L’été, sa chaleur, son soleil pesant.

Depuis ses seize ans, Aura avait appris à devoir gérer cette saison que beaucoup appréciaient, pour pouvoir s’allonger au bord de la mer, profitant des rayons sur leur chair. De son côté, les sorties étaient réduites, parfois à quelques-unes par semaine, si ce n’était aucune. La nuit était son domaine, plus que jamais, la poussant jour après jour entre les griffes d’une mafia toujours plus violente. On n’attendait rien de plus de sa part, rien de moins. On évitait juste que sa peau brûle, par une exposition prolongée à l’astre solaire. Alors, adieu la plage, adieu le bronzage, bien que ce ne soit pas dans ses habitudes.

Et aujourd’hui, même à Arcadia, même après des années de cohabitation avec sa déesse, rien n’avait changé. Elle était toujours aussi atteinte par son hybris, aussi patraque l’été.

C’était peut-être pour cela qu’elle n’avait pas fait attention aux signaux que son corps lui envoyait, à la fatigue qui s’accumulait en elle. Surtout qu’elle avait passé ces dernières semaines à étudier la destruction du pont, cette attaque éclair sans aucun sens. Certains la mettaient sur le dos du Royaume, d’autres parlaient de tensions au sein même des Enfants Terribles, rendant plausibles une histoire de trahison interne. Et enfin, il y avait les partisans d’une attaque de la part des Obscuris. Elle soupira à cette pensée. Quelque chose clochait selon elle. Pourquoi avoir été à la tête d’actions retentissantes comme l’attaque sur la Mairie, pour finalement se cacher derrière une explosion ? Cet attentat ne ressemblait pas à ce qui avait été fait auparavant. Pourquoi seraient-ils soudainement devenus aussi précautionneux ? A moins d’avoir un expert dans le domaine, il n’y aurait pas eu un tel changement.

La dernière option serait le fait d’une âme solitaire, d’une attaque seule sans raison apparente. Un coup de folie comme tant d’autres.

Lèvres pincées, Aura laissa son regard glisser sur les multiples feuilles qu’elle avait étalées devant elle. Chaque mot, chaque idée avait été notée. Par peur de l’oubli, par inquiétude de louper un élément des plus importants.

Et toujours rien.

A bout d’idées, l’italienne hésita à appeler Astrid. Si les Obscuris étaient derrière cette attaque, elle devrait le savoir. Et puis, elle devait lui rapporter ce type d’éléments. C’était la raison-même de sa présence au sein de cette faction dangereuse. Alors, pourquoi aujourd’hui Aura préférait-elle ne pas étudier cette possibilité, cette aide bienvenue ? C’était comme si sa confiance lui murmurait que quelque chose clochait, que cette explosion était bien trop proche de ce qu’elle connaissait. Le regard s’évada vers la fenêtre, Hécate toujours aussi silencieuse, discrète. Elle en oubliait presque la déesse, tant sa présence s’effaçait. D’ailleurs, l’avocate était persuadée que la plupart des récurrences vivaient leur relation avec leur divinité de la même façon qu’elle. Enfin, sa conviction se brisait au fur et à mesure des rencontres. C’était peut-être ce qui l’empêchait d’en discuter avec la française. Car Aura n’était pas aveugle, elle avait bien perçu des changements chez l’autre mafieuse. Légers, si légers…

Mais c’était ça le souci.

Il faudrait qu’elle soit certaine qu’Astrid n’était pas en train de la trahir, consciemment ou non. Sinon…

Nouvelle vague de nausées, l’italienne serra les dents. Certes, ils étaient en plein mois d’Août, mais c’était bien la première fois qu’elle se sentait aussi malade. A moins que ce soit sa concentration, le manque de sommeil, la fatigue accumulée depuis des jours qui fragilisaient son organisme…

Continuer de lire les rapports ne lui apporterait plus rien. Dans un dernier soupir, elle se détacha de sa chaise et de son bureau. Quelques pas, pour se retrouver dans le couloir de la maison. Le sixième sens, le lien avec Clem lui suffit à le retrouver dans cette vaste masure. Elle traina un peu les pieds sur le chemin, jusqu’au salon, où les chats avaient élu domicile pour la soirée. A l’instant où elle ouvrit la porte, elle sentit la fourrure se frotter contre sa cheville, dans un ronronnement caractéristique. Un des chats réclamait sa seconde d’attention avant de repartir, content. Aura s’arrêta un instant, contemplant la silhouette de l’animal, avant de s’en détourner, repérant celle de Clem sur le canapé.

