vraiment fait des progrès, je suis très fier d'eux.
Pendant un temps, je me laisse totalement porter par la musique en oubliant totalement l'heure, seule la perspective de voir arriver Preeti m'accroche encore un peu à la réalité.

A la fin de la musique, j'ouvre les yeux et remarque que plusieurs regards se portent derrière moi. Je me retourne et ne peux réprouver un sourire sincère. Je remercie et salue tout le monde avant de me diriger vers Preeti pour lui prendre les mains.

"Ça me fait tellement plaisir de te voir, tu vas bien ?