Dans un dernier geste, elle s’effondra à ses côtés, posa sa tête sur ses genoux. Aucun mot, aucun propos pour le rassurer. De toute façon, les traits tirés suffisaient à prouver qu’elle n’était pas au top de sa forme…

Le quotidien était tout sauf rébarbatif.

L’été était là, la chaleur enivrante lui rappelant finalement chez lui, même si cela n’avait rien à voir avec la canicule extrême de la Californie, le gallois préférait l’été et ce soleil réconfortant. Pourtant c’était à l’intérieur qu’il était, s’accordant des sorties au soleil de temps à autres, laissant les volets ouverts pour que le soleil frappe son bureau de lumière même lorsqu’il travaillait, mais c’est à l’intérieur, qu’il était le mieux. Au final il s’était habitué à la maison et son besoin de s’isoler dans un coin au même titre que leurs chats se faisait de plus en plus rare, comme si se tenir dans une pièce si ouverte n’était plus un concept étranger. Affalé dans le canapé, il était encore le nez collé à son téléphone, les réseaux sociaux comme source de distraction, pendant ses pauses. Son nouveau travail n’était pas le plus compliqué du monde et à côté de l’ancien était ridicule. De médicos à simple guignole jouant aux jeux vidéos sur internet, il y avait de la marge. Certes, le thaumaturge avait l’impression de perdre de l’utilité. De ne pas faire ce qu’il était supposé faire, soigner… Mais son corps allait mieux, sa force allait mieux et sa santé restaurée prouvait que la pause était nécessaire. Que faible, il ne pouvait pas aider les autres. Il lui fallait du repos, et du temps pour guérir ses propres blessures. Cela ne l'empêchait pas de retourner à Delray de temps à autre. L’appartement servait désormais de cabinet d’urgence, un endroit calme où ils pouvaient apporter des victimes et ou Clemens pouvait les rejoindre facilement, en sûreté pour prodiguer des soins aux blessés si personne d’autres n’était disponible. Parfois, ils arrivaient en urgence devant la maison. Peut-être pas le scénario idéal, mais c’était nécessaire dans les cas de forces majeures. Aujourd'hui, c’était tranquille et la seule chose devant perturber le silence c’était les bruits de pas d’Aura qui le rejoint sur le canapé, s'étalant près de lui, la tête sur ses genoux. « Coucou. » qu’il souffle. Le thaumaturge dépose le téléphone sur la table d’appoint à côté de lui, souriant à son initiative de faire une pause dans la journée, elle aussi. C’était si rare.

Les doigts se glissent dans ses cheveux, attention tendre alors qu’elle ne lui répond pas. Curieux. Pas de dossier dont elle voulait lui faire part ? Pas d’appel de quelqu’un désagréable contre qui elle voulait râler ? Ils ne parlaient jamais de mafia, ou en tout cas peu, mais l’expression sur son visage et l’absence de mot, leur lien tissé par leur promesse lui indique que quelque chose cloche. «Tu vas bien ? » qu’il demande, s’inquiétant un peu quand à son bien être. Un truc ne vas pas, il la connaissait trop pour croire le contraire et ça a le don de réveiller sa nature, le besoin d’arranger les choses devenant une priorité tandis qu’il s’ajuste dans le canapé sans cesser ses caresses. « Il s’est passé quelque chose ? Tu ne te sens pas bien ? » Peut-être qu'elle ne voudrait rien dire, ne pas en parler. « Je peux aider si tu veux. » qu’il propose, même si il savait qu’elle avait parfois du mal avec ça, ne lui demandant jamais d’aider et refusant parfois qu’il le fasse pour ne pas souffrir à sa place, une manie de vouloir se protéger l’un l’autre parfois compliquée. Mais si ce n’était pas une blessure grave, si ce n’était qu’une migraine, ou des crampes, il saurait la soigner sans en subir les conséquences… Si c’était un problème avec la mafia, il ne pouvait rien faire malheureusement.

Elle aurait dû parler.

Elle se doutait que le silence inquièterait Clemens plus que mesure. Cependant, l’esprit n’était pas totalement clair. L’italienne tentait de gérer l’afflux de douleur tant qu’elle le pouvait. Enfin, ce n’était pas tant la souffrance le souci. C’était plutôt les haut-le-cœur, la perte d’équilibre, de ressenti. Le reste, elle était capable de le gérer, déjà trop habituée qu’elle y était. En revanche, la fatigue, l’impression d’avoir l’estomac écrasé, la tête dans un étau, c’était trop pour elle.

Paupières fermées, elle profita de la sensation de douceur des doigts de Clem dans ses cheveux. Bercée par le geste, la nausée sembla disparaître. Cependant, Aura savait que ce n’était qu’une impression. Une illusion bien traitresse. Alors, elle s’obligea à ouvrir les yeux, à se tourner doucement pour avoir le visage de l’homme dans son champ de vision. « Je suis… Fatiguée. » Ca lui paraissait si étrange de laisser de tels mots sortir. Néanmoins, avec le lien qui l’unissait avec Clem, mentir serait pire que tout. Puis, il pouvait très bien faire quelque chose contre la douleur. « Ca fait plusieurs heures que j’ai la nausée, et je n’arrive pas à m’en débarrasser. » Pause. Soupir. « Normalement, ça ne m’handicape pas autant que ça… » Elle posa la main sur son front, sans quitter le gallois des pupilles. L’avocate n’aimait pas être faible. Et elle ne comprenait pas pourquoi elle l’était en ce moment. Evidemment, la chaleur, le soleil, les derniers évènements, tout pouvait expliquer une partie de cette nausée persistante. Néanmoins, l’un comme l’autre se doutait que tous ces facteurs n’expliquaient pas la situation à eux seuls.

Elle attrapa la main de l’homme, entrelaça leurs doigts. Geste empreint de tendresse, loin de l’image qu’elle renvoyait au monde. Exit la mafieuse sans cœur, l’assassin de glace. Elle redevenait une humaine parmi tant d’autres. Néanmoins, peu voyaient cette facette d’elle. Dès qu’elle quittait la maison, dès qu’elle s’aventurait en dehors de leurs terres, l’italienne retrouvait ses traits figés, ses silences déstabilisants, son esprit manipulateur. Elle s’était rendue compte qu’elle pouvait toujours porter son masque à l’extérieur, que c’était même ce qu’on attendait d’elle. Car la moindre faille, la moindre erreur, serait exploitée. Et elle refusait de mettre Clem encore plus en danger. Il l’était déjà assez comme ça.

« J’aurais voulu trouver des pistes pour l’explosion du pont de Wild Island, mais je ne trouve absolument rien… » Murmures, le regard se perdit un instant dans le lustre de la pièce. Elle évitait en temps normal d’évoquer les soucis liés à la mafia. Cependant, ce coup-ci, elle n’était même pas certaine que c’était un combat entre organisations. Quelque chose clochait dans la façon dont cet attentat avait été organisé. Elle n’arrivait simplement pas à mettre le doigt sur ce qui la dérangeait, avec cet étau autour de son crâne. « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une attaque coordonnée. » Elle penchait pour un élément solitaire. Ce qui était encore plus effrayant. Elle sourit doucement, les iris un peu voilées. « Je suis désolée de t’inquiéter avec ça, ça ira mieux dès que cette nausée laissera mon esprit tranquille. » Oui, ce n’était que ça le problème, et absolument pas le manque de preuves et de revendications autour de l’acte…

L’inquiétude.
Une émotion avec laquelle le thaumaturge s’est toujours entendu. Anxieux de nature, paniqué par beaucoup de chose, il savait qu’elle lui cachait des choses, souvent, pour ne pas lui faire peur. Ne pas ajouter à son état habituel. Peur qu’elle se blesse, peur qu’elle soit en danger et à sa décharge, elle avait déjà fini à l'hôpital pendant plusieurs semaines, il l’avait vu quasiment morte sur un trottoir enneigé. Bien que du temps soit passé, que les choses aient évoluées, l’imagine de la neige rouge et d’Aura inconsciente dans la poudreuse le hantait toujours. La peur de ne pas réussir à la sauver un fardeau à supporter. Depuis leur lien c’était à la fois plus simple et plus difficile encore. Car il était certain que de deux choses: premièrement, il ne vivrait pas dans un monde où l’italienne est morte puisqu’il le serait aussi. Deuxièmement, à cause de ce même lien, il pourrait ressentir chaque moment de son agonie.

Chaque moment de détresse de la déesse était partagé avec son prophète. Un instinct qui rendait malade, une sensation profonde que quelque chose n’allait pas, qu’elle était en danger. Contrairement à elle qui grace à la chaine était capable de le retrouver, lui, restait dans le flou, incapable de savoir où elle était mais capable de savoir que n’importe où où cela pouvait être, elle était en danger et lui, lui d’elle. Une horrible sensation.

En tant que thaumaturge, l’entendre parler de sa souffrance était compliqué. En tant que petit ami, encore plus. Les sourcils froncés il était tout à fait simple de lire l’inquiétude sur son visage, tordant ses traits. Non seulement elle avait mal, mais elle avait mal depuis longtemps et ne lui avait rien dit, pour ne pas lui faire peur, en se disant sûrement que cela allait passer mais ce n’était pas le cas, visiblement. Assez pour qu’elle ne mente pas, l’avoue facilement.

Le gallois aurait bien en envie de protester, lui rappeler qu’il était là pour elle bien avant ce stade là. Mais elle attrappe ses doigts libres, les melent aux siens tendrement et lui, oublis son sermon. Parce que c’était pas le moment, parce qu’elle le savait déjà Aura, qu’il était là en cas de besoin. A son geste il sourit, attendrit, faible face aux gestes doux de l’assassin, la tueuse, qui pourtant avait fait tomber son masque avec lui, doucement. Clemens la craignait toujours bien entendu, un peu effrayé de ce qu’elle pouvait faire, ce qu’elle faisait dehors ou dans le sous-sol de leur maison. Du nombre de morts qu’elle avait causé dans ce lieu précis et ailleurs. Mais il ne fallait pas trop y penser, car au final les chiffres n’avaient que peu d’importance devant ce fait: il l’aime. Trop, pour se soucier de ça.

La tendresse pourtant est rattrapée par la mafia, par les attentats. Des sujets peu discutés ici, où le monde semblait s’arrêter au pas de leur porte et dans les escaliers menant en bas. Ici c’était chez eux, loin de la Calavera, loin de la Camorra. Pourtant elle évoque les récents événements, son progrès bien maigre dû à ses nausées. « Tu penses que.. c’était pas une mafia ? » Une théorie, mais il se demandait bien pourquoi personne n’avait revendiqué l’attaque.. Et comment une seule personne aurait pu faire tant de dégât sans se faire voir. Mais après tout il n’en savait rien, elle avait les éléments, les preuves et des années d’espionnage derrière elle pour savoir ce genre de chose. « Laisse-moi t’aider, comme ça tu pourras y retourner tranquillement ensuite. » qu’il propose, la main caressant ses cheveux ne cessant pas son manège il libère ses doigts des siens et les rapprochent de son core où ils se posent.

Si elle avait quelconque soucis de nausée le mal devait venir de quelque part par ici, ou en tout cas il pouvait apaiser l’estomac secouer, le coeur rendu malade. Soigner des impressions, détendre ce qui était crispé par le mal. Les doigts picotent comme à leur habitude, la sensation trop familière tout comme la chaleur dégagée par ses phalanges l’était, rendant anodin ce qui pourrait en surprendre plus d’un. C’était aussi le signe que cela fonctionnait, qu’il aidait. Pourtant, une sensation étrange, perturbe les pouvoirs. Quelque chose qui n’était pas comme d’habitude. Comme si il n’y avait pas qu’elle sous les doigts. Une autre..

Les doigts se retirent immédiatement de sa petite amie,
dans la hâte, dans la panique. La peur de ce qu’il avait cru sentir.
Le seul autre cas où c’était arrivé c’était avec Siobhan. Siobhan qui avait fait appel à lui ces derniers mois pour une inquiétude bien particulière pesant sur ses épaules, la naissance à venir de son fils. Et il avait aider, comme il le pouvait en apposant les mains sur elle, en vérifiant la santé du bébé à travers elle.
Non.
Cela ne pouvait pas être ça, ce n’était pas possible. Dans les yeux écarquillés il y a une panique lisible, iris immobile tout comme l’était sa respiration, stoppée par le choc. Pas possible. C’était pas possible il.. Il avait dû se tromper ce. Ce n’était pas possible.
Bloqué dans un silence les moins ne sortent pas et il se transforme simplement en statue, seulement la main tremblotante au dessus d’elle garantissait qu’il était encore en vie. Puis, une respiration est prise enfin pleine de soubresaut. La panique s'installe vraiment et les doigts étaient rétractés pour de pas moindre que ça n’allait pas, même si elle le savait. Même si elle pouvait sentir que ça n’allait pas. Car ça n’allait pas et que ça allait très bien à la fois, mix d’émotions contradictoires qui s'emparent de lui et le tiraille dans toutes les directions. La joie qui le submerge, qui embrume ses iris qui sont sur le point de pleurer face à ce rêve irréalisable d’avoir un jour une famille à lui. La peur. la peur d’avoir fait une bêtise, la peur de la réaction la peur de devoir faire fasse à son erreur. La peur de la perdre, de lui faire du mal, de la forcer à quelque chose dont elle ne veut pas et enfin la tristesse. Parce que ça allait mal finir, ça devait mal finir. Parce que c’était un bonheur éphémère et qu’au moment où les larmes coulent enfin, ce n’était plus de la joie mais de la tristesse qui s'empare de lui. Elles sont teintées de fatalité, d’angoisse. De l’affolement qui se répand en lui comme une marée noire.

Il allait tout perdre, pour une simple bêtise.
La main avait quitté ses cheveux et rejoint l’autre collé à ses propres tempes, comme si presser celles-ci allait calmer le fléau à l’intérieur de sa tête. Inefficace, il se contente de souffler. « Je suis si désolé Aura.. Si désolé. C’est entièrement ma faute...» des excuses, alors que beaucoup devaient se réjouir. Alors que lui-même aurait pu célébré, lui-même avait ce cœur partagé entre le bonheur infini et la douleur déjà présente, teintant la découverte d’une grossesse. Une à laquelle il ne s’attendait pas, persuadé qu’aucune erreur ne pouvait être commise voir même, que c’était simplement impossible. Ils ne parlaient pas beaucoup de ces choses là, trait rayé depuis longtemps sur tout ceci, il ne sait même pas comment il devait le dire. Comment annoncer. Ni ce qu’ils allaient faire si il avait raison. D’un revers de manche il essuie ses yeux, tente de se recomposer un minimum et attend, un long moment, avant de parler. « Je… Je crois que tu es enceinte. » qu’il souffle, parce qu’il n’y avait pas d’autre chemin. Qu’il fallait qu’ils règlent la situation au plus vite. Que tout s’écroule maintenant. Qu’ils en finissent. « Je peux sentir quelque chose qui.. Qui n’est pas toi et ça.. ça vit. En quelque sorte je.. Est-ce que.. est-ce que c’est..possible ? » Parce qu’il refuse d’y croire et refuse d’y penser. Se donner de l’espoir, rêver. Quelle erreur ce serait.

La présence de Clem la rassurait, lui rappelait qu’elle avait le droit d’être elle, d’être différente à ses côtés. Donc, montrer sa faiblesse, montrer la douleur, la fatigue qui s’emparaient de ses traits, de son corps, tout ceci était normal. C’était bien loin de ce que Maximilio lui avait appris, de la façon dont il l’avait éduquée. Au contraire, il lui avait sans cesse répété qu’elle devait garder le contrôle sur elle, sur ses émotions, ses ressentis. Sans cela, on pouvait prendre l’avantage sur elle, se servir d’elle puisqu’elle devenait influençable. Finalement, l’italienne était contente d’avoir trouvé quelqu’un comme Clem, pour lui faire comprendre que tous les êtres humains n’étaient pas comme les mafieux qu’elle côtoyait. Certains ne souhaitaient pas manipuler les autres à leur guise. Et même si elle agissait de la sorte lors de son travail, elle n’était pas obligée de croire que c’était le cas de tous.

C’était aussi pour cela qu’elle le maintenait au maximum en dehors de ces histoires. Déjà, la violence et les morts ne correspondaient pas à la nature de thaumaturge qu’il incarnait. Ensuite, moins il en savait, plus il pouvait vivre comme il l’entendait. Et enfin, cela l’empêchait de devenir comme tous les autres qui composaient son environnement.

Néanmoins, aujourd’hui, elle avait décidé de briser le silence. Parce que la situation l’exigeait, parce qu’elle avait besoin de brainstormer avec quelqu’un d’autre, et il était le seul en qui elle avait suffisamment confiance pour évoquer ses interrogations, ses doutes, sans manquer de faire exploser Arcadia par une réaction démesurée. « C’était si bien organisé, à n’en pas douter. » Pause. C’était ce qui avait fait pencher vers une organisation criminelle dans un premier temps, mais finalement… « Néanmoins, on se surveille tous à Arcadia, si une des mafias avait fait bouger ses pions pour faire sauter le pont, on l’aurait su. » Ca se serait vu, ça aurait pu être tracé. En fait, tout était trop parfait aux yeux d’Aura pour qu’elle penche pour un de ses adversaires. Ca lui rappelait des choses qu’elle avait déjà pu faire. Et ça l’effrayait quelque part.

Elle sourit doucement, apprécia la sensation des doigts de l’homme dans ses cheveux. Présence reposante, rassurante, dans un monde au bord de l’abîme… « Merci. » Simples remerciements, avant de fermer les paupières, de le laisser utiliser ses pouvoirs. Elle s’était toujours demandé comment cela fonctionnait, sans jamais avoir tout compris. Même Hécate n’avait eu de cesse de lui répéter que les mortels possédant des dons surpassaient toutes les prédictions, toutes les réflexions que les dieux pouvaient se faire. Personne ne savait, personne n’avait jamais su, et il fallait accepter ce manque de connaissances au lieu de courir après des chimères. Même si l’avocate aurait adoré en savoir plus, elle avait appris à juste laisser couler. Au pire, la réponse viendrait d’elle-même le jour où elle ne s’y attendra plus.

Elle sentit la panique plus qu’elle ne la vit ou que Clem la formula. Elle la sentit naître en elle, tout en sachant pertinemment que ce n’était pas la sienne. Les paupières s’ouvrirent, les iris cherchèrent celles de l’homme, sans parvenir à les accrocher. Il semblait fuir, la fuir. Aura se redressa alors, attrapant la main tremblante au-dessus de son cœur par la même occasion. Peut-être que la chaleur de la paume rassurera Clemens, comme cela l’avait fait avec elle pour la nausée. Mais il ne l’accrocha pas. La crise paraissait suffisamment forte pour qu’elle soit oblitérée de la vision, ou du contact, de l’homme. Sourcil arqué, elle s’inquiétait réellement pour l’autre, sans savoir quoi dire pour le faire parler, ou à défaut, le calmer. « Clem, que se passe-t-il ? » La voix, empreinte de douceur, avait pour but de le faire réagir, de le raccrocher à une réalité avec laquelle il semblait perdre pied. Elle glissa ses mains sur les siennes, cherchant à les faire décrocher de ses tempes.

Un instant, elle faillit reposer sa question, pensant que Clem ne l’avait pas entendue. Néanmoins, elle entendit le son de sa voix et resta dans le silence pour le laisser s’exprimer. Tout ça pour entendre des excuses, sans queue ni tête. Alors, elle refusa de l’interrompre. De toute façon, elle n’était pas Augustin, elle n’avait aucunement la possibilité de rentrer dans son esprit pour lui arracher ses pensées, donc elle ne pouvait qu’attendre, et espérer qu’il crache le morceau de ce qui le faisait paniquer.

Et Dieu seul sait qu’elle ne s’y attendait pas. Ses traits se figèrent, sa bouche laissa s’échapper un « Oh… » des plus inattendus. La tête se pencha sur le côté, le regard finit par se baisser vers son ventre. Elle n’avait pourtant pas pris un kilo, ni n’avait ressenti le besoin de manger plus. En fait, à part les nausées, elle n’avait pas l’impression d’avoir d’autres symptômes possibles. Ou alors, elle était juste tant habituée à la douleur, aux modes de vies extrêmes qu’elle ne percevait aucune différence quand changement il y avait ? « Je… Je ne m’attendais pas à ce que ça puisse arriver un jour. » Murmures, sans savoir comment réellement réagir. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle ne devait pas paniquer, au risque d’entraîner Clem dans un cercle vicieux. Alors, elle décida de privilégier les actes, les contacts aux mots. Les bras enveloppèrent l’homme, le serrèrent doucement contre elle. Pour lui assurer sa présence, le fait qu’elle resterait. « Pourquoi tu cherches à t’excuser ? » Ce n’était pas sa faute. Ce n’était pas lui, absolument pas. De toute façon, ils étaient deux, non ?

Les doigts jouèrent avec ses cheveux. Ca la calmait elle aussi d’agir de la sorte. « Je ne vois pas pourquoi ce serait impossible. » Ils restaient des êtres humains après tout. Et sans problème d’infertilité… « Je… J’ai peur. De ne pas être quelqu’un d’assez bien pour ça. » De reproduire les mêmes schémas, ou tout simplement que sa nature, ou son métier mettent tout le monde en danger.

Elle avait l’air de bien le prendre en tout cas. Ou alors, son cerveau la protégeait, faisant en sorte que la peur ne court-circuite pas les fonctions vitales. Quoi qu’il en soit, Clem était là, et elle lui faisait confiance pour reprendre la situation en main quand ce sera à elle de paniquer…

Il ne lui répondait pas.
N’entendait pas, même, complètement sourd à ce qu’il se passait autour de lui, la panique trop importante, pour qu’il puisse comprendre ce qu’il se passait. Malgré la douceur, malgré le calme olympien d’Aura, lui, était mort de trouille. Sans aucune raison vu de l’extérieur, un simple coup de folie ou une idiotie qu’il prenait trop à coeur comme quand il avait oublié de donner à manger aux écureuils dans le jardin un matin et s’en était voulu ensuite amèrement comme si les animaux lui en tiendrait rigueur. Mais ce n’était pas aussi superficiel, ni anodin. C’était vraiment grave, cette fois. Quelque chose pouvait très bien changer leurs vies et il s’en accusait, bien entendu. C’était sa faute, sa responsabilité, lui qui se plaçait toujours comme bourreau dès que la situation tournait mal, toujours tragiquement. Les mains sur les siennes n’arrivaient pas à les faire bouger cependant, toujours accrochées à ses tempes, il se fourvoie encore d’excuses, plates et sincères quand à ce qu’il se passait, ce qu’il avait découvert. Une terrible nouvelle, si on l’écoutait.

Quand il parvient à articuler, à reprendre son sens, il annonce la nouvelle sans tergiverser plus. Ce serait pire, elle n’allait pas comprendre pourquoi il réagissait comme ça et cela ne ferait qu'aggraver une situation tendue. Une situation dans laquelle il ne savait pas quoi faire. Ni comment réagir, ni à quoi s’attendre, un flou auquel il ne pensait jamais, question éludée il y a longtemps et dont ils avaient que peu parlé. La situation semblait leur aller, après tout et l’avenir.. L’avenir était simplement une suite du présent, sans grand changement prévus à l’horizon, sans plan pour le futur. Finalement seul le grand-père d’Aura semblait arrêté sur la question et avait déjà commencé à mettre la pression à Clemens lorsqu’il avait tenté de se mêler aux histoires de la famille, chose qu’il avait amèrement regretté. Pour certain, il allait se faire tuer si la nouvelle parvenait aux oreilles du grand-père. Du moins, c’est déjà ce dont il s’inquiétait avant même de savoir ce qu’ils allaient faire de tout ça. Trop de choses lui traversant l’esprit, une panique asphyxiante qui allait et venait à chaque fois que son cerveau se lançait dans une nouvelle chaîne de pensée chaotique en entraînant une haute et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elle parle. Un “Oh”, sonore, qui rend silencieuses les méninges en attendant les réactions qu’elle aurait.

Aura a ce mérite de toujours garder son calme, même dans une situation pareille alors qu’il tremblait visiblement, telle une feuille, sur le canapé.  Elle, ne réagissait pas. pas vraiment, son stoïcisme inhumain alors qu’il venait d’annoncer quelque chose de marquant quand-même. Alors il ne savait pas ce qu’elle souhaitait, ce qu’elle pensai. N’en avait pas la moindre idée, puisqu’elle avait autant de réaction que s’il lui avait proposé de manger indien au dîner. Elle l’entoure de ses bras comme elle peut et le serre contre elle tandis qu’il reste les bras ballant, subjugué par ses réactions le laissant encore plus dans l’interrogation. Pourquoi il s’excusait ? « Parce que c’est de ma faute ? C’est.. c’est logique non. C’est un peu comme ça que la biologie fonctionne. Du coup ben c’est ma faute. » C’est un peu l’élément déclencheur. Sinon, elle aurait continué sa vie normalement sans encombre.

Elle finit par relâcher ses bras, passer les mains dans les cheveux blonds avec lesquels elle joue surement pour l’apaiser, et ça marchait assez bien. Assez pour que le poul se calme, malgré l’inquiétude qui continuait à le ronger. Ce n’était pas impossible, peut-être, mais ça semblait surréaliste malgré tout. Dans sa tête cela n’arriverait pas, point, et la question se règle d’elle même alors sentir une vie en elle c’était… Perturbant.  « Tu n’es pas obligée. »  qu’il dit en secouant la tête.  « Si tu ne te sens pas apte, si tu n’as simplement pas envie, t’es pas obligée. » qu’il dit, sans essayer de la convaincre de quoi que ce soit. Pas qu’elle serait une bonne mère, pas qu’ils n'avaient pas le choix non plus, ils l’avaient ce choix et il le respecterait, quoi qu’il arrive, sans essayer de l’influencer de quelconque manière. Il ne fait qu’exposer les options qu’ils avaient, toutes.  « C’est très récent si je n’ai pas réussi à le détecter avant. On est pas obligés de le garder. »  Qu’il ajoute, finissant ses pensées. Il préférait de loin renoncer à l’idée que de la rendre malheureuse, elle comme l’enfant.  « Moi aussi je suis terrifié. Je pensais pas que c’était possible non plus, j’ai jamais cru que ça le serait. Tout ce que je peux dire c’est que je serais là, peu importe la décision. » qu’il se contente de dire, pas certain de ce qu’il devait ajouter. Ce n’était pas son corps, ni sa décision au final, mais la sienne surtout.

De sa faute ? Un éclat de colère traversa ses iris, bien vite calmé par l’esprit hyper contrôleur de l’italienne. Ce n’était pas de sa faute, pas uniquement. Puis était-ce si grave ? Certes, elle n’avait pas l’impression de pouvoir gérer une autre vie humaine, quand toute son existence s’était résumée à détruire celle des autres. Elle torturait, tuait pour mieux faire chanter et récupérer des informations. La seule protection qu’elle pouvait assurer était d’éliminer les menaces avant qu’elles ne prennent la vie ou attaquent les siens. Etait-ce qu’il fallait faire pour garder un enfant dans une vie stable ? Si quelqu’un se mettait à l’insulter à l’école, allait-elle décider de décimer toute la classe, enfants comme parents d’élève ? Ce serait possible avec Aura. Jamais elle n’avait fait de différence à cause de l’âge de ses victimes. Parce qu’elle se détachait émotionnellement des meurtres, des assassinats, sachant pertinemment que c’était eux ou elle. Ou du moins était-ce ce qu’elle aimait se dire. Que tout n’était qu’une question de survie, quand on lui avait clairement répété qu’elle n’en avait aucun par le passé…

Elle secoua doucement sa tête, masqua le tremblement de ses doigts. « C’est de la biologie comme tu l’as si bien dit. Du coup, j’imagine qu’on est deux là-dedans. » Etant donné qu’elle ne l’avait aucunement trompé, ils étaient tous les deux impliqués. Que ce soit son corps, et donc son choix, l’avocate comprenait le raisonnement de Clemens. Peut-être que si ça avait été sur un coup d’un soir, un homme qu’elle ne reverrait jamais, elle aurait pris sa décision sans même y penser. Néanmoins, ce n’était pas le cas, ça n’aurait jamais pu être le cas.

Les doigts dans les cheveux de Clem, elle l’écoutait, sans chercher à l’interrompre. Ses pensées, elle les entendait, pouvait-elle seulement les comprendre ? Il lui laissait le choix, cherchait à ne pas l’influencer. Avait-il peur ? Lui qui était pourtant si à l’aise avec les enfants… Etait-ce l’idée qu’elle soit la mère qui le rendait si hésitant, qui le poussait à voir les optiques plus… Négatives ? Le cerveau avait beau chercher à protéger, certaines pensées se frayaient un chemin jusqu’au cœur, ignorant les faits que l’esprit tentait de ramener sur le devant de la scène. Allait-il partir ? Le front se posa sur l’épaule, les paupières se fermèrent un instant. Les battements effrénés du myocarde semblaient être audibles dans la pièce entière. « Tu… Tu resteras aussi si je le garde ? » Ce sera indéniablement le seul critère de choix. Si Clem décidait de partir, elle ne garderait pas d’enfant. Elle savait très bien qu’elle ne pourrait pas le gérer seule, encore moins avec les souvenirs que cela impliquerait. Pas assez forte pour ça.

Elle finit par juste se blottir contre lui, par chercher les mains pour rester ancrée dans la réalité. « Je ne sais pas trop. » Quoi faire, quoi dire, comment agir. Ce n’était pas dans ses cordes habituelles, de discuter autour d’un enfant et d’une potentielle vie de famille. Après ce qui s’était passé dans la sienne, tout le sang qui avait coulé pour des questions de divinité… Peut-être qu’elle refusait simplement qu’une autre âme puisse se retrouver dans la même tourmente. « Je ne veux juste pas que ce soit une récurrence, pour son propre bien. » Et parce que sinon, elle devrait annihiler Maximilio, qui chercherait à récupérer un primus d’une façon ou d’une autre. « Mais à deux, on peut s’occuper d'un enfant, non ? » Oui, à deux. Même si la panique commençait à être légèrement visible chez Aura, par peur des erreurs potentielles, parce qu’elle n’avait jamais appris à se comporter humainement, à part avec Clem.

Mais il serait là, et tout se passerait bien. Parce qu’elle avait entièrement confiance en lui pour la guider